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Enquête : Comment les détenus de la Salafiya Jihadia ont transformé les prisons en émirats autonomes

Les temps ne se prêtent certes pas à l’humour, mais l’anecdote vaut son pesant … d’enseignements. C’est arrivé lundi 7 avril, quelques heures seulement après l’annonce de l’évasion spectaculaire des neuf islamistes de la prison de Kénitra. Une dizaine de familles des détenus de la Salafiya Jihadia étaient venues, à la première heure, faire le pied de grue devant la prison d’Oukacha, à Casablanca. Motif : tenir un sit-in, en protestation «contre les conditions de détention catastrophiques» des leurs. Mais contre toute attente, «un rassemblement géant des services de sécurité, notamment des éléments des Forces auxiliaires, nous a donné un étrange sentiment que ce sont ces services qui étaient en sit-in !», ironise un responsable de l’Association «Annassir», en charge de la défense des détenus islamistes. Les familles protestataires, apparemment sans nouvelles au sujet de la grande évasion de la prison de Kénitra, n’ont eu d’autre choix que de rebrousser chemin. Depuis ce jour-là, les temps semblent avoir changé. La fuite, sans précédent, de la prison de Kénitra, a montré que les détenus salafistes, même à l’intérieur de prisons, sont devenus dangereusement machiavéliques et autrement capables du pire. L’évasion du 7 avril, à nulle autre pareille, vient toutefois lever un coin du voile sur une stratégie d’enfer. Cette stratégie, que les détenus jihadistes ont orchestrée, avec le soutien (évident) de complicités à l’extérieur, a eu, hélas, un succès diabolique, tant et si bien que les prisons où ces salafistes purgent de lourdes peines sont devenues des émirats autonomes.
Alors, en quoi consiste cette stratégie ? Grèves de la faim en série, sit-in devant les prisons, noyautage du milieu associatif, corruption des gardiens de prison, – entre autres moyens de «pression» -, sont utilisés par les détenus de la Salafiya Jihadia pour faire chanter l’Etat. Les grèves de la faim ne se comptent plus sur le bout des doigts. La grève la plus retentissante est celle qu’a connue, en novembre 2007, la prison civile de Salé. La pression des prisonniers salafistes, appuyée par quelques associations en mal de célébrité, a été telle que le ministère de la Justice a engagé une enquête sur la détérioration supposée des conditions carcérales à la prison « Zaki », où croupissent des éléments dangereux ayant d’ailleurs reconnu leur implication dans les attentats terroristes du 16 mai 2003 qui ont fait 45 morts. Mais cette grève, dont la première étincelle a jailli au sein de la prison de Salé, sera, étrangement, étendue très rapidement à toutes les prisons nationales. Un curieux effet boule de neige.Les détenus salafistes, éparpillés sur les prisons d’Oukacha, Sidi Kacem, Kénitra, pour ne citer que ces pénitenciers, se joindront aussitôt à la grève de la faim pour monter la pression sur les autorités. Résultat ? Les autorités ont «promis» de satisfaire « les principales revendications » des détenus de la prison de Salé, dont le fameux droit à «l’intimité conjugale». Reste, un point fondamental à soulever: comment les salafistes détenus dans d’autres prisons du pays ont pu être informés, aussitôt, que leurs «frères», incarcérés à Salé, étaient en grève de la faim? Un membre d’une association de défense des prisonniers islamistes répond par un sourire très significatif. «Mais les téléphones portables circulent très librement dans les prisons», a-t-il affirmé. Avant d’ajouter, le regard narquois : «Ce n’est pas moi qui est responsable du sous-paiement des gardiens de prison». Voilà, c’est dit. Reste que le problème est beaucoup plus complexe que la précarité des fonctionnaires de prison. D’autres éléments non moins fondamentaux entrent en jeu. En voici un, encore plus bouleversant : les jihadistes, qui ont encore du sang sur les mains, après avoir participé, de près ou de loin, aux crapuleux attentats terroristes du 16 mai, veulent profiter des dividendes de l’évolution au Maroc des droits de l’Homme qu’ils ont toujours adoré abhorrer. Ils ont réussi à « embarquer » de flamboyants acteurs associatifs pour les rallier à leur «cause». Pour le sort des victimes tragiques du terrorisme, et des larmes intarissables de leurs familles, bonjour l’amnésie ! «On risque de ne plus parler que du «droit des prisonniers islamistes» à des conditions de détention dignes de la personne humaine», s’alarme un proche d’une victime du 16 mai. «On revendique des droits pour des détenus qui se sont permis, sans repentance aucune, d’ôter à d’autres le droit le plus fondamental : le droit à la vie», s’est-il révolté. Certains chevaliers preux des droits de l’Homme ont poussé l’irresponsabilité jusqu’à réclamer le droit de personnes condamnées pour terrorisme à bénéficier du statut de «détenus d’opinion». La belle affaire ! C’est au nom de ce fameux statut que les prisonniers salafistes ont défendu, bec et ongles, leur «droit» à ne pas être logés à la même enseigne avec des détenus de droit commun. Mais cette astuce cache, sans doute, une autre finalité : en voulant rester confinés dans des pavillons à part entière, les détenus «puristes» voulaient se donner une force facile à fédérer dans leur bras de fer avec les autorités. L’union fait la force. Le résultat ? C’est, désormais, connu : Les prisons sont devenues de véritables «émirats» salafistes.


Annassir : Une association pour les détenus islamistes


Créée par les familles des détenus islamistes, Annassir est une association dont le but est de défendre les droits des détenus islamistes emprisonnés dans le cadre de la loi antiterroriste, notamment après les attentats du 16 mai à Casablanca. Elle a reçu l’autorisation des autorités de tenir son assemblée constitutive en 2004. Outre la défense des droits des détenus islamistes, elle s’est tracée comme but l’éradication des causes de l’extrémisme dans la société marocaine. Les membres d’Annassir, (plus d’une centaine de familles avaient assisté à l’assemblée constitutive) s’engagent pour la sensibilisation de l’opinion publique et des décideurs nationaux quant à sa démarche et ses objectifs. La sensibilisation concerne aussi bien les partis politiques, les associations, la presse que les autorités publiques mais aussi les organisations internationales. L’association classifie les détenus, dans le cadre des procès antiterroristes, selon trois catégories.
Les Chioukh de la Salafiya, les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec des groupes terroristes et les personnes qui ont effectivement projeté d’attenter à l’ordre public. Son président, Abderrahim Mouhtade, est un ancien membre de la Chabiba Islamiya. Condamné en 1989 à perpétuité, il fut gracié en 1994 par feu SM le Roi Hassan II.  En 2004, il est élu président de l’association Annassir.

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