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Faut-il juger Driss Basri ?

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Le Maroc s’apprête à tourner la page des exactions du passé. Avec la remise par l’Instance Equité et Réconciliation (IER) de son rapport final à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, cette commission dirigée par Driss Benzekri peut être fière du travail qu’elle a accompli. Les auditions publiques, les témoignages des victimes ou de responsables repentis, la déclassification de documents officiels ayant trait aux différents dossiers de violations des droits de l’Homme ont permis à l’IER de reconstituer une partie de l’histoire du Royaume. Ce travail de recherche et de prospection dans la mémoire marocaine des violations des droits de l’Homme commises durant la période dite des "années de plomb" a aussi permis à l’équipe de Driss Benzekri de proposer une série de recommandations ayant pour finalité à la fois de tirer les leçons du passé pour que cela ne se répète plus et d’indemniser les victimes ou leurs ayants droit tout en mettant la lumière sur le sort des disparus.  
Si ces deux objectifs sont atteints, le Maroc aura tourné définitivement la page des violations du passé et pour ainsi se prévaloir d’avoir été le premier pays arabe à affronter avec audace, courage et surtout avec sagesse les étapes noires de son histoire récente.
Mais, pour ce faire, il devra aussi prendre l’une des décisions les plus importantes de l’étape que nous vivons actuellement. Il faudra choisir entre deux options : pardonner et oublier ou accuser et sanctionner avant d’oublier.  Certes, jusqu’à il y a quelques semaines, la tendance prédominante était celle de la première option. L’indulgence faisant partie de la culture marocaine et des principes de l’Islam, il était normal que les Marocains soient plus enclins à pardonner et à oublier qu’à se venger de ceux qui ont été derrière les abus et les violations du passé. Mais, aujourd’hui, de nouvelles données sont venues s’ajouter au dossier desdites violations. À la veille de la présentation du rapport de l’IER, des révélations inédites sur deux événements tragiques qu’a connus le Maroc sont intervenues provoquant une remise en cause du consensus qui s’était presque dégagé sur la nécessité d’oublier et de pardonner. Il s’agit de la découverte grâce à des témoignages révélateurs de 220 tombes anonymes où ont été enterrés les corps de personnes ayant été tuées dans les émeutes de Casablanca, le 20 juin 1981, et de Fès, le 14 décembre 1990.
A Casablanca, c’est un passionné de football, selon des sources proches du dossier, qui aurait indiqué aux responsables de l’IER, l’endroit où quelque 77 corps ont été enterrés. Il s’agit d’un endroit que les jeunes casablancais utilisaient à l’époque comme un terrain de foot. Aujourd’hui, il fait partie de la caserne des sapeurs-pompiers de la capitale économique puisqu’il y a été annexé sur décision des autorités locales à l’époque pour éviter la découverte des tombes secrètes. L’homme qui a révélé le secret, affirme que des policiers lui avaient signifié l’interdiction  lui et ses coéquipiers de l’équipe de foot de l’accès au terrain. Quelques jours après, raconte-t-il, le terrain a été entouré d’un mur et annexé à la caserne des sapeurs-pompiers. L’exhumation des corps sous le contrôle du parquet de Casablanca conformément à la loi a révélé qu’il s’agit plutôt de 81 corps. Des prélèvements d’ADN ont été effectués sur les corps afin de permettre leur identification par la suite en les comparant à ceux des familles des disparus. Rajoutés aux 33 corps précédemment découverts, le nombre des tombes anonymes des émeutes de 1981 est désormais fixé à 114. Un chiffre qui coïncide avec celui obtenu des registres des hôpitaux publics à l’époque.
La même procédure de prélèvement d’ADN a été adoptée face à la découverte de 106 tombes anonymes à Fès. Une découverte qui a été rendue possible grâce au témoignage d’un ex-auxiliaire d’autorité qui a indiqué aux membres de l’IER l’endroit où, sur instructions des pouvoirs publics, les victimes ayant péri dans les émeutes du 14 décembre 1990 ont été enterrées dans la clandestinité.
C’est donc sur ordre des autorités publiques que les deux opérations d’enterrement ont été effectuées. Et qui dit "autorités publiques", dit ministère de l’Intérieur.
À Casablanca, c’est dans un terrain jouxtant la caserne des pompiers que le cimetière de la honte a été installé. Et c’est en annexant ce terrain à ladite caserne que l’on a pu garder le secret pendant plus de 24 ans. À Fès, le témoignage de l’ex-auxiliaire d’autorité ne laisse point de doute sur la responsabilité du ministère de l’Intérieur, à l’époque, dans la décision et l’exécution de l’enterrement clandestin des victimes de la répression des émeutes. Or, responsabilité du ministère de l’Intérieur signifie responsabilité directe et certaine du chef de ce département. Ce qui signifie que c’est sous la direction du ministre de l’Intérieur d’alors, Driss Basri, que ces deux opérations macabres ont été menées. Et il faut dire aussi qu’il s’agit d’événements plus ou moins récents. L’on se rappelle d’ailleurs, des déclarations de l’ex-ministre d’Etat à l’Intérieur devant le Parlement au lendemain des événements de Fès où il a réduit le nombre de morts à six personnes omettant délibérément le nombre réel des morts à savoir 106 et que les Marocains viennent de découvrir.
L’on se rappelle aussi de l’expression outrancière qu’il avait choisie pour décrire les victimes des émeutes de Casablanca en les qualifiant de "martyrs de la baguette de pain" (chouhada koumira).
Aujourd’hui, la vérité vient d’éclater sur ce qui s’est passé lors de ces deux événements tragiques. Aussi, certaines voix commencent à appeler à ce que la Justice prenne la relève de l’IER pour faire la lumière sur les responsabilités pénales dans certains dossiers des exactions du passé. 

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