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Karam : «Lire la page avant de la tourner»

© D.R

ALM : Quels ont été, pour vous, les moments forts de cette journée du 20 juin 1981.
Mohamed Karam :  A cette époque, j’habitais près du CPR de Derb Ghallef et mon bureau était sur le boulevard Stendhal. Ce samedi 20 juin 1981, j’ai quitté chez moi pour me diriger vers mon bureau où je devais traiter quelques affaires normales et je suis rentré à la maison vers 11 heures. J’y suis resté d’ailleurs pour suivre, par téléphone, ce qui se passait à Casablanca puisque j’étais le secrétaire provincial de l’USFP. Il faut dire que les événements étaient liés pendant ces jours. La CDT avait appelé à la grève générale une dizaine de jours auparavant. Le 18 juin, on célébrait le jour de la Résistance et c’est ce jour-là qu’avait choisi l’UMT pour décréter sa grève et notamment dans le secteur bancaire. Il allait s’avérer par la suite que cela devait contribuer à donner crédit à la thèse du ministère de l’Intérieur affirmant que la grève du 20 juin était plutôt une grève à caractère politique. Il ne faut pas oublier non plus que l’événement de ce mois de juin 1981 était le Sommet de l’organisation de l’Union Africaine lors duquel Feu Hassan II allait accepter la solution du référendum pour le Sahara marocain. C’est d’ailleurs suite à ce sommet, et au communiqué de l’USFP en septembre de la même année, que les leaders du parti allaient être arrêtés et emprisonnés: Lahbabi, Elyazghi et Bouabid. Les causes de cette grève, ce sont les hausses des prix des denrées de base. Le gouvernement de l’époque en avait décidé ainsi. La CDt et les partis d’opposition ont réagi après le refus de ce gouvernement de faire marche arrière. La veille, le 19 juin, j’avais dîné chez Elouadie El Assafi en compagnie de Noubir Amaoui et Mohamed Meklati. Je me rappelle que nous avions mangé du couscous. Quand j’ai quitté le domicile d’Elouadie, j’ai trouvé les rues désertes comme s’il y avait le couvre-feu. Cela m’avait rappelé mon enfance et les mois qui ont suivi l’exil de Feu MohammedV.

D’après vous, comment les choses avaient-elles dégénéré ?
Les manifestations ont commencé le 19 juin à Mohammédia avant de s’étendre, le 20, à Casablanca. Les gens ont investi  «Garage Allal», la route de Médiouna, Derb Omar, Al fida, Aïn Chok près de la maison de bienfaisance, Hay Mohammadi… L’ancienne Médina était bizarrement calme. Pour ce qui est des raisons ayant abouti à la confrontation, on trouve plusieurs versions. Celle de la CDT à l’époque affirme que ce sont les forces de l’ordre qui avaient provoqué les manifestants. Plusieurs policiers en civil avaient infiltré les manifestants dont certains ont fait attention à la chose et ont réagi. Les gens ont commencé à détruire les panneaux de signalisation et à s’en prendre aux bus et aux vitrines des commerces. Les forces de l’ordre sont intervenues et la suite est connue. Aujourd’hui, c’est aux historiens de travailler pour élucider les circonstances exactes de ces événements et l’IER aurait pu y contribuer de manière très efficace au vu de tous les témoignages et les documents qu’elle aurait recueillis. De toutes les manières, il y avait de la panique d’un côté et des dépassements de l’autre. C’était, pour tout dire, une confrontation à armes inégales.

Quel rôle a joué Driss Basri dans tout cela ?
Il était le premier responsable de l’Intérieur et de tout ce qui touchait à la sécurité. Ses subordonnés n’auraient pu agir sans avoir reçu de directives au préalable. Il assume toute la responsabilité. Partout dans le monde, on procède par étapes : les sommations… Les balles réelles ne sont utilisées que lorsque la vie des forces de l’ordre se trouve menacée. Or, les manifestants n’étaient pas armés et ce n’est pas le seul aspect. Il s’ensuivra des arrestations abusives ayant concerné même les gens qui étaient sortis pour faire leur courses. L’approche sécuritaire a prévalu et elle était catastrophique.

D’après vous, pourquoi l’IER a attendu ces derniers jours pour révéler les tombes des victimes de ces événements ?
L’IER disposait, dès le début, d’assez d’informations sur ces événements et les familles des victimes y avaient déposé leurs dossiers et fourni des témoignages sur la «révolte du pain». je pense que ce n’est pas le timing qui importe le plus, mais la vérité sur l’identité des victimes, les responsables directs ou indirects, mais aussi ceux qui avaient ordonné l’inhumation dans des conditions qui ne respectent ni les principes de l’Islam ni ceux de l’humanité.

A propos, quelle évaluation faites-vous du travail de l’IER ?
L’USFP a mis en place une commission de suivi cette semaine et nous nous prononcerons une fois dévoilé le contenu du rapport final de l’IER. Toutefois, nous avons salué et nous saluons cette première initiative du genre dans le monde arabe et dans le Maghreb. Pour moi, avant de tourner la page, il faudra la lire, révéler la vérité et déterminer les responsabilités. J’ai été victime à deux reprises et poursuivre qui que ce soit ne m’intéresse pas. Cependant, il est du droit des victimes de recourir à la justice si elles le désirent.

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