La gauche française a –t-elle vraiment perdu les élections ou c’est bien la France tout entière qui est sortie perdante ?
A cette question vicieuse et apparemment partisane, il y a certainement lieu d’apporter des esquisses de réponses fiables plus tournées vers l’avenir que vers le passé. Certes, d’un tel séisme politique qui a failli conduire au chaos, en balayant d’un seul trait les socialistes au premier tour des élections présidentielles, et mis au-devant de la scène, le Front national, il faudrait retenir, tout de même, certaines leçons pour pouvoir éviter les scénarios de la catastrophe.
Sur le plan strictement formel, jamais dans l’histoire de ce pays, un Premier ministre n’a pu remporter des élections présidentielles. Cela s’est produit avec Jacques Chirac en 1986, Edouard Balladur en 1993 et avec Lionel Jospin, récemment, sorti en troisième position avec 16,07 % des voix. En ce qui concerne les questions de fond, il a été démontré, une fois de plus, que devant le malaise social, économique et psychologique qui sévit en France, les citoyens s’attendaient à une démarcation des frontières politiques, de la part de la gauche, particulièrement vis-à-vis des options libérales devenues de plus en plus agressives et contraignantes pour le commun des mortels. Faute de positions claires et devant les hésitations compromettantes à l’égard du grand capital, la gauche a fini par succomber aux tentations du pouvoir et à la paresse, tant au niveau de la réflexion que sur le plan de l’action.
Les frustrations, les angoisses et la peur due à l’aggravation des sentiments d’insécurité ont incité les uns et les autres à se positionner aux extrémités de la sphère politique. Ceux qui voyaient trop ou assez « rouge » se sont réfugiés dans l’underground, en brandissant les étendards de l’abstention. Les résultats d’Arlette Laguiller (LO, 5,77 %) et de Robert Hue (PCF, 3,41 %) sont plus que significatifs. A l’opposé, ceux qui avaient trop peur (étant donné que c’est de celle-ci que surgit le racisme et le refus de l’autre) se sont laissé glisser vers « le gris », en épousant, en fin de compte, les thèses du fascisme.
Néanmoins, selon la logique de cette gymnastique théorique abstraite, il aurait été possible de maintenir l’équilibre politique traditionnel, si, au moins, il n’y avait pas cette segmentation du peuple de la gauche. Ou du moins, ce qu’il en reste. La conjoncture internationale aidant, avec tout ce qu’elle signifie en termes de récession économique, de crise financière, de croissance de demandes sociales (chômage, immigration, insécurité, etc.) a fini par favoriser, provisoirement, les apôtres du chaos. Ceci étant, en dépit de tout ce qui a été dit sur les résultats du Premier tour de ces élections présidentielles, il n’en demeure pas moins important de rappeler qu’assurément, la France n’est pas l’Italie. Dans un mois, il faudrait probablement s’attendre à ce que le Phénix renaisse de ses cendres. Mais, d’ici là Jacques Chirac se présente comme le Premier président de la République, après De Gaules, incarnant par la même occasion toute la morale de la gauche.