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LA HONTE

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L’augmentation du traitement des députés est encore au stade de projet. Rien n’a été décidé à ce sujet. Cependant, chacun a son avis sur une question qui baigne encore dans la confusion. Pour certains, il s’agirait en fait d’une idée de l’argentier du Royaume visant à instituer une indemnité kilométrique de 6.000 DH qui vient s’ajouter aux 30.000 DH brut que perçoit mensuellement le député. Pour d’autres, cette compensation, qui coûtera aux caisses de l’État la bagatelle de 43 millions de DH par an, est destinée à répondre à une vieille revendication des députés. Celle d’accéder à des moyens de travail plus conséquents, notamment la mise en place d’une permanence dans leur circonscription. Par ailleurs, certains députés soutiennent que cette indemnité forfaitaire est prévue dans le budget 2004 actuellement en discussion au Parlement. D’autres, par contre, avancent qu’elle n’y figure pas et qu’elle ferait plus tard l’objet d’une loi organique. Cette revalorisation est censée remplacer, pour Fathallah Oualalou, la franchise accordée à chacun des représentants de la nation d’importer pendant chaque législature une voiture de luxe sans payer les droits de douane. Un privilège dont ils bénéficient en dehors de la loi. Le projet Oualalou, qui devrait être effectif dès janvier 2004, ,se proposerait donc de mettre à niveau le salaire des animateurs de l’appareil législatif en y introduisant une bonne dose de transparence. En fait, M. Oualalou a décidé de supprimer un passe-droit qui mettait le Maroc en difficulté par rapport à ses engagements vis-à-vis de l’Union européenne d’imposer les droits de douane sur les importations des voitures. Mais pourquoi le député fait-il exception à un régime auquel est soumis l’ensemble des citoyens marocains ? Et puis, cette dispense douanière a donné lieu à de petits trafics. Certains députés moyennant finance importent le véhicule non pas pour leur compte personnel mais pour celui d’une tierce personne… Cette indemnité kilométrique vient-elle également remplacer la réduction de 50% accordée au député sur les vols de la RAM et la gratuité sur les trajets ferroviaires de l’ONCF ? Une chose est sûre : cette valorisation financière sonne pour une large frange de l’opinion publique comme une prime à la médiocrité au moment où l’image du député en général n’est pas des plus reluisantes : dès qu’il est élu, il se détourne de ses électeurs et ne tient pas ses promesses. En plus, il se permet de s’absenter et par-dessus le marché il est grassement payé à la fin du mois sans compter les petits privilèges qu’il gratte à droite et à gauche. En un mot, le député n’a pas bonne presse. Il est perçu comme un homme peu crédible qui vit aux crochets de l’État. S’ils sont conscients de leur impopularité auprès de la population, les députés considèrent toutefois qu’ils sont sous-payés en regard du boulot qu’ils font et des frais que cela génère. “ En dehors des parlementaires de l’axe Casa-Rabat, explique un élu, les autres, ceux qui habitent loin à Laâyoune, Agadir ou Ouarzazate par exemple, ne peuvent pas se permettre de se déplacer dans la capitale avec tout ce que le voyage suppose comme dépenses ( transport, restauration, hébergement…)“. Cette objection pourrait justifier l’absentéisme qui bat des records sous la coupole par l’insuffisance du traitement mensuel du député. Si l’on comprend bien, l’indemnité kilométrique de 6.000 DH devrait normalement permettre aux coutumiers du Parlement buissonnier d’être un peu plus assidus à l’avenir et de s’investir davantage dans leur boulot… Député MP d’Agadir, Brahim Zerkdi a une vision sur le sujet. Pour lui, il faut que l’État donne aux députés les moyens de travail nécessaires. “ Le député doit pouvoir disposer d’un assistant permanent qui l’aide dans l’accomplissement de son devoir, explique-t-il. Il vaut mieux que l’État prenne en charge les frais occasionnés par ces recrutements utiles que de donner directement l’argent aux députés“. Il ajoute : “ La démocratie a un prix. Vu leur niveau d’instruction et leur formation, la plupart des députés n’ont pas les moyens d’enrichir un texte de loi, encore moins d’en débattre“. La productivité du Parlement et la qualité des projets de loi votées sont-elles seulement tributaires des moyens matériels alloués aux députés ? Le député USFP de Casablanca, Abdelkébir Tabih, voit les choses autrement. Selon lui, il y a deux sortes de parlementaires. Ceux qui justifient leur salaire : ils travaillent et participent aux commissions et à la confection des lois. Ceux qui ne doivent pas du tout être payés : ils brillent par leur absence récurrente et ne contribuent nullement au fonctionnement de la machine législative. Mais à la fin du mois, les uns et les autres, ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, touchent les mêmes indemnités. Est-ce normal s’interroge notre interlocuteur qui ajoute : “ Sur les 325 députés que compte la Première Chambre, souligne-t-il, seule une cinquantaine prend réellement sa fonction au sérieux en s’impliquant réellement dans son travail. La plupart assistent seulement à l’ouverture officielle du Parlement. Après, ils disparaissent“. Il y a aussi une autre catégorie de députés. Celle qui ne conçoit son rôle que comme une machine à voter en séance plénière un projet de loi majeur. Les réunions des commissions, où s’élabore et se construit l’arsenal juridique du pays, sont, elles, souvent vides aux trois quarts. Faut-il alors rétribuer les parlementaires en fonction de leur assiduité ? La proposition d’une sanction financière des députés portés sur l’absentéisme a été plusieurs fois évoquée mais elle n’a jamais pu être concrétisée. La raison principale vient du fait que personne ne veut se mettre à dos un député ou un groupe parlementaire. Des élus mécontents, surtout lorsqu’ils sont de la majorité, ce sont des voix de moins pour le gouvernement. Dans ces conditions, on comprend aisément que le projet que soit mise en place une liste noire des députés qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas n’a aucune chance d’aboutir. C’est la volonté de ne pas bousculer des habitudes bien ancrées par souci de sauvegarder certains équilibres à l’intérieur de l’hémicycle qui rend difficile toute action de réforme et d’assainissement des rouages du Parlement. Le drame du Parlement marocain va au-delà du revenu de ses membres… Il est intimement lié au profil du député, à sa formation, à la manière dont il est élu, et à l’idée qu’il a d’abord de lui-même et de sa fonction. C’est pour cela que la somme mensuelle supplémentaire de 6.000 DH, appelée pudiquement indemnité forfaitaire, risque de ne servir qu’à gonfler le salaire de Monsieur le député et à obérer davantage son image auprès de la population.

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