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L’affaire Belliraj va-t-elle finir par provoquer un aggiornamento des services marocains de sécurité?

© D.R

Le secrétaire général d’Al Badil Al Hadari,   Mustapha Moâtassim, aurait alerté des officiels marocains sur une opération d’introduction d’armes au Maroc. Cette information a été rapportée par notre confrère Al Ittihad Al Ichtiraki dans son édition du mercredi 5 mars. Le lendemain, le jeudi 6 mars, le quotidien Attajdid indique, dans un article consacré à la même affaire, citant l’avocat et député islamiste Mustapha Ramid, qu’il ne s’agit pas de la première fois que le dirigeant d’Al Badil Al Hadari aurait passé aux autorités compétentes des informations sur la préparation d’actes criminels contre la sécurité de l’Etat. «Mustapha Moâtassim m’a dit, en 2005, qu’il avait reçu une communication téléphonique d’une personne vivant en Italie et qui avait été condamnée à mort dans les années 80, l’informant– avant le 16 mai 2003 – que plusieurs sites seront la cible d’attentats à la bombe. M. Moâtassim m’a dit qu’il a demandé à son ami, Ahmed Herzenni, d’en informer les autorités compétentes. Et Moâtassim m’a dit que M. Herzenni lui avait dit, quelques jours plus tard, que le message est arrivé à destination», raconte Mustapha Ramid à Attajdid. 
Ces deux informations, même si l’objectif principal de leur divulgation est de tenter de disculper le dirigeant d’Al Badil Hadari des accusations pesant sur lui dans l’affaire du réseau «Belliraj», supposent l’existence d’une défaillance au sein des services de sécurité nationaux. Si les deux faits rapportés par Al Ittihad Al Ichtiraki et Attajdid se confirmaient, il y a uniquement trois explications possibles : le message n’est pas arrivé à bonne destination, il n’a pas été pris au sérieux, ou bien il est arrivé trop tard.
Mais, au-delà des deux anecdotes rapportées par nos confrères, ces trois cas se présentent souvent dans l’action des services chargées – directement ou indirectement – de la sécurité du Royaume. Ils sont quatre départements à s’occuper, plus ou moins, de la même chose puisqu’ils ont le même objectif : garantir la sécurité du pays face aux menaces internes et externes. Leurs prérogatives se complètent parfois et se chevauchent dans la plupart des cas. Mais, dans le feu de l’action, leurs efforts finissent, le plus souvent, par se disperser puisqu’ils entrent dans une sorte de compétition légitime pour chacun mais dommageable pour le système.
Deux d’entre eux constituent la face visible de l’appareil sécuritaire : la Police et la Gendarmerie. Et les deux autres agissent dans l’ombre assurant les missions les plus compliquées : celles qui requièrent le maximum de confidentialité et de discrétion à savoir la DGED (Direction générale des études et de la documentation) et la DGST (Direction générale de la surveillance du territoire). Deux corps assurant la mission de police judiciaire et les deux autres dédiés au renseignement dans ses deux aspects : action et prévention.
Si le législateur a confié à chaque corps des missions concrètes, les périmètres d’action restent flous dans la plupart des cas. Et le plus souvent, c’est dans le cadre de dossiers concrets que des limites ont été définies soit de facto soit suite à une intervention supérieure qui finit par devenir une sorte de jurisprudence non discutable.
Mais, les problèmes de coordination persistent toujours, vu la multiplicité des intervenants et l’inexistence d’une instance de coordination et d’arbitrage. Un rôle qui, au long de l’histoire contemporaine du Maroc, a été joué plus par des personnes – un responsable bénéficiant de la confiance du chef de l’Etat – que par des instances. Un système qui a, peut-être, marché durant une certaine période, mais, il a le défaut d’être lié à une personne, à son humeur, à son biorythme, à ses préférences personnelles…
Cela n’empêche pas le fait que la dualité existant au niveau de chaque facette de l’action sécuritaire au Maroc (Police-Gendarmerie ; DGED-DST) est un facteur d’efficacité comme elle peut être une source de blocage.
Pour y remédier, une instance de coordination a été érigée au sein de l’administration territoriale. Il s’agit de la Direction des affaires intérieures (DAI). Si, il y a quelques années, elle se chargeait de la gestion de toutes les affaires politiques du pays, tant au niveau national que régional, aujourd’hui, avec l’ouverture démocratique et l’élargissement des marges de liberté, cette mission s’est nettement réduite. Assister, par exemple, à un meeting de la section locale de la CDT à Khouribga pour rapporter ce qui a été dit par les différents intervenants n’est plus utile du moment que les intéressés eux-mêmes éditeront un communiqué exhaustif au terme de leur réunion. Aussi, la DAI s’est-elle investie d’une nouvelle mission : coordonner les efforts de maintien de l’ordre public tant dans les régions qu’au niveau central. Toutefois, des mécanismes, des procédures, des réformes juridiques restent à faire pour atteindre l’efficacité. Mais, vu la nature de la formation de ses cadres (formation de caïd à l’École des cadres de Kénitra) et sa structure administrative, elle reste plus orientée vers la coordination des missions liées au maintien de l’ordre publique qu’aux opérations de sécurité nationale. Agir à ce niveau, nécessite un travail de renseignement qui requiert un savoir-faire particulier et un niveau de discrétion très élevé.
Le savoir-faire est détenu par les deux services d’espionnage (DGED) et de contre-espionnage (DST). La qualité de la formation – et de la formation continue – des cadres de ces deux services leur permet de s’adapter à toutes les nouvelles formes de criminalité contre la « sécurité nationale ». Les liens de coopération qu’ils maintiennent avec les services de sécurité étrangers leur permettent d’agir généralement par anticipation et de prévenir des attaques terroristes. Il faut dire que, grâce à ce dispositif, plus d’une soixantaine de cellules ont été démantelées durant les quatre dernières années. Mais, il leur reste un problème à surmonter. Le fait que le règlement impose à la DGED de passer le relais, immédiatement, à la DST dès qu’un dossier devient une affaire interne est devenu caduc dans un contexte où le critère de la territorialité est largement  dépassé.  Cela pose plusieurs problèmes notamment en ce qui concerne la lourdeur de la procédure de passation de dossiers et  de mise à jour des données de part et d’autre. Mais  ce problème se pose surtout en cas de  différence d’appréciation d’un danger. Un cas de danger imminent pour les premiers devient une «sous-priorité» pour les seconds. C’est dans ce genre de cas que le besoin d’une instance d’arbitrage devient urgent. Juridiquement et officiellement, elle n’existe pas.
Vient ensuite, le problème de la passation de l’affaire aux services de police judiciaire. Là encore, il existe un grand problème de compétence juridique et territoriale : faut-il passer le dossier à la police judiciaire ou à la gendarmerie royale notamment quand il s’agit d’affaires où se mélangent perquisition d’armes, préparation de bombes ou soulèvement armé ? À qui incombe la mission de trancher dans ce genre de cas ? La loi ne répond pas clairement à cette question.
Plusieurs pays ont fait face à ce problème. Les Etats-Unis ont créé un département coiffé par «un monsieur sécurité nationale» qui coordonne l’action de tous les services et procède, en cas de besoin, aux arbitrages nécessaires. En Espagne, un commandement unifié de la police nationale et de la Garde civile (gendarmerie espagnole) a été créé sous le gouvernement Zapatero. Son bilan a été jugé positif.  Au Maroc, la réflexion a été amorcée sur la question. Certes, il s’agit d’un chantier qui nécessite une grande préparation, mais l’affaire Belliraj – entre autres – est de nature à remettre ce dossier en tête des priorités.

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