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Lakhal : «L’Etat évite le face-à-face avec Al Adl»

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ALM : Ne jugez-vous pas que le report du procès de Nadia Yassine à une date non déterminée est une sorte de marche arrière de l’Etat ?
Saïd Lakhal : Généralement, même si je ne suis pas expert juridique, tout report d’un procès est accompagné d’une date définie. Ce qui est arrivé avec Nadia Yassine supporte une explication avec deux différentes hypothèses. La première est que Al Adl est arrivée à perturber à la fois la Cour et l’Etat par la forte présence de ses membres. Par cette tactique, la Jamaâ a réussi à donner au procès une dimension politique qui transcende la judiciaire. La deuxième est que l’Etat a, à maintes reprises, évité toute confrontation directe avec Al Adl. Cette dernière semble s’y être habituée comme s’il y avait accord non écrit dans ce sens. C’est d’ailleurs le cas depuis le règne de Feu Hassan II.
Il y avait et il y a toujours des tentatives de dialogue pour éviter que la Jamaâ adopte des positions encore plus radicales. Pour preuves, je rappellerai seulement l’envoi de membres de la Jamaâ pour encadrer les pèlerins marocains à La Mecque ou encore des procès sans verdict comme c’était le cas dernièrement avec Hassan Abbadi. Ce sont des signaux pour dire que l’Etat ne voulait pas de mal à la Jamaâ. Cette dernière doit, de ce fait, répondre par la réciproque.

D’après vous, ne faut-il pas appliquer tout simplement la loi dans toute sa rigueur?
L’affaire Nadia Yassine présente deux facettes, la judiciaire et la politique. Pour la première, l’Etat peut poursuivre Nadia Yassine et appliquer la loi. Mais ce n’est pas aussi simple que cela. La concernée est d’abord forte d’un soutien américain et c’est sur le sol américain qu’elle s’est d’abord exprimée pour la première fois. Cela met l’Etat dans une position délicate face aux américains et les Etats-Unis pourraient recourir à des pressions contre le Maroc. Ensuite, Nadia Yassine fait partie des dirigeants d’Al Adl Wal Ihssane et est la fille de leur leader. Si Nadia Yassine est jugée, l’Etat se trouvera confronté à la Jamaâ sur tout le territoire national. Chose qui n’est pas du tout aisée, car cela signifierait aussi des confrontations avec les ONGs des droits de l’Homme au Maroc et à l’étranger et les ennemis du Maroc pourraient utiliser autrement les éventuelles manifestations. L’exemple des événements de Laâyoune est assez éloquent. C’est cette situation qui pousse l’Etat à chercher une issue autre qu’un procès. La situation se complique en plus avec l’absence de textes de loi bien précis en ce qui concerne l’atteinte à la monarchie. On a d’ailleurs eu d’autres précédents où l’Etat a évité d’appliquer la loi. D’autres affaires attendent et cela donne l’impression, d’une part, que l’Etat n’est pas sérieux et encourage, d’autre part, individus et groupes, à transgresser la loi.

Peut-on dialoguer avec des mouvements comme Al Adl Wal Ihssane ?
Le dialogue avec toute organisation suppose des conditions, des règles et des objectifs. Al Adl a des conditions préalables impossibles à accepter par un parti, une organisation ou un groupe comme base de dialogue. Malgré les slogans et appels de la Jamaâ au dialogue, elle ne trouvera pas d’échos. Si l’Etat y a échoué pendant plus de trois décennies, comment veut-on que des partis ou d’autres organisations y parviennent ? Cela relèvera de l’impossible, tant que la Jamaâ tient à ses conditions. Cette dernière classe les partis en deux catégories. Les libéraux et les partis de gauche. Avec les deuxièmes, tout dialogue est refusé par la Jamaâ, même si l’autre partie accepte lesdites conditions. Abdessalam Yassine menace les militants de gauche de les virer de toutes les fonctions comme première étape avant de leur couper mains et pieds…

Les avis divergent concernant le sujet, mais, pour vous, c’est quoi le poids réel d’Al Adl ?
C’est d’abord une organisation disciplinée et soumise à la volonté du Cheikh. Cela donne une grande force morale, mais matérielle aussi. C’est une sorte de grande famille qui ne laisse transparaître ni divergences, ni problèmes internes.
C’est aussi une organisation qui se met face au Makhzen et dans l’inconscient populaire, tout adversaire de ce dernier est à respecter, est digne de respect. A cela s’ajoute la corruption et la mauvaise gestion, le désespoir et l’absence d’horizons. Tous des éléments favorables à l’adoption de postures de protestation et de colère et qui jouent en faveur, non pas uniquement d’Al Adl, mais de tous les mouvements islamistes.

Faut-il toutefois continuer à espérer de les intégrer dans le jeu politique ?
Sur la base de tout ce qui a été avancé, toute tentative de ce genre sera vouée à l’échec du moment que la Jamaâ reste fidèle et intransigeante sur les principes fixés par Abdessalam Yassine.

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