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Lapsus, silences et glissade du directeur général de l’ANAPEC

1. Une migration internationale massive, organisée par une transaction commerciale dépourvue de toute garantie publique et en dehors de tout accord international.
« L’ANAPEC a été approchée par les responsables de l’entreprise émiratie Al Najat Marine Shipping » lors du salon Sit-Expo 2002 « afin de l’assister dans le recrutement de 22000 jeunes marocains, pour le compte d’un groupement d’entreprises européennes armateurs de transport de voyageurs et de croisières ».
Notre agence nationale a donc été, tout simplement, démarchée lors d’un salon par une agence privée étrangère au service de laquelle elle a accepté d’exécuter une opération lucrative, en contrepartie d’on ne sait quoi, en dehors de tout accord international ni convention associant , comme le droit international de la migration, les pouvoirs publics marocains et ceux des pays d’accueil de nos ressortissants.
2. Les critères du recrutement : « Les candidats doivent être de sexe masculin, âgés entre 21 et 45 ans, ayant le niveau scolaire minimum du baccalauréat et être en bonne santé : 3 visites médicales dont 2 au Maroc, les frais de la première sont à la charge du candidat (900 dirhams) de même que l’anglais est souhaitable sans être une condition ». Mais attendez, tout n’est pas encore dit. « Lorsque nous avons un candidat citadin, on le prend mais au niveau de l’ANAPEC cela nous fait plaisir de prendre un candidat éloigné des grandes villes… ». L’ANAPEC préfère donc les ruraux en bonne santé, qui peuvent payer 900 dirhams, produire 6 photos et s’en aller vers Casablanca, avec en poche un bon pour visite médicale auprès de l’unique clinique agréée, la clinique Dar Salam. La chose ressemble à s’y méprendre au recrutement des goumiers, solides gros bras des hauteurs de l’Atlas destinés à renforcer les (premiers) rangs de l’Armée française lors de la Première et de la Seconde guerre mondiales. Et puis les ruraux, c’est bien connu, sont des gens endurants, patients et peu intoxiqués par les journaux et les associations politiques, syndicales, des droits de l’Homme, etc..
3. Les lapsus du directeur général de l’ANAPEC : « sur les bateaux de croisières, les tâches nécessitent un labeur relativement difficile et quotidien (…) l’acheminement des candidats (aura lieu) par trains charterisés de leurs localités de résidence à l’aéroport le plus proche… » Quand on est nommé par dahir et qu’on s’exprime publiquement, on devrait veiller à dépouiller son langage de toute vilaine connotation : les trains charterisés, pour qui a un minimum d’humanité en histoire contemporaine, sont une référence ignoble. Le directeur de l’ANAPEC décrit d’ailleurs les bateaux comme de véritables camps de concentration où le labeur quotidien est « relativement difficile ». Rien à voir effectivement avec le travail de bureau!
4. Les silences du directeur général de l’ANAPEC : rien sur les employeurs de nos 22 000 ressortissants seulement identifiés par leurs ports d’attache Lisbonne, Oslo, Amsterdam et Londres… Rien sur le contrat liant la société émiratie auxdits employeurs, sinon que ces derniers exigent que les candidats soient des hommes, dans la fleur de l’âge, en bonne santé et capables de verser près de 100 dollars chacun. Rien sur les pays d’accueil. Rien sur les conditions de travail, sur la protection sociale, sur le règlement des différends, sur les garanties en matière de recours. Rien non plus sur la conformité de l’opération aux règlements internationaux, notamment les conventions de l’OIT n°9 et n°22 sur le placement des marins (1920) et sur le contrat d’engagement des marins (1926) ni sur la convention n°73 sur l’examen médical des gens de mer (1946).
5. Le directeur général de l’ANAPEC a-t-il été piégé ? Mieux vaut pour lui, pour son tuteur et pour la crédibilité des pouvoirs publics de notre pays que soient immédiatement reconnus, et maîtrisées les zones d’incertitude de cette étrange affaire. Un simple coup d’oeil sur les plus élémentaires des moteurs de recherche sur Internet conduit à plus d’une cinquantaine de références désastreuses autour de la société émiratie Al Najat Marine Shipping. On y trouve des articles de la presse kényane, de la COSATU, puissant syndicat sud-africain, et des organisations internationales de shipworkers qui racontent, et qui dénoncent, ladite société pour une opération absolument identique à celle où s’est fourvoyée notre ANAPEC : un soi-disant recrutement de 50.000 Kényans pour devenir marins auprès de compagnies espagnoles, portugaises et grecques en contrepartie là encore de 95,5 dollars de frais médicaux et de frais de dossier. Les salaires annoncés étaient absolument identiques à ceux promis aux Marocains : 580 dollars par mois plus de 100 dollars à qui sait parler anglais.
Or les Kényans sont réputés anglophones. Le compte est vite fait. Le ministre kényan de l’Emploi, Joseph Ngutu, après quelques jours d’enthousiasme, est saisi par le doute et finit par mettre terme à l’opération le 28 juin 2001. Les marchands de rêve sans scrupule découvrent alors l’ANAPEC marocaine, et son directeur général, frais émoulu, impatient de démontrer que là où il passe le chômage trépasse…

• Fadel Benhalima
Consultant

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