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L’argent sale nuit à la démocratie

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ALM : Comment évaluez-vous les résultats du sommet euroméditerranéen de Tunis ?
Mohamed Elyazghi : Le Sommet 5+5 est un événement d’une grande importance parce qu’avec la crise avec la Libye, cette structure n’a pas fonctionné pendant des années. Or, c’étaient des structures réfléchies et agencées pour faire en sorte que la situation dans la Méditerranée occidentale soit l’objet d’un débat et d’un dialogue qui doit aboutir à une coopération de solidarité. Donc, l’événement en lui-même est très important, mais il reste lié à la dynamisation de l’Union du Maghreb arabe. Or, celle-ci ne peut se faire que si la question du Sahara est réglée définitivement. C’est là où le Maroc a raison de proposer une solution politique et de considérer que c’est le dialogue entre le Maroc et l’Algérie qui peut faire que cette situation ne puisse pas durer et entraver, précisément, l’unité du Maghreb, qui est un choix stratégique et absolument nécessaire. Nous ne pouvons nous développer et avoir des taux de croissance importants que si nous agissons dans le cadre de l’Union du Maghreb arabe.
Estimez-vous que cette union est bloquée par l’Algérie ?
Dans son dernier discours, le président Abdelaziz Bouteflika a estimé qu’au lieu que la question du Sahara doit rester au niveau des Nations Unies au lieu d’être réglée sur le plan des pays du Maghreb. Or, depuis le premier plan de paix présenté par Perez de Cuellar, les Nations Unies sont arrivées à la conclusion qu’il est impossible d’organiser le référendum et qu’il faudrait trouver une solution politique, qui ne peut être que négociée, ce qui explique pourquoi le Conseil de sécurité ne s’est pas rallié au projet de résolution américaine initial qui voulait imposer le plan II de Baker et estimé qu’il n’est qu’un élément de débat, et que ce sont les discussions entre les parties qui peuvent aboutir à une solution de ce problème.
Le secrétaire d’Etat américain, Collin Powell a effectué, récemment, une visite au Maroc durant laquelle il a rencontré des ONG marocaines au sujet de la question des droits de l’Homme. Quelle est votre réaction par rapport à cette question ?
Les ONG américaines doivent d’abord défendre les droits de l’Homme aux Etats-Unis, et notamment un peu de justice et un peu de droits humanitaires pour les détenus à Guantanamo où il y a même des enfants. Les ONG américaines ont lié la lutte contre le terrorisme à une régression dans le domaine des droits de l’Homme, ce qui n’est pas vrai. Car, cette lutte dispose d’un soutien populaire. Nous sommes le seul pays musulman qui est sorti dans la rue manifester contre le terrorisme, le racisme et la haine ; en plus de l’adoption d’une loi sur le terrorisme qui permet au pays de se défendre. Bien entendu, à l’USFP comme dans les autres partis démocratiques, et les organisations marocaines des droits de l’Homme, nous restons vigilants à ce que le droit à la défense soit assuré et la dignité humaine absolument respectée.
En tant que nouveau premier secrétaire de l’USFP, quelles sont vos principales promesses aux membres de votre parti et à l’opinion publique ?
Comme nous l’avons expliqué dans le document du Bureau politique, nous avons trois chantiers : nous avons le fonctionnement de notre parti, puisque nous devons renforcer et enraciner la démocratie interne comme l’a d’ailleurs explicité notre sixième congrès. Un simple regard sur nos statuts et règlements intérieurs peut permettre à tout le monde de se rendre compte de ce choix fondamental. Il nous faut, donc, un fonctionnement non seulement démocratique mais également d’efficacité et de résultats de toutes les instances : du bureau politique à la section. Le deuxième chantier consiste à gérer cette phase dans le cadre de notre choix stratégique de démocratie, et politique lié aux résolutions de notre sixième congrès. Le troisième chantier concerne la préparation de notre septième congrès national. Nous souhaitons adopter des procédures nouvelles de préparation, et que les questions fondamentales soient posées à ce congrès. Et il y a, bien entendu, les relations avec les autres, notamment avec le bloc démocratique que nous souhaitons réactiver, mais sans complaisance, en regardant dans le miroir nos fautes et nos erreurs, et également avoir des passerelles avec toutes les forces de la gauche.
C’est la Koutla d’abord ou la gauche ?
D’abord, la Koutla, mais également et parallèlement, la gauche.
La réunion prochaine de la commission administrative sera-t-elle l’occasion de débattre du bilan de l’action du parti, dont notamment la gestion des dernières échéances électorales ?
Non, la réunion du 21 décembre sera consacrée à la consolidation et l’association de la Commission administrative à tout le débat que nous avons eu au bureau politique et qui s’est soldé par l’adoption d’un document fondamental qu’on peut qualifier de stratégique. Et, il y a les procédures de travail et les mécanismes de gestion sur lesquels elle doit réfléchir afin qu’elle fasse son travail ainsi que celui du Comité central. En troisième lieu, la commission doit élaborer un programme d’actions pour l’an 2004, y compris la préparation de la réunion du Comité central, qui aura lieu au début 2004.
Jusqu’à une date très récente, les centres de décision au sein de l’USFP étaient diffus. Quelle est votre analyse de ce fait ?
Le Bureau politique est une instance élue par la commission administrative qui, elle-même, est issue d’un scrutin de vote secret, lequel est expérimenté pour la première dans l’histoire de notre parti, d’où les dysfonctionnements que nous avons relevés, dont notamment au niveau de la prise de décision. Nous sommes, maintenant, sur les rails pour que tout le monde soit associé à la prise de décision.
Vous avez parlé dans votre document de plusieurs faits, dont l’érosion de l’autorité morale des instances dirigeantes du parti et le recul des adhésions des nouvelles générations. S’agit-il de faits dus à des facteurs exogènes ou propres à la gestion du parti?
Le facteur interne a joué et l’étape que traverse notre pays a joué également. Maintenant que l’autorité du Bureau politique est rétablie, son audience sera élargie, et le respect des directions sera l’un des éléments fondamentaux dans les relations entre les militants du parti et avec les autres partenaires. En ce qui concerne la question des adhésions, nous avons relevé que notre sixième congrès avait décidé de s’ouvrir sur les cadres, les jeunes et les femmes, mais, nous avons constaté que cette ouverture s’est faite surtout au moment des élections. A présent, puisque nous n’avons plus d’échéances électorales proches, nous voulons nous adresser à tous ces cadres, ces jeunes et ces femmes pour nous apporter non seulement leur soutien, mais également leur collaboration et adhésion à notre idéal et à nos objectifs.
Dans ce document, vous avez parlé d’une application des règles de la gestion démocratique. Est-ce que cela sous-entend une officialisation des courants au sein de l’USFP ?
Cette question des courants a été posée à notre sixième congrès. Nous ne refusons absolument pas à ce qu’il y ait demain des véritables courants. Pas uniquement des groupements des personnes. Ce que nous avons dit dans notre document c’est que les militants de l’USF doivent s’écouter et permettre à chacun de s’exprimer, donner son point de vue. Mais, est-ce que cela aboutira à des courants? Nous ne sommes pas hostiles à cela.
Est-ce que les portes sont encore ouvertes à Sassi , Akesbi et les autres qui ont constitué l’association Fidélité à la démocratie?
Nous avons dit qu’il faudrait des passerelles avec toutes les forces de gauche. Cela n’exclut ni nos camarades de Fidélité à la démocratie, ni ceux du parti du Congrès national Ittihadi, ni les autres, qui ont pris du large sans adhérer à aucune formation politique.
Vous avez évoqué, également, de manière très critique, l’état des lieux de la presse de votre parti. Est-ce qu’il y a un programme de redressement de cette situation?
Il va y avoir un programme de redressement. Dans cette première étape, nous avons situé le problème de la presse du parti dans le cadre de l’évolution de la presse nationale. Il est certain que l’élargissement du champ des libertés a fait en sorte qu’il y ait bouillonnement au Maroc, et il y a également des regroupements, notamment financiers, dans le domaine de la presse. Donc, nous nous citons dans ce cadre national, et nous estimons que nous avons un potentiel qui doit se mobiliser et être d’un côté, un moyen de communication efficace, mais ouvert, sur les militants, et d’un autre côté d’information de l’opinion publique.
Dernièrement, le secrétaire général-adjoint du Parti de la justice et du développement, Saâdeddine Othmani, vous a adressé ses félicitations, à l’occasion de votre nomination à la tête de l’USFP. S’agit-il d’un signe de réconciliation à l’égard de ce parti, ou d’un simple geste protocolaire ?
Saâdeddine Othmani m’a félicité de vive voix et j’ai senti beaucoup de chaleur dans ce message. Je pense que ce geste est très important. Bien entendu, nous ne pouvons que souhaiter une évolution de nos frères du PJD dans le sens de l’enrichissement du pluralisme marocain, mais en refusant absolument toute idée de parler au nom de la religion, afin d’éviter à notre pays les dérapages qui ont eu lieu ailleurs. On constate tous les jours une évolution chez nos frères du PJD que je peux qualifier de positive.
Etes-vous prêts à défendre le gouvernement de Driss Jettou lors des prochaines élections ?
Dans les prochaines élections, nous présenterons le bilan de ce gouvernement, puisque nous en faisons partie. Nous avons participé grandement à l’élaboration de son projet, et nos groupes parlementaires l’ont soutenu. Evidemment, notre congrès fera l’évaluation de toute cette étape, depuis le gouvernement de l’alternance jusqu’à maintenant. En répondant aux questions fondamentales, il va décider de la stratégie à adopter de 2004 jusqu’à 2007.
Mais, nous constatons deux choses : d’une part, le Premier ministre privilégie les ministres sans appartenance politique, et d’autre part que l’USFP ne se fait pas distinguée au sein de ce gouvernement. Chaque ministre agit selon ses moyens et ses convictions. Qu’en dites-vous ?
Non, il y a des choses qui font partie du choix politique de l’ensemble du gouvernement et là le Premier ministre fait son travail de coordinateur. Lorsque le Plan Baker II a été présenté, le Premier ministre a posé le problème au sein du gouvernement, et puis au niveau de la majorité. De surcroît, nous avons une instance qui est celle des responsables politiques que le Premier ministre appelle régulièrement à débattre des problèmes fondamentaux, et il y a bien sûr l’activité sectorielle. Chaque ministre est responsable dans son secteur de l’application du programme général, et là je ne pense pas que le Premier ministre privilégie ses amis.
Faute de respect de la méthodologie démocratique que vous avez évoquée après les élections du 27 septembre 2002, des voix au sein de l’USFP ont appelé au retour à l’opposition. Mais, êtes-vous prêts à le faire ?
Nous sommes le seul parti qui a posé le problème de la méthodologie démocratique. Aucune force politique ou syndicale ne l’a fait. Mais, nous avons également, décidé de participer à ce gouvernement, en posant comme condition l’élaboration d’un programme. Le Premier ministre désigné, Driss Jettou, a discuté avec l’USFP du programme et nous lui avons soumis les avants-projets que nous avons réalisés. Donc, la participation de notre parti s’est faite dans la clarté, bien qu’au niveau de notre Comité central, il y avait toutes les hypothèses. Mais, en fin de compte, le Comité central a laissé au Bureau politique le soin de gérer la question de la participation (ou non) au gouvernement. Maintenant, la prochaine étape est celle de notre congrès. C’est lui qui va évaluer toute cette phase, y compris les élections.
Des événements se succèdent de manière rapide sans que votre parti n’arrive à se prononcer à leurs égards comme c’est le cas pour l’émigration clandestine et ses effets douloureux en termes de pertes humaines. Qu’en dites-vous ?
Ce qui arrive à nos jeunes qui essaient de traverser, au prix de leur vie, le Détroit pour aller au paradis européen, nous touche profondément. Mais, nous souhaitons lutter contre la pauvreté chez nous, faire en sorte qu’il y ait plus d’investissements créateurs d’emplois et avoir une coopération de solidarité avec l’Union européenne, et les organisations spécialisées des Nations Unies pour que les jeunes ne se lancent pas dans des aventures très dangereuses. Nous faisons appel à tous les jeunes pour qu’ils ne perdent pas espoir dans leur pays. Car, nous ne pouvons régler nos problèmes que chez nous et entre nous. L’illusion d’échapper à notre destin amène toutes ces morts et ces victimes. Peut-être, il y a eu carence de notre part, après les derniers évènements de Cadix, mais, cela ne veut pas dire que l’USFP n’est pas présent. Au sein du gouvernement, également, ces tragédies ne passent pas inaperçues.
Un suicide d’une autre nature, le nomadisme politique. Ce qui se passe, actuellement, au Maroc est grave. Normalement, l’USFP doit avoir une position ferme à ce sujet. Mohamed Bouzoubaâ semble mener seul un combat contre la transhumance partisane. N’est-ce pas ?
Nous estimons que la transition démocratique est menacée par deux choses : le terrorisme, la haine et toute politique de retour en arrière, et ce problème de l’utilisation de l’argent. On a remarqué lors de l’élection du tiers de la Chambre des conseillers ce fait, et nous sommes décidés à lutter contre ces deux dangers, pour permettre l’enracinement du choix démocratique et de la modernité et faire face à tous les problèmes économiques et sociaux du pays. Le nomadisme vient, d’une part, de cette utilisation de l’argent et d’autre part, du fait que nous sommes arrivés à ce que le ministère de l’Intérieur n’intervienne plus dans les élections. Alors, d’un côté, nous avons toute cette évolution positive, qui a fait qu’il n’y a plus de truquage des élections dans notre pays et plus d’intervention de l’Administration à la place des électeurs, et de l’autre, il y a ce phénomène. Nous pensons que la lutte contre le nomadisme se fera par l’élaboration de la loi sur les partis politiques, qui permettra à notre pays de bénéficier de cet espace de liberté, aux Marocains de s’exprimer et à toutes les sensibilités d’avoir droit au chapitre. Mais, en même temps, il faut éviter cette mosaïque de partis, et l’utilisation de l’argent dans la vie politique. Je pense que Mohamed Bouzoubaâ a raison d’engager des procédures. Parce qu’il est impossible au Parquet de lire chaque jour dans les journaux des faits graves sans réagir. Maintenant, la question est entre les mains des juges d’instruction.
L’USFP a salué la création de l’Instance équité et réconciliation, mais sans trancher dans certaines questions de fond, notamment en ce qui concerne les poursuites pénales. Quelle est votre position au sujet de la responsabilité sur les violations des droits de l’Homme ?
Notre parti a posé très tôt le problème des détenus et des exilés politiques. Dans notre mémorandum commun sur la réforme constitutionnelle, il y avait une deuxième partie qui concernait les libertés et le respect des droits de l’Homme. Nous avons soutenu la création du Conseil consultatif des droits de l’Homme et accepté, à l’époque même, en ce qui concerne sa composition de faire appel à des gens qui ont des responsabilités gouvernementales, parce qu’il fallait qu’il y ait une instance qui puisse proposer à SM le Roi prendre des mesures. D’où l’amnistie qui a permis aux exilés de revenir dans leur pays. Ce qui est un pas extrêmement important. Dans une deuxième phase, il a fallu se pencher sur le problème de la détention arbitraire et des enlèvements. Le Conseil a proposé une formule à SM le Roi qui a décidé de la création de ce comité de réparation qui a fait un excellent travail. Nous avons estimé que c’est cette procédure qui convient à notre pays. Chaque pays parmi ceux qui ont connu des détentions arbitraires et une répression féroce, a élaboré une méthode qui lui convient et lui permet d’avancer dans la démocratisation. Mais, sans aller vers des ruptures qui peuvent ramener en arrière. Vous avez l’expérience de l’Afrique du Sud, du Chili, de l’Argentine et de l’Espagne où il y a tout un débat autour du déterrement des corps des victimes de la répression franquiste. Nous pensons que c’est une étape importante que vient de franchir notre pays avec la création de cet organisme et nous estimons que la vigilance des organisations des droits de l’Homme est là pour jouer le rôle qu’il faut afin que les choses puissent avancer dans le sens positif.
Dernier point, quand est-ce le septième congrès de votre parti?
C’est la Commission administrative qui le décidera.

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