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Le laboratoire Sothema crie au dumping et menace d arrêter la production d insuline

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ALM : Sothema est le seul laboratoire marocain à produire de l’insuline pour les diabétiques. Comment se présente ce marché ?

Omar Tazi : Cela fait 30 ans que nous fabriquons de l’insuline et le Royaume, durant toutes ces années, n’a jamais souffert de rupture de stock de ce produit. En effet, le produit fini de l’insuline peut tenir deux ans avant péremption alors que les cristaux peuvent être utilisés 20 ans sans problème. C’est ce qui nous permet une gestion très pertinente de ce médicament vital pour les diabétiques et donc absolument nécessaire pour le pays. Cette expertise nous a même permis de commercialiser ce produit dans certains pays d’Afrique, ce qui a tout de suite déplu à un de nos concurrents sur le marché. À chaque fois que nous prospectons un pays et que nous nous y introduisons, les prix de ce médicament baissent parce que nous ne cherchons pas des marges faramineuses. Ce qui fait que nous prenons des parts de marché au laboratoire concurrent. Forcément, la solution la plus facile pour ce dernier est que Sothema arrête sa production d’insuline.

Comment ce laboratoire concurrent a-t-il réagi face à cette situation ?

Ils ont simplement choisi de brader leurs prix pour nous forcer à abandonner le marché. C’est ainsi qu’ils ont baissé le prix du médicament jusqu’à le vendre au ministère de la santé à 16,80 dirhams alors qu’ils le facturaient à 25 et 30 dirhams. C’est un prix qu’ils n’avaient jamais pratiqué dans un autre pays, ce qui nous obligerait  à arrêter la production de l’insuline car son prix de revient est au-delà de 19 dirhams. Il est clair que Sothema est victime de dumping. Nous avons contacté le ministère de l’industrie qui nous a orientés vers la procédure à suivre dans ce genre de situation. Il fallait donc que Sothema constitue un énorme dossier. Cela nous a pris 2 ans pour le monter.

Dans ce document, nous avons démontré comment ce concurrent dans un élan d’aide qu’il apporte à 50 pays dans le monde, facture l’insuline à seulement 20% de son prix normal et vend donc à près de 20 dirhams la boîte à ces pays dans le besoin. Le Maroc étant un pays qui couvre ses propres besoins en produisant de l’insuline à travers les laboratoires Sothema, ne fait pas partie de ces 50 pays et pourtant ce concurrent y pratique un prix de 16,80 dirhams la boîte.

Cela équivaut donc pour ce concurrent à vendre à perte. Comment arrivent-ils donc à tenir?

Bien sûr qu’ils vendent à un prix inférieur à leur prix de revient mais vu leur chiffre d’affaires très important réalisé à travers le monde, ça reste un léger sacrifice pour écarter un concurrent qui les dérange sur le marché.

Où en est le dossier que vous avez constitué ?

Nous avons monté le dossier, nous l’avons transféré au ministère de l’industrie qui a fait son enquête et qui s’est prononcé : «Le dumping est avéré». Maintenant, c’est au gouvernement de prendre ses dispositions. En effet, selon la loi, il faut retirer le marché à celui qui pratique le dumping et lui imposer des droits de douane. A ce sujet, nous avons contacté tous les ministères concernés pour leur expliquer que s’ils continuent à collaborer avec ce concurrent, Sothema se retrouvera face à un dilemme. Doit-on stopper la production d’insuline et exposer les diabétiques marocains au risque de pénurie ? En effet, si la loi anti-dumping n’est pas appliquée, nous serons obligés d’arrêter notre production d’insuline et le Maroc deviendra dépendant des aléas des importations. Maintenant le dossier est entre les mains du ministère de la santé, celui-ci endosse la responsabilité des décisions qu’il prendra.

Le générique a-t-il la place qu’il mérite au Maroc ?

Le générique ne représente que 30% du marché global des médicaments au Maroc contrairement à des pays comme l’Angleterre ou les USA où le recours aux génériques est plus prépondérant. C’est très faible et il faut réagir pour le développement de ces médicaments. Cependant, là encore ce n’est pas de notre ressort. Par ailleurs, il est communément admis que de nombreuses multinationales possèdent en plus de leurs molécules originales,  des génériques qu’ils vendent à des prix bas. Si notre activité n’est pas assez protégée par le respect des lois anti-dumping notre industrie de génériques risque de disparaître.

Comment se porte Sothema ?

Comme vous le savez, nous sommes cotés en Bourse et nous sommes donc tenus de publier nos résultats. Vous avez dû le remarquer,  nos résultats en ce premier semestre 2013 sont bons et continueront à l’être.
A ce titre, il convient de relever qu’au niveau de la profession, il y a un malaise général qui plane et beaucoup de sociétés sont en train de stagner ou de régresser. Ce malaise trouve son origine dans la série d’événements qui ont empêché la prise de décisions stratégiques par le ministère concernant les prix des médicaments. C’est ainsi que même en multipliant les efforts de redressement, la stagnation est au rendez-vous, les choses ont pris une mauvaise tournure et cette situation n’est ni normale ni positive. À noter qu’un accord a été conclu entre l’AMIP et le ministère de la santé et qu’il n’a jamais été opérationnalisé.

Comment Sothema arrive-t-il donc à performer dans ce climat de crise?

Heureusement, nous ne sommes pas touchés par cette conjoncture, pour la simple et bonne raison que nous avons opté depuis le départ pour la diversité. A ce sujet nous avons quatre activités. D’abord, les médicaments sous licence, que nous fabriquons et que nous distribuons, ensuite le façonnage qui est une activité très importante qui prospère puisque nous avons non seulement la confiance des laboratoires marocains mais également de ceux étrangers.
La troisième activité est l’export, nous sommes dans une dynamique de développement et de distribution de nos produits dans des pays arabes et africains. Les ventes progressent d’année en année mais vous comprendrez que ça avance lentement parce que l’enregistrement qui précède la commercialisation d’un médicament peut prendre de 2 à 3 ans. Enfin, il y a le développement du générique. Cette activité est gérée par une équipe de recherche et développement qui veille à la production et au lancement de toute une série de médicaments génériques. Conclusion, à fin 2012, Sothema a réalisé une progression de 12% maintenant son rythme d’évolution.

Pensez-vous maintenir le cap à l’avenir ?

En matière de perspectives, je vous avouerais que cette progression à 12% ne nous suffit pas. Nous souhaitons atteindre des progressions de 50 à 60%. Cela serait possible avec l’addition d’une nouvelle activité et qui est la biotechnologie. Cette nouvelle génération de médicaments n’est pas encore fabriquée au Maroc et Sothema est en train de se préparer à la commercialiser en 2014 si tout se passe conformément à nos plans stratégiques. Ces produits sont très coûteux et généralement les multinationales les commercialisent à des prix exorbitants. C’est là que nous intervenons puisque notre objectif est de les vendre à moitié de leur prix sur le marché.
En effet, nous sommes conscients que ce sont des médicaments prescrits dans le traitement de maladies graves comme le cancer et l’hépatite et notre objectif est de les rendre plus accessibles à nos concitoyens atteints de ces graves maladies.

Comment vous préparez-vous à entamer cette nouvelle activité ?

Cela fait 30 ans que nous fabriquons de l’injectable très spécialisé. Cela veut dire que la biotechnologie entre dans nos compétences puisque nos techniciens et nos pharmaciens sont rodés à ce genre de spécificités du métier. Bien sûr nous ne pouvons pas prétendre inventer cette technologie mais c’est un nouveau challenge pour nous et nous y mettons l’investissement qu’il faut. A ce titre, nous avons acquis tous les équipements nécessaires et veillé à assurer à nos équipes un transfert de savoir et de technologie dans les règles de l’art grâce à un partenariat avec des laboratoires européens experts en la matière. Nous serons donc les premiers laboratoires marocains à nous lancer  dans la biotechnologie, ce qui permettra à nos produits de couvrir non seulement les besoins de notre pays  mais également ceux de toute la région, voire de tout le continent. Nous sommes conscients qu’il s’agit là d’un travail de longue haleine, mais je crois que nous avons l’engagement nécessaire et la volonté pour y parvenir.

Quels sont les obstacles que vous appréhendez dans l’introduction de cette nouvelle technologie de fabrication de médicaments ?
J’imagine que l’obstacle majeur que nous rencontrerons serait la résistance de certaines multinationales à l’introduction de ces médicaments sur le marché marocain et à leur accessibilité à nos concitoyens. C’est là que nous faisons appel à notre administration publique qui, sans son appui, nous n’arriverons jamais à vendre un seul flacon. Je réitère donc une nouvwelle fois mon appel aux pouvoirs publics pour sauver l’industrie nationale,  lui permettre de se développer et de se donner les moyens de devenir concurrentielle et génératrice de valeurs.

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