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Les abus de l’information médicale

«Résultats de l’étude internationale sur la santé sexuelle», tel est le thème de la conférence, qui aura lieu mardi 23 avril 2002 à Casablanca, organisée par l’association méditerranéenne de l’andrologie (AMA). Les organisateurs de cette rencontre désirent à cette occasion exposer “ la nouvelle approche adoptée par l’étude menée auprès d’un échantillon de 26.000 hommes et femmes, âgées de 40 à 80 ans, appartenant à 29 pays dont le Maroc“. Objectif annoncé : évaluer la santé sexuelle au cours de cette “phase importante“ de la vie de l’individu en analysant les comportements, attitudes, difficultés sexuelles et leur prise en charge thérapeutique.
L’AMA n’est pas seule dans cette opération. L’initiative est organisée en partenariat avec les laboratoires pharmaceutiques Pfizer Maroc. Voire… C’est ces derniers qui mènent la danse, sponsorisent cette action si l’on en juge que le fax d’invitation émane du département Pfizer marketing et que Ama y appose juste sa signature qui sonne comme une onction.
Parallèlement à cette journée d’étude, le géant américain lance le 19 avril un programme de formation d’une durée de 6 mois au profit de 1000 médecins généralistes marocains. Objectif déclaré de cette : briser les tabous de la sexualité, battre en brèche les gênes, instaurer un véritable partenariat entre le médecin est le patient.
Cela dit, le document d’invitation ne fait aucune mention du médicament que les laboratoires Pfizer comptent promouvoir à cette occasion. Certainement, le viagra réputé pour ses vertus sexuels. L’aréopage heureux des 1000 médecins aura la mission, avec des arguments irrésistibles à la clé, de vanter les mérites des pilules magiques pour mieux booster les ventes. Les articles de presse contribueront également à la hausse du chiffre d’affaires. Quelque 10 à 12% des profits du secteur pharmaceutique au Maroc sont dédiés à la communication. Mais comme la publicité sur les médicaments est interdite au Maroc au motif que ceux-ci ne sont pas considérés comme un produit de consommation, il y a naturellement lieu de s’interroger. À qui profite cette manne et sous quelle forme ? Bien entendu, les fonds ne peuvent emprunter que des circuits détournés. Ce qui pose d’emblée un problème de transparence, voire d’éthique.
Cette situation renvoie aux pratiques commerciales des multinationales du médicament comme Pfizer sur fond de concurrence féroce et de course effrénée au gain. C’est que les intérêts en jeu sont colossaux. Pour consolider leur position sur le marché international, les laboratoires sont tenus de lancer pratiquement chaque année des molécules porteuses, susceptibles de dépasser 1 milliard de dollars de ventes. La recherche du profit et de la compétitivité nécessaires favorise certains procédés qui tombent sous le coup de la loi : entente illicite sur les prix, constitution de cartels et expérimentations hasardeuses dans les pays du tiers-monde ou sur des populations marginalisées. Le Maroc évidemment n’échappe pas à ces procédés peu clairs.
Il ne suffit pas qu’un médicament obtienne les autorisations nécessaires des instances sanitaires des pays développés, la France par exemple, pour qu’il soit mis en vente et prescrit par les médecins à leurs patients. Après la phase d’expérimentation sur les animaux, il faut faire la même expérience sur des cobayes humains. Et ce n’est assez pour crédibiliser le nouveau produit aux yeux des marchés importants. Il est indispensable que le laboratoire inventeur sensibilise des médecins praticiens du tiers-monde, triés sur le volet, en leur demandant de faire des communications souvent complaisantes sur l’efficacité du médicament et sur ses bienfaits empiriques. À ce stade, intervient le volet des séminaires et autres congrès organisés en grande pompe à Paris, Londres, Rome ou dans îles exotiques où sont invités les médecins pharmaciens des pays cibles du monde occidental. Souvent, cette façon de travailler débouche sur des scandales. Le Viagra de Pfizer, dont on a de cesse de mettre en valeur les , n’a-t-il pas conduit à des décès aux Etats-Unis et ailleurs ? “Justement l’objectif d’initiatives comme la conférence de l’association méditerranéenne d’Andrologie est d’augmenter les ventes du viagra qui commencent à s’essouffler“, explique un médecin. Il semble que Zoloft du même Pfizer, médicament conçu contre les troubles obsessionnels compulsifs, ait été responsable en France de nombre de suicides chez les jeunes. Produit par Bayer, Baycol, cet anti-cholestérol, a été retiré du marché mondial en août 2001après sa mise en cause dans plus d’une centaine de décès. On peut multiplier à l’envi aussi les cas de procès intentés aux géants pharmaceutiques par des consommateurs lésés.
Ces multinationales ont un pouvoir qui se dépasse celui des États. Un pouvoir qui décline en termes d’intérêts et de d’assise financière qui leur permet de participer notamment dans des pays sous-développés ou en voie de développement à des programmes de lutte contre certaines maladies. Au Maroc, Pfizer est engagé, en collaboration avec le ministère de la Santé, dans un plan ambitieux de lutte contre le trachome d’une valeur de plusieurs dizaines de millions de Dhs. À l’occasion de la visite en mars 1999 dans le sud du Maroc de l’ex-première dame des Etats-Unis Hilary Clinton, Pfizer Maroc qui a réalisé en 2000 un chiffre d’affaires de 160 millions de Dhs, a fait à cette occasion don d’antibiotiques en guise de contribution à l’éradication de ce fléau qui frappe cette région. Pour sa part, le représentant de Pfizer Philantropie, Mike Hodin a annoncé que son laboratoire a fait cadeau au Maroc de trois millions de dollars en médicaments et d’une aide de l’ordre de 750.000 dollars, étalée sur deux ans, qui concerne l’appui à l’éducation sanitaire, la chirurgie trichiasis, l’amélioration des conditions d’hygiène… Voilà comment on se soucie de la santé et du bien-être des malades pour mieux faire grimper le cours de l’action en gonflant constamment le chiffre d’affaires.

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