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Les camps de la honte

© D.R

ALM : Quel souvenir gardez-vous des geôles du Polisario?
Abdellah Lamani : C’est une marque d’infamie sur le front de l’Algérie, de la Ligue Arabe, de l’Organisation de la Conférence Islamique et de l’ONU. A Tindouf, l’homme s’apparente à l’animal. Les sentiments humains n’existent plus dans ces camps de la honte. Ce que je décris dans mon livre ne représente même pas la moitié de la réalité. Le rôle de l’Algérie va au-delà du simple soutien. Ils sont les militaires algériens qui sont responsables à part entière des atrocités commises à Tindouf. Quant au Polisario, il est composé d’Algériens, de Maliens, de Mauritaniens et même de Marocains recherchés pour crimes de droit commun et qui ont trouvé refuge en Algérie.
Combien de camps y a-t-il à Tindouf?
Il y a deux camps principaux, Rabouni et 9 juin. Dans chacun d’eux, 300 à 350 Marocains sont détenus dans des conditions déplorables. A cela, il faut ajouter une vingtaine d’autres camps qui comptent 20 à 30 détenus chacun. Certains d’entre eux sont assignés à des travaux forcés dans le bâtiment ou le creusement des puits. A Tindouf, nous n’avons aucune notion du temps. On ignorait si nous étions en 1986 ou en 1996, Un lundi ou un vendredi. Ce n’est que dernièrement, sous les pressions internationales que nous avons eu droit à une télévision et de faire nos prières par exemple.
Comment avez-vous fait pour écrire votre livre sur les atrocités de la détention?
Depuis une dizaine d’années, j’ai commencé à travailler avec trois médecins également des prisonniers marocains qui s’occupaient de la santé de leur compatriote. Deux d’entre eux ont été libérés au même temps que moi mais l’un d’entre eux, Khmamouch Mohamed est toujours détenu à Tindouf. Mon rôle était, entre autres, de traduire les rapports des médecins du français vers l’espagnol. Ces rapports étaient présentés aux différentes ONG espagnoles qui visitaient les camps. C’est de cette manière que j’ai pu rédiger mes manuscrits. D’ailleurs, ce n’est pas la deuxième fois que je le fais. A cause de la pluie, mon premier manuscrit a complètement disparu car je l’avais enterré dans un lieu qui a été inondé par la pluie.
Comment avez-vous fait pour sortir ce manuscrit alors que vous étiez toujours à Tindouf?
C’est grâce à des amis étrangers que cela a été possible. Ce fut en 2000. Le 26 juin dernier, des prisonniers Marocains ont entendu parler de moi et du livre lors du journal de 20h sur la télévision marocaine. Bien sûr, j’ai totalement nié mon implication. La même nuit, à 1h 30, j’ai été convoqué par le tristement célèbre M’barek Oueld Khouna. C’est un véritable criminel, un boucher. Il est chargé de la sécurité dans le camp où je me trouvais. C’était le début d’un mois d’interrogatoire.
Comment s’est déroulé cet interrogatoire?
En fait, j’ai totalement nié avoir écrit ce livre malgré les menaces d’Ouled Khouna. Je pense que lui-même était convaincu que les services secrets marocains avaient rédigé le livre en mon nom. J’ai profité de ses doutes pour garder la vie sauve. Aucun prisonnier marocain n’était au courant de mon entreprise, sauf un seul, le médecin qui a également été libéré, le Dr Mohamed Assefa. Je lui racontais tout, dans les moindres détails. J’ai également eu droit à un interrogatoire de la part des services secrets algériens, la veille de mon retour au Maroc. Je leur ai répété la même chose.
Parlez-nous de votre retour au Maroc.
En fait, c’est une question d’une extrême importance. Le 1er septembre, nous avons été transportés dans un avion DC9 de Tindouf vers Agadir. Je pense que l’avion était ukrainien. Dès notre arrivée, nous sommes rentrés dans une base militaire, celle de la 3ème GFT. Sur les 243 prisonniers, nous étions 14 civils. Au bout de quinze jours, la situation des militaires a été complètement réglée. Certains ont touché 30 millions de centimes, d’autres 50 millions de centimes. Nous, les civils, nous sommes restés cinq semaines dans la base militaire. La semaine dernière, nous avons reçu 1000 DH chacun et conduits vers l’hôtel Pergola à Agadir. Vendredi dernier, nous avons été reçu par le gouverneur d’Inzegane. Nous avons reçu 10.000 DH chacun et une lettre adressée au gouverneur de la province ou la préfecture dont nous dépendons.
Qu’allez-vous faire maintenant?
Personnellement, je n’ai pas où aller. J’ai une lésion au genou qui m’empêche de me tenir debout plus d’un quart d’heure. Je suis originaire de Casablanca et je n’ai qu’une soeur qui a six enfants. D’ailleurs, des prisonniers détenus en 1976 se sont présentés devant certains gouverneurs avec la fameuse lettre et n’ont reçu que 50 DH et 11 kg de légumes. Or, le commando qui m’a kidnappé en 1980 était composé de mercenaires qui sont retournés au Maroc et ont reçu tous les honneurs. C’est le cas d’un certain Rguibi, libéré en 1995.
Que demandez-vous maintenant?
Si les responsables ne peuvent rien pour nous, qu’ils nous donnent au moins nos cartes nationales et nos passeports et nous iront voir la Croix-Rouge qui peut nous trouver un autre pays d’accueil. J’ai passé 8.300 jours de détention, les quelques semaines passées au Maroc sont beaucoup plus douloureuses.

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