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Lettre ouverte au président George W.Bush

Monsieur le Président,
Aucun citoyen conscient, aucun responsable sensé, aucun pays même je crois, ne souhaite que l’irréparable soit fait dans les prochaines semaines avec l’Irak. Je ne veux pas céder à un angélisme commode et croire que l’histoire des hommes, telle qu’elle s’est déroulée depuis des siècles et des millénaires, a été rationnelle et qu’elle n’a pas été générée par l’égoïsme national, l’ambition des empires ou la folie et la barbarie des hommes ; mais je garde toujours l’espoir que la civilisation l’emportera en dernière instance et que les valeurs de dignité et de liberté qui la fondent resteront notre référentiel commun.
En tant que marocain, patriote, je ne puis que comprendre le patriotisme des autres : celui du peuple irakien. Mais pour autant, l’expression de ce sentiment doit être aussi appréhendée à la “une” des nécessités et des exigences de la communauté internationale, notamment la préservation de la paix et de la sécurité dans le monde. Aujourd’hui, posons-nous cette question simple, pour commencer: qui menace qui ?
L’Irak, pour des raisons connues est mis sur la sellette à cet égard depuis plusieurs années. La résolution 1441 du Conseil de sécurité votée en novembre dernier fixe les voies et les moyens d’une approche conséquente de nature à conduire à un processus devant lever à terme toutes les préventions existantes contre ce pays. Par la voie de cette haute instance de l’ONU, un accord collectif s’était dégagé sur deux principes : en cas d’échec de cette démarche, l’examen de toutes les options, y compris celle du recours à la force.
Il me paraît frappé au coin de la sagesse et de responsabilités que peut donner l’inspection avant d’envisager le recours à la force. De même, me semble tout à fait conséquente la proposition de certains grands pays-comme la France, l’Allemagne, la Russie ou la Chine-de renforcer les moyens des inspections et des missions de MM. Blix et El Baradai pour que l’on ne puisse pas dire, un jour, que la voie de la paix n’a pas été totalement explorée et qu’elle n’a pas eu toutes les chances de prévaloir.
Je ne doute pas que votre administration partage au fond le souci de se conformer à la légalité internationale même si je ne peux que m’interroger sur la posture que prend de plus en plus le positionnement de vos troupes et de leur logistique d’appui autour de l’Irak et dans le Proche-Orient. Mais je crois qu’un chef d’Etat d’un grand pays comme le vôtre doit avoir le courage d’une mise au net, notamment : l’opinion de la guerre peut paraître la plus «efficace» et la plus rapide, certes ; mais après, est-on être sûr que la paix et la sécurité soient assurées et garanties ?
Ce serait une erreur de croire, vous le savez certainement, Monsieur le Président, que la guerre annoncée contre l’Irak serait une sorte de « remake » de celle menée, voici douze ans, contre ce même pays. A l’époque, ce dossier de la guerre était spontanément ‘lisible’, pourrait-on dire, un pays ayant été envahi par un autre. Or, aujourd’hui qu’en est-il ? Cette guerre programmée contre l’Irak n’est-elle pas fondée davantage sur l’expression d’une conviction, d’une croyance, d’un parti pris même, que sur des éléments de culpabilité indiscutables ? Comment ne pas voir aussi que le désarmement de l’Irak –car n’est-ce pas là ce qui est fondamentalement en cause ?-voit les termes de cette équation évoluer et nourrir d’autres problématiques : qui est avec l’Amérique et qui est contre elle ? Les pays n’ont pas d’autres choix que de s’aligner de manière inconditionnelle sur la position de Washington. Or, l’on ne peut évacuer dans le même temps certaines questions de principe touchant les méthodes, les objectifs, les conséquences d’une guerre hélas annoncée. Le monde tel qu’il est aujourd’hui est sans doute celui de la prévalence de valeurs universelles auxquelles adhèrent de plus en plus de pays. Il n’implique pas je ne sais quelle vassalité qui imposerait à certains d’entre eux de se taire, bien au contraire, le pluralisme bien compris commande l’exercice du droit à la différence, lequel passe par le droit à la question : ainsi, avant d’entrer dans une guerre –si « légitime » puisse-t-elle être – il faut bien avoir appréhendé et défini les buts qu’elle poursuit ; dans le même temps, les enjeux et la dimension de l’après-guerre doivent être évalués d’une manière conséquente.
Les quelque 80% d’Européens qui sont aujourd’hui hostiles à une intervention militaire en Irak sont-ils tous dans l’erreur ? Il est difficile de le croire. Voilà bien de quoi démentir les assertions péremptoires de tous ceux qui, aux Etats-Unis et ailleurs, mettent en relief –en particulier depuis les attentats du 11 septembre- le fait que l’on est bien entré dans une phase historique de « choc des civilisations ». C’est vous dire, Monsieur le Président que ce qui est désormais à l’ordre du jour de ce début de troisième millénaire, c’est la promotion et la consolidation d’un socle de valeurs universelles partagées par tous les peuples : indépendance, souveraineté, liberté, démocratie, coopération, paix, développement solidaire, etc…
En tant que Marocain, je sais la nature et la qualité des relations entre nos deux pays – des rapports d’amitié et de coopération scellés dès le départ, en 1776, par le premier traité diplomatique signé entre Georges Washington et Mohammed III. Je n’ignore pas non plus ce que représentent les valeurs authentiques de démocratie et de liberté qui ont fait de votre fédération un modèle-phare des sociétés modernes. Je mesure aussi l’importance du potentiel créatif de votre pays et son profond attachement à tant de valeurs de références que nous partageons avec lui, par-delà nos spécificités culturelles. Mais, c’est précisément au nom de ce fonds commun que je vous dis : « Donnez une chance à la paix ! ». La sagesse et la grandeur d’un pays ne s’apprécient pas vraiment sur la base de jeux de guerre et de gesticulations de même nature mais dans la force du magistère moral qu’il peut mettre en exergue et faire prévaloir.
Tel est bien l’enjeu aujourd’hui. Se lancer dans une aventure militaire, ce n’est pas faire une oeuvre de paix et de civilisation mais activer par réaction des dynamiques peu maîtrisables. Les tenants du terrorisme et les ennemis de la démocratie, dans le monde et dans notre aire régionale et arabo-musulmane, ne vont pas manquer alors de trouver «légitime» la résistance à la politique de la canonnière. Mettant à profit des conditions socio-économiques difficiles, jouant sur les frustrations et les rancoeurs que génère en particulier la situation du peuple palestinien, ils n’auront de cesse de provoquer les conditions d’une déstabilisation qui n’épargnera personne.
Mon appel se veut l’acte d’un homme épris de paix qui estime que l’amitié du peuple marocain pour le peuple américain n’implique pas le mutisme, bien au contraire, elle commande un dialogue franc, responsable et fécond. Je prie Dieu d’éclairer vos pas dans ce sens pour le plus grand bien de la paix entre les peuples et le triomphe de leurs idéaux de liberté et de démocratie.

• Mahmoud Archane

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