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Luis Planas Puchades : «Si les réformes au Maroc s’accélèrent, l’Union doit être au rendez-vous»

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ALM : La présidence espagnole de l’UE coïncide avec l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions introduites par le Traité de Lisbonne. Quel effet cela vous fait-il d’assumer la lourde responsabilité de conduire les affaires européennes dans une situation aussi particulière ?
Luis Planas Puchades : L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne est très importante. Après l’élargissement à vingt-sept membres, l’Union européenne avait besoin d’un renfort et d’un nouvel élan d’intégration. Ce Traité en est la réponse. C’est à l’Espagne comme présidente qui lui correspond la tâche de la mettre en œuvre. On dispose déjà d’un président de l’Union, d’une Haute représentante de la politique extérieure et dans les prochains mois, on développera les nouvelles dispositions. Mais ce qui est important c’est que l’Union européenne fonctionne et donne des réponses européennes aux problèmes quotidiens des citoyens, ce qui n’est pas toujours facile.

L’Espagne se trouve confrontée aussi au fait qu’elle assume la présidence d’une Union en convalescence de la crise économique dont elle souffre encore des séquelles. Comment envisage-t-on, à Madrid, la gestion de cette période de convalescence et d’accélérer la sortie de la crise?
Effectivement, la coordination de la réponse à la sortie de la crise est la tâche la plus éminente de notre Présidence. Toutefois, il convient de lancer un regard en arrière : Qu’est-ce qu’on serait devenus sans l’Union ? Sans l’euro ? C’est la première crise avec ces dimensions en Europe qu’on va être capables de surmonter sans qu’il y ait conflit social ou entre nations, de caractère violent. Quant au futur immédiat, on doit coordonner les politiques économiques des différents Etats membres, pour qu’on puisse récupérer, dans les plus brefs délais, la voie de la croissance économique et la création d’emploi. Aussi pour améliorer les mécanismes de supervision financière à l’origine de la crise. À moyen et long termes, on doit chercher les moyens et outils nécessaires pour une plus importante croissance, tout en étant respectueux avec l’environnement et en préservant notre protection sociale. Une croissance économique européenne moyenne de 1%, comme celle de la dernière décennie, est insuffisante. Pour cela, une des tâches centrales de la Présidence sera la révision du dénommé programme de Lisbonne, pour pouvoir atteindre ces nouveaux objectifs, plus ambitieux.
Quant à l’Espagne, notre situation est similaire à celle des autres pays, c’est vrai que chacun a ses particularités. On a eu pratiquement deux décennies de croissance économique robuste et ininterrompue, ainsi que de création de richesse et d’emploi. Actuellement, on traverse un moment difficile, mais duquel on sortira, j’en suis convaincu. L’Espagne s’en est toujours tirée, avec travail et ténacité, des grands défis collectifs.

La crise économique a remis en cause, chez les citoyens de certains pays européens, l’assurance que produisait chez eux l’appartenance de leur pays à cette Union. L’esprit européen est-il toujours aussi vivant ?
Il se peut que l’européisme actuel ne soit pas celui de la deuxième moitié du siècle précédent. Mais cela importe peu. Ce qui est important c’est qu’on a l’Europe, l’Union européenne, qui est une grande invention, et ce qu’on doit faire à présent, c’est qu’elle fonctionne mieux. Parfois on tend à attendre de l’Europe ce que les gouvernements nationaux sont incapables de résoudre. Mais c’est vrai que, ensemble et unis, on peut faire davantage de choses et d’avoir plus d’ambitions.

La présidence espagnole a-t-elle une stratégie pour récupérer la confiance du citoyen européen et lui faire sentir qu’il est au cœur, ou en tête, de ses priorités ?
Un des aspects fondamentaux c’est celui de développer la citoyenneté européenne, le sentiment d’appartenance à l’Europe. On dispose d’institutions communes, de règles et de normes communes dans plusieurs domaines, « un espace intérieur sans frontières » et une monnaie commune ; et malgré tout, le sentiment européen est en retard par rapport à la réalité du jour en jour. Si on arrive à démontrer au citoyen qu’on est capable de résoudre ses problèmes, je ne dirai pas tous, mais les plus importants, comme celui de l’emploi ou la qualité de vie, l’adhésion au sentiment européen augmentera.

Outre les préoccupations économiques, le citoyen européen est de plus en plus confronté à un sentiment d’insécurité que provoque en lui l’escalade du terrorisme islamiste. Les différentes politiques antiterroristes menées jusqu’à présent n’ont pas pu réduire, sensiblement, la menace et les foyers du terrorisme n’ont fait que se déplacer géographiquement au lieu d’être éradiqués. Peut-on s’attendre, durant les prochains mois, à une nouvelle stratégie européenne ?
Durant ce semestre, on prétend développer la stratégie européenne de sécurité interne, entre d’autres, par la création d’un comité permanent européen de sécurité. L’ouverture des frontières, les libertés dont on jouit doivent être protégées de ceux qui les menacent à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de l’Europe. Et tout cela ne peut être réalisé sans une collaboration avec les pays amis et partenaires de l’Europe, comme le Maroc, qui affrontent les mêmes risques et menaces, dérivés du terrorisme et de l’intolérance sous tous ses aspects.

La nomination, récemment, d’un secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée (UPM) a permis de ressusciter ce projet que l’on croyait enterré. Toutefois, les difficultés persistent et l’on a tendance à croire que les pays de l’UE ne sont pas suffisamment enthousiastes pour la création de cette union. A quel point est-ce vrai?
Le processus de Barcelone à partir de 1995 a essayé de ressusciter la centralité de la Méditerranée, comme espace d’échange et de collaboration entre les pays du Nord et du Sud. L’Union pour la Méditerranée est un pas de plus dans ce chemin. La création d’un secrétariat permanent à Barcelone, l’élection d’un secrétaire général et la mise en marche de programmes communs témoignent de sa réalité. Certains d’entre nous souhaiteraient que ça soit fait à plus grande vitesse, mais il est là en tout cas et il terminera par donner des résultats.

L’Espagne, qui est un pays très proche de la culture «orientale et maghrébine» pour des raisons à la fois historiques et géographiques, a toujours été sollicitée pour jouer un rôle de rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée. L’Espagne fait-elle assez d’effort dans ce sens ?
L’Espagne accomplit un effort notable depuis des années. On a été à l’origine du processus de Barcelone, on a appuyé l’Union pour la Méditerranée, et on attend d’en récolter les fruits. D’autre part, on a impulsé des projets comme l’Alliance des Civilisations, aux Nations unies, qui essayent de donner une réponse à ce besoin de rapprochement. Promouvoir la connaissance mutuelle et le dialogue entre cultures et différentes religions, peut-on faire mieux ? Probablement, toujours. La création de la Maison Arabe à Madrid et Cordoba et ses activités en sont témoin.

Parmi les questions vitales de l’espace méditerranéen figure la construction d’un espace maghrébin intégré. L’UMA est un projet réclamé par tout le monde de Washington à Bruxelles. Or, il se trouve que personne ne veut prendre une vraie initiative pour débloquer une situation qui ne sert les intérêts de personne. Cette question est-elle inscrite à l’ordre du jour de la présidence espagnole ?
La réalité de l’Union du Maghreb Arabe dépend de la volonté de coopération des pays maghrébins entre eux. Nous les Européens, nous les encourageons, parce que nous croyons qu’une Union qui fonctionne effectivement pourrait favoriser le développement et la stabilité de l’Afrique du Nord et parce qu’elle serait un interlocuteur régional privilégié de l’Europe et du reste du monde. Toutefois, les problèmes qui existent vous les connaissez très bien et ils doivent être dépassés dans l’intérêt de tout le monde, et en particulier dans l’intérêt des citoyens maghrébins.

L’Histoire retient que le seul vrai espoir de paix entre Palestiniens et Israéliens est né à Madrid. Aujourd’hui, le processus de paix est en panne et votre pays préside l’Union européenne. Peut-on s’attendre à une politique plus engagée de la part de l’UE au Proche-Orient ?
La création d’un Etat palestinien viable est un élément fondamental pour la sortie de l’actuelle situation d’impasse. L’Europe l’appuie et, seulement quand elle sera une réalité, on aura établi les bases pour essayer d’obtenir une paix stable au Moyen-Orient. L’Espagne a toujours été engagée avec le processus de paix, et c’est notre volonté comme présidence européenne de continuer de l’impulser.

Le Maroc est un pays très engagé sur la voie de la démocratisation, des libertés publiques, du développement humain et de la modernisation. Dans le cadre de son Statut avancé, peut-il aspirer à un véritable soutien pour qu’il ait les moyens d’accélérer la cadence de ses réformes ?
Le Statut avancé est un instrument et un programme de travail singulier que l’Union européenne et le Maroc ont choisi pour tracer leurs relations futures. Je pense que le fait qu’il ait été conclu représente un net appui au processus de réformes en cours dans tous les domaines au Maroc, et cela est très positif. Mais on doit être ambitieux, de part et d’autre, et cela signifie développer et assumer nos engagements politiques, économiques, et sociaux, tels qu’ils sont énoncés dans la déclaration de 2008. Le premier sommet UE-Maroc, qui aura lieu au début de mars prochain à Grenade, sera une occasion historique pour faire le bilan du chemin parcouru et pour nous établir de nouveaux défis ; et également pour intensifier notre dialogue politique sur tous les sujets d’intérêt commun. Et évidemment, si les réformes au Maroc s’accélèrent, l’Union doit être au rendez-vous, et notre appui européen à la hauteur du défi.

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