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Mohamed Amine Sbihi : «Nous avons besoin d’un plan stratégique à l’instar des autres plans tels le Plan Maroc Vert, la Vision 2020 en tourisme»


ALM : Quels sont les principaux axes de votre stratégie au ministère de la culture ?
Mohamed Amine Sbihi : Quand je suis arrivé à ce département, j’ai pris rapidement conscience qu’il ne s’agissait pas d’un département gouvernemental au sens classique du terme. La culture est au cœur de tout le processus de développement économique et social. Je peux dire que sans renforcement des valeurs qui ont trait à notre identité nationale, le citoyen ne peut pas être un producteur de richesse et un citoyen responsable. La culture est transversale et intéresse l’ensemble des départements. En tant que ministre de la culture, notre stratégie est de définir d’abord les objectifs stratégiques et d’en discuter avec l’ensemble des partenaires et les intervenants dans le domaine culturel et, ainsi, les décliner en programme d’action sur le court et le moyen termes d’ici la fin de la législation. D’ailleurs, nous avons besoin d’un plan stratégique à l’instar des autres plans tels le Plan Maroc Vert, la Vision 2020 en tourisme et on trouvera une appellation pour cette vision culturelle. Dans ce cadre, dans les prochains mois nous organiserons avec les différents partenaires des rencontres déclinant les grands axes, à savoir le théâtre, le livre, l’art plastique et le patrimoine. Notre politique va s’articuler autour de quatre priorités. Le premier axe sur lequel il faut se pencher est la culture de proximité. Cela veut dire que la culture doit être à la portée de tous et de toutes. On ne peut pas fonder une politique de développement économique et social sur la mobilisation de nos capacités sans que le citoyen ne soit motivé. Ainsi la motivation ne sera réalisée qu’à travers une politique culturelle de proximité. C’est une nécessité absolue. Cela signifie que nos communes doivent disposer de structures culturelles.

Qu’en est-il du deuxième axe ?
Une société qui ne dispose pas d’une place particulière et prépondérante pour ses intellectuels, ses créateurs et ses artistes est une société figée et en danger. C’est une société non sereine qui ne peut pas appeler à la mobilisation pour une politique de développement. C’est tout le contraire qu’il faut, nos créateurs et nos artistes doivent avoir une place particulière au sein de la société et être conscients de l’apport qu’ils ont dans l’enrichissement de notre culture nationale, dans sa pluralité, sa diversité et son ouverture au monde.

Quid des autres axes ?
Le troisième axe concerne le patrimoine culturel. Le Maroc dispose d’un patrimoine culturel matériel et immatériel extrêmement riche. Je refuse de  parler uniquement de la conservation de la mémoire. Je parle d’un patrimoine vivant. Nous sommes prêts à investir dans la conservation et la réhabilitation du patrimoine culturel, mais ces lieux connus doivent avoir un apport au niveau de la région et au niveau national. Il faut raviver notre patrimoine culturel national et en faire un aspect essentiel de notre politique régionale et locale. Le quatrième axe, lui, intéressera les créateurs, artistes, hommes et femmes de théâtre. Leur présence à l’étranger dans les manifestations culturelles internationales nécessite l’établissement d’une diplomatie culturelle. Celle-ci va donner une autre image à notre pays. Elle montrera à l’opinion publique que le Maroc est un pays de créativité et de liberté

Le piratage demeure parmi les fléaux qui freinent la mise en place d’une industrie musicale dans notre pays, quelle est votre stratégie pour une véritable industrie de la musique ?
Ce fléau du piratage ne concerne pas seulement la musique, mais tous les domaines. La défense des droits d’artistes et leur propriété intellectuelle est un aspect essentiel. L’unité de la protection des droits d’auteur ne relève pas directement du ministère de la culture mais de celui de la communication. Avec mon collègue Mustapha El Khalfi, on va travailler afin de limiter l’impact extrêmement négatif du piratage. Nous lutterons avec force contre ce fléau pour assurer une production culturelle nationale de qualité.

Le Salon international de l’édition et du livre de Casablanca (SIEL) aura lieu prochainement, comment s’annonce la 18ème édition?
 Le Salon de l’édition et du livre figure parmi les grands salons qui ont fait leur place sur la scène internationale. Lors de cette édition, 750 exposants seront au rendez-vous. Ils représentent 40 pays étrangers. Parallèlement au stand et à l’espace réservé aux éditeurs, quatre conférences seront organisées au quotidien dans les différents espaces de ce salon. Celui-ci sera non seulement un salon d’édition pour rendre hommage aux métiers du livre mais il sera avant tout un hommage à nos écrivains et nos créateurs et un instant fort pour inciter les citoyens à devenir des lecteurs.
Le livre demeure un outil incontournable pour s’enrichir intellectuellement.

Nombre de patrimoines architecturaux sont aujourd’hui laissés à l’abandon. À Casablanca, Fès, Tanger ou encore Rabat, on autorise toujours la démolition, quelle est votre vision à cet égard? Et comment envisagez-vous de remédier à cette situation ?
Le ministère de la culture est chargé d’assurer la conservation, la  restauration et interdire la démolition. Il est vrai que les moyens du ministère de la culture ont fait que dans le passé le département n’était pas dans la mesure d’assurer la conservation de ce patrimoine  architectural. Il ne concerne pas que les bâtiments mais tout ce qui relève du patrimoine culturel, à savoir des manuscrits ou des sites archéologiques. Aujourd’hui, à travers une politique volontariste, on fera en sorte de conserver tout ce qui relève du patrimoine national, c’est-à-dire les biens communs de la nation. Toute dégradation de ces biens n’est pas une perte pour le ministère de la culture, toute perte de richesse commune de la nation est une perte d’une partie de son identité et de son patrimoine national. Cela nécessite de mener une grande sensibilisation au niveau du pouvoir public, dans la société et dans les différents ministères. Ce n’est pas le ministère qui se charge de cette dégradation, mais c’est une politique qui doit être menée par des collectivités locales, des groupes financiers et de grandes fondations culturelles de notre pays. Je peux noter à titre exemple le projet de rénovation du théâtre municipal d’El Jadida grâce à l’intervention de Sa Majesté le Roi. Demain ce sera une intervention d’une collectivité territoriale ou d’un grand mécène ou du ministère lui-même. Le ministère de la culture joue son rôle en mettant en place une politique de priorités.

Plusieurs obstacles minent la production théâtrale, notamment l’absence de salles où les troupes peuvent se produire…
C’est vrai qu’il existe un problème de théâtres au Maroc. Je peux dire qu’il y a de belles pièces de théâtre montées par de grandes compagnies soutenues par le ministère de la culture à travers le fonds de soutien à la production théâtrale. Mais ces œuvres n’arrivent pas à s’installer de manière à attitrer suffisamment de public et générer un profit pour les acteurs qui y ont participé. Il y a plusieurs raisons à cela, notamment les chaînes télévisées publiques qui, malheureusement, n’ont pas souvent la qualité suffisante et ne répondent pas aux exigences du citoyen.
La télévision joue le rôle de vitrine pour le spectateur, la vitrine de la production nationale. Or c’est une mauvaise vitrine et une vitrine déformante. Et avec M. El Khalfi nous prendrons contact avec les responsables du pôle public pour que la production culturelle soit au niveau et reflète la qualité de la production culturelle. Il y a également la révision du soutien de l’Etat à la production théâtrale. Aujourd’hui, il y a une nécessité de revoir le texte réglementaire qui organise ce soutien.
Le ministère va continuer à élargir ce fonds dédié à la création théâtrale de qualité mais également jouera le rôle d’interface entre les compagnies théâtrales et de grands mécènes, en l’occurrence des fondations culturelles, des groupes banquiers, des assurances, dans le domaine de l’habitat, télécommunications. Aujourd’hui nous avons un très grand groupe industriel et de services qui a sa propre fondation et prêt à parrainer les pièces de théâtre et de les faire tourner  dans les petites et les grandes villes du Royaume pour donner un nouveau souffle à la vie culturelle dans notre pays. Il y a énormément de moyens pour réinstaurer la vie culturelle dans notre pays et nous agirons dans les semaines à venir dans ce sens.

Des artistes viennent de signer une pétition pour demander un audit  indépendant du Bureau marocain des droits d’auteur. Que répondez-vous à cela ?
Ma réponse est claire et simple : il faut poser la question à Mustapha El Khalfi.

Vous faites partie d’un gouvernement dirigé par un parti conservateur. Comment cela se traduira-t-il dans la gestion de votre département ?
Il s’agit d’un gouvernement particulier dans une phase particulière de l’histoire de notre pays. Il ne faut pas oublier que l’année 2011 a été marquée par un important mouvement social de revendications pour plus de démocratie, plus de liberté et de plus de justice sociale. Ce mouvement, porté également par le processus de la Nation, a permis grâce à la clairvoyance de SM le Roi de mettre en place une nouvelle Constitution, et à l’organisation d’une nouvelle législation anticipée qui ont permis l’arrivée du Parti de la justice et du développement en première position d’une manière nette.
Automatiquement, ce gouvernement est un gouvernement de changement qui s’inscrit dans la continuité de la Constitution et de ses dispositions avancées, et dans la continuité des revendications pour plus de démocratie, plus de justice sociale et de liberté. Je comprends que l’opposition joue son rôle, que certains médias jouent le leur, mais ce gouvernement n’est en aucun cas un gouvernement conservateur. C’est un gouvernement du changement qui mènera une politique volontariste dans tous les aspects de la vie publique, à savoir lutter contre la corruption, mettre en place un système de bonne gouvernance, la réalisation de la justice sociale. Ce qui permettra à notre économie d’être plus compétitive et plus forte.
Par ailleurs, la culture est au cœur de tout dispositif de développement. Dans ce sens, le gouvernement va faire en sorte que la culture soit non seulement au cœur de la vie nationale mais qu’elle soit garante à travers les dispositions de la Constitution que nous mettrons en œuvre d’une manière la plus ferme. Non seulement garantir la liberté d’expression et de création que nous avons aujourd’hui mais  l’élargir dans le cadre des nouvelles dispositions de la Constitution. Dans ce sens, nous sommes tout à fait à l’aise avec nos partenaires du PJD, PI et MP pour mener à bien cette politique. Vous verrez, avec le temps on jugera les déclarations des uns et des autres, je peux dire que jamais ce gouvernement ne sera liberticide.

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