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Mohamed Darif : «Il est plus facile de recruter un résistant qu’un jihadiste»

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ALM : Les services de sécurité viennent d’annoncer le démantèlement d’un nouveau réseau de recrutement de combattants pour l’Irak et l’Algérie. Quelle analyse faites-vous de cette nouvelle opération ?
Mohamed Darif : Le démantèlement de ce réseau qui se compose de 35 personnes s’inscrit dans le cadre de l’effort déployé par les autorités pour faire face à la nouvelle stratégie adoptée par Al Qaïda depuis la fin de 2003 et le début de 2004. Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ce phénomène, il y a lieu de le placer d’abord dans son contexte. Al Qaïda, qui a subi avec le régime des Talibans de lourdes pertes en Afghanistan, avait du mal à se réorganiser. Elle a exploité l’invasion anglo-américaine de l’Irak en 2003 pour se remettre en selle. Elle voulait gagner en Irak ce qu’elle avait perdu en Afghanistan, se jurant de gagner coûte que coûte la « guerre sainte » (Jihad) contre l’ennemi anglo-américain «impie». Pour elle, l’instauration d’un Etat islamique dans le monde arabe passait impérativement par l’Irak. Abou Moussaâb Zerkaoui fut l’agent exécutant de ce projet. Mais pour parvenir à sa fin, Al Qaïda avait besoin de combattants.
Or, le Maghreb constituait à ses yeux un vivier humain pour alimenter l’Irak en combattants. A partir de 2004, il y a eu une nouvelle génération de réseaux liés à Al Qaïda qui cherchaient à recruter pour l’Irak.
Pour mieux s’en rendre compte, il suffit de rappeler la déclaration de Saâdeddine El Husseïni (membre du Groupe islamique des combattants marocains, spécialisé dans la confection des explosifs), quand il a affirmé après son arrestation en mars 2007 avoir réussi à recruter 17 combattants marocains pour l’Irak.
La nouvelle génération de combattants a émergé depuis 2004. La cellule démantelée de Tétouan offre un autre exemple éloquent de l’activisme au Maroc des agents recruteurs pour l’Irak. Depuis 2004, les agents recruteurs ont redoublé de dynamisme. Les services de sécurité ont démantelé jusqu’à présent une vingtaine de réseaux. Quand on parle du Maroc, et du Maghreb en général, il ne faut pas oublier ce qui se passe en Europe. La majorité des cellules démantelées depuis 2004 en Espagne, Italie, et plus encore en Belgique, n’étaient pas accusées d’avoir voulu perpétrer des attentats en Europe, mais d’avoir voulu recruter des combattants pour l’Irak. Ce qui signifie qu’Al Qaïda a besoin des combattants maghrébins, et de la communauté maghrébine en Europe.

Que pensez-vous également des combattants marocains qui s’activent en Algérie ?
Le réseau qui vient d’être démantelé au Maroc démontre qu’Al Qaïda emprunte deux voies dans le recrutement pour l’Irak. La première voie, qui est directe, veut que les agents recruteurs facilitent la tâche aux combattants marocains pour se diriger directement vers l’Irak, par la voie de la Syrie ou de la Turquie. Déjà, les services américains et marocains parlent d’un Marocain qui se trouve en Syrie accusé d’être derrière les opérations de recrutement. Il s’agit du dénommé Mohcine Khaïbar.
S’agissant de la deuxième voie, indirecte celle-là, elle consiste à recruter des combattants marocains pour rejoindre les camps d’entraînement de l’Organisation Al Qaïda au Maghreb islamique, basée en Algérie. Cette voie veut que les volontaires soient entraînés en Algérie avant de se diriger vers l’Irak. Le communiqué, qui annonce le démantèlement du nouveau réseau de recrutement, affirme que ce dernier a réussi à recruter 30 combattants marocains, alors qu’il n’a pu enrôler que 3 (seulement trois) combattants pour rejoindre les camps d’Al Qaïda en Algérie.

Pourquoi, alors ?
Les combattants marocains préfèrent se diriger directement vers l’Irak pour combattre les Américains. Il faut se garder d’attribuer à cette préférence une connotation religieuse, loin de là. A cela, il y a bien une autre raison : la résistance, et pas forcément le « Jihad ». Les combattants marocains commencent à éviter Al Qaïda au Maghreb islamique parce que cette organisation recrute au nom de l’Irak, mais une fois les combattants arrivés en Algérie elle les oblige à perpétrer des attentats contre les services algériens.

Les réseaux recruteurs ne visent-ils pas aussi la stabilité de leurs pays d’origine ?
C’est pourquoi j’ai parlé d’une nouvelle génération de combattants. On n’est pas face à des cellules qui cherchent à endoctriner des kamikazes pour perpétrer des attentats terroristes contre le Maroc. Je précise que les terroristes qui visent le Maroc, ou l’Algérie, ont un sens élevé de la religiosité. Pour recruter un kamikaze, il faut que celui-ci accepte d’abord de se faire exploser. En ce qui concerne les combattants pour l’Irak, le facteur politique prime.
On n’a pas besoin de justification religieuse, mais on peut se contenter de justification politique. Et de ce fait il est difficile pour les recruteurs de trouver au Maroc un kamikaze qui accepte de se faire exploser, mais il est facile de trouver un volontaire qui accepte de combattre en Irak. On ne pas peut recruter au nom du Jihad, mais on peut recruter au nom de la résistance.


Vaste coup de filet contre les agents recruteurs


Les services de sécurité ont procédé dans les deux dernières semaines à l’arrestation de 35 membres d’un réseau terroriste spécialisé dans le recrutement de volontaires au profit des filiales de l’organisation Al-Qaïda en Irak et en Algérie. Ce vaste coup de filet s’est déroulé dans différentes villes du Royaume. Il s’agit de Tanger, Larache, Tétouan, Oujda, Rabat, Boujniba, Taoujtat et Fès. Selon une source policière, citée par l’agence de presse MAP, ce réseau a recruté et convoyé une trentaine de candidats aux opérations kamikazes en Irak et trois volontaires pour les combats aux côtés d’Al Qaïda au Maghreb islamique «AQMI», basée en Algérie. Les mis en cause projetaient également des actes terroristes au Royaume, a-t-on conclu de même source.
Ce n’est pas la première fois que les autorités marocaines démantèlent des réseaux terroristes et dont certains sont spécialisés dans le recrutement de jihadistes pour l’Irak en coopération avec des individus installés en France et en Belgique. En effet, le Maroc avait démantelé plus d’une vingtaine de «cellules» spécialisées dans le recrutement de combattants au profit d’Al Qaïda en Irak.

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