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Mohamed El Gahs : «La réforme constitutionnelle n’est ni une urgence ni une priorité»

© D.R

ALM : Votre absence lors du huitième congrès de l’USFP a suscité plusieurs interrogations. Pourquoi vous êtes-vous abstenu d’y assister ?
Mohamed El Gahs : J’invoque l’intime conviction politique, votre honneur ! Je sais, en ces temps de «pragmatisme» débridé et ravageur, que ce concept peut paraître désuet, et pourtant j’y crois et j’ai la certitude qu’il a été entendu par mes camarades et bien au-delà. Pour le reste, le parti vit une crise profonde, et c’est un doux euphémisme. Le congrès en a été la révélation et le paroxysme douloureux et inquiétant. Dès lors, l’urgence des urgences était de sauver son existence même, tout le reste était reporté à plus tard.
Pour ma part, je ne souhaitais pas, dans ce contexte, postuler à aucune responsabilité, à aucun appareil. J’entends et j’apprécie l’amitié, la confiance, la fraternité dont m’ont accablé les militants, toutes tendances et générations confondues. Je les en remercie et je n’oublierai pas. Cela ne se fait pas d’habitude mais au regard de la nature de cet entretien, le premier depuis le congrès de l’USFP, je voudrais délier ces quelques réflexions socialistes à des amis, Si Mohamed Lahbabi, Hassan Tarek, Mohamed Achaâri, Soufiane Keïrat, Latifa Jbabdi, en espérant que les milliers et les milliers de militants que j’ai eu le plaisir et l’honneur d’accompagner dans le combat socialiste puissent s’y reconnaître et y reconnaître les principes de fidélité, de loyauté et de fraternité qui ont toujours fait la force de l’USFP, de génération en génération. Je prendrai toute ma part dans le combat pour la gauche et le socialisme, militant parmi les militants, dans un processus long et difficile qui demande lucidité, humilité et détermination.

Contrairement aux attentes, vous ne vous êtes pas porté candidat ni au poste de premier secrétaire, ni à celui de membre du bureau politique de l’USFP. Qu’est-ce qui explique ce choix ?
Vous savez, une des plaies de la politique au Maroc, est qu’elle a été réduite à une course permanente et ridicule aux titres, aux postes, aux colifichets apparatchiks de toutes sortes. C’est proprement consternant et pour la grande majorité des Marocains, c’est désespérant. Résultat, on a l’impression que la politique c’est une sombre histoire ininterrompue de calculs et de manœuvres immédiates où l’arithmétique supplante les convictions et où la notoriété, dérisoire souvent, s’accommode de toutes les ambiguïtés, de toutes les compromissions, de tous les mélanges de genres. Avec au bout, la cacophonie et la paralysie. De dérive en dérive, de justification en aveuglement, la politique est devenue, hélas, illisible, inaudible et suspecte. Comment changer cette image exécrable surtout auprès des jeunes générations ? Parfois, peut-être, sans illusion excessive, en disant «non merci». Pas comme cela. Remettons d’abord sur pied un système qui marche sur la tête. En politique, on pose des valeurs, des convictions, un projet, un discours, un cap, et après, dans la clarté et la confiance, on choisit les femmes et les hommes, les appareils, les outils correspondant à un moment précis à des missions précises. Et on se met au travail. Pour l’USFP, malheureusement, sous l’effet de la crise grave et des tensions violentes, il a manqué le temps, le recul, la sérénité pour un tel travail. Raté donc, pour ce coup-là. Il fallait parer à l’urgence d’éviter l’implosion ou la disparition pure et simple. C’est ainsi. Ce sera à faire ou à refaire. Dès maintenant. Dans le calme et la sérénité. Avec ce que nous avons. Pour demain, encore et toujours, inventer ce possible qui se dérobe. Vous voyez comme nous sommes loin d’une course à des problèmes éphémères.

L’élection d’Abdelouahed Radi à la tête de l’USFP va-t-elle apporter le changement souhaité ? Ou contribuera-t-elle à maintenir la situation de statu quo au sein du parti ?
L’élection de M.Radi maintient surtout le parti en tant que structure, qu’entité politique. Cela aurait été le cas pour n’importe lequel des autres candidats.
Pour Abdelouahed Radi, la tâche sera rude, le chemin sera long et il le sait. L’homme a des qualités indéniables et son propre style. Cela va sans doute marquer. Maintenant, à part les structures nouvelles et le sauvetage in extremis, et c’est beaucoup, il est évident que sur le fond rien ne pouvait être réglé dans l’ambiance et l’urgence que l’on a décrites. Lui et ses appareils devront s’attaquer à la reconstruction et plus tard à la reconquête. Encore une fois, il ne faut pas oublier la réalité et accabler telle structure ou tel responsable par des désirs qui dépassent leurs capacités objectives. Il faut surtout rompre avec les tentations de la pensée magique. Ce que l’on doit par contre faire, c’est lui accorder la confiance préalable et le temps nécessaire. Et chacun à sa manière, aider, sans céder.

Les travaux du huitième congrès de l’USFP ont été sanctionnés par une déclaration finale dans laquelle le parti reconnaît l’existence d’une crise politique au Maroc. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’il était temps, ne croyez-vous pas ? Encore faut-il aller plus loin et réfléchir sur la crise du politique, la crise de la politique. Dont l’USFP fut à la fois la grande victime et la manifestation la plus édifiante. Mais, s’il mène sérieusement cette réflexion, le parti tient là une chance de son propre renouveau et peut contribuer à la réhabilitation, tant attendue, de la politique.
Un parti de gauche socialiste marque sa différence et son originalité de sa capacité à penser l’essentiel, le complexe et d’inscrire ainsi son action dans un projet de transformation sociale ambitieux et lisible parce qu’éclairé par la force des idées, la pertinence des propositions et la crédibilité des mots et des actes. Bien au-delà des conjectures politiciennes et la banalisation qui nivelle par le bas, il y a la politique. La vraie, la grande, la noble, qui émancipe, éclaire, fédère, pense la société et le monde, donne à espérer, incite à croire, donne envie de se mobiliser, prône la solidarité, réclame la justice, promeut l’intelligence, s’adresse à la raison, conquiert les cœurs, apprend à s’élever, soude la nation, aspire à l’universalité, parce qu’elle célèbre la dignité et la liberté de l’Homme et ses aspirations légitimes au bonheur.
 Si un parti socialiste n’incarne et ne sert pas cette politique-là, l’on peut légitimement se demander à quoi il sert. Que ce soit au Maroc ou ailleurs. C’est d’ailleurs le problème de tout le socialisme mondial. Mais cela est une autre histoire.
 
L’appel à une réforme constitutionnelle occupe une place de choix dans la plate-forme politique adoptée par le congrès. Croyez-vous qu’une réforme constitutionnelle est une urgence aujourd’hui?
Mille fois, on m’a posé cette question. Ma réponse est connue. Tellement elle est très réservée sur le simplisme déroutant avec lequel ce mythe est entretenu. Alors, encore une fois, non. Ce n’est ni une urgence, ni une priorité et encore moins un projet ou un programme politique.
Soyons clairs, que la Constitution soit une préoccupation permanente du débat politique, à un certain niveau, un sujet d’échange entre juristes et constitutionnalistes, cela me paraît une évidence. Par contre, présenter cela comme le sésame, la panacée, la solution miracle ou encore la posture d’une radicalité, voilà qui me paraît une erreur d’analyse grave, et au mieux un aveuglement très inquiétant. Autrement dit, dès que nous sommes incapables de penser, de comprendre et de traiter les vrais problèmes de la société : sous-développement, blocages, dysfonctionnements à tous les étages, mentalités, comportements, idées, valeurs, culture, on se rabat sur la facilité et on sort le joker d’une réforme constitutionnelle très fantasmée par ailleurs. Or, lorsqu’on connaît les fragilités de notre société et du monde, on sait à quel point un tel projet requiert sérénité et évolution progressive de la société, toute entière, pour préparer dans la durée, la sagesse, les adaptations nécessaires que dicteront, non pas des humeurs ou des postures, mais des changements objectifs pensés et maîtrisés qui sont ceux, naturels, de l’Histoire des nations et de leurs institutions.
 
La non représentation des ex-PSD dans les instances dirigeantes de l’USFP a suscité la déception chez ces derniers. La marginalisation des ex-PSD ne risque-t-elle pas de compromettre la réunification des autres partis de Gauche ?
Pardonnez-moi, mais je ne souhaite faire aucun commentaire sur les résultats de ces trois derniers jours. Cela dit, nos amis de l’ex-PSD ont fait preuve de beaucoup de courage et surtout de cohérence en franchissant le pas de la fusion. Pour dire le vrai, en intégrant ces camarades, l’USFP n’a pas récupéré des individualités, mais bien un mouvement politique qui a son histoire propre, sa culture politique, ses traditions et beaucoup de cadres brillants.
De vrais socialistes réformateurs qui viennent de l’extrême gauche et qui ont fait le chemin de la remise en cause idéologique. Pas facile. Ils l’ont fait et payé le prix. En ce sens, cela pouvait être une vraie valeur ajoutée. Maintenant, peut-être que les termes et les conditions du rapprochement ont été précipités, mal expliqués, mal gérés. Peut-être l’USFP, elle-même, qui était déjà en crise latente, n’était pas consciente de l’impact.
Bref, ici ou là, la greffe a mal pris. Les camarades PSD en ont ressenti, parfois, les effets. Ce n’est la faute à personne, au moment, au timing, aux difficultés des uns et des autres, à la crise, au malentendu général. Mais, là encore, l’apport des militants ne se réduit pas, Dieu merci, enfin je l’espère, à tel appareil ou telle étiquette. Les camarades venus du PSD sont membres de l’USFP au même titre que tous les autres. Avec leur culture, leur histoire, leur singularité. Qu’il faut intégrer et respecter.

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