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Mohamed Soual : «Sans Hay Mohammadi, Casablanca serait une agglomération sans âme»


ALM: Que symbolise pour vous Hay Mohammadi ?
Mohamed Soual : Une partie intégrante de moi-même. Plus que l’endroit où l’on est né et grandi, Hay Mohammadi symbolise le cosmopolitisme à la marocaine. Attirés par les possibilités offertes par l’industrie coloniale naissante d’emplois salariés, les gens s’y sont rendus de toute part, du Nord comme du Sud, d’Est et de l’Ouest. Hay Mohammadi c’est la naissance du prolétariat marocain à l’orée des années vingt et trente du siècle dernier. En ce sens, c’est aussi la rencontre avec la modernité. Ce sont les femmes qui ont parfaitement perçu ce que pouvait apporter cette modernité. Elles ont travaillé comme ouvrières, femmes de ménage ou femmes de peine obligeant leurs conjoints à garder l’emploi et s’extraire progressivement de l’attachement grégaire qui continuait à les lier à leur contrée d’origine. Les perspectives de la scolarisation des enfants ont fini par convaincre les plus récalcitrants d’entre eux. Et encore ce sont les femmes qui ont mené et très souvent gagné cette bataille là. Hay Mohammadi, c’est également la résistance à l’occupation, les luttes ouvrières et syndicales. La dénomination du quartier porte le nom du symbole de cette résistance, Feu Mohammed V que les autorités coloniales ont appelé le Roi des carrières centrales. Hay Mohammadi c’est aussi les bidonvilles, la pauvreté mais également une formidable solidarité entre ses habitants et un attachement viscéral pour ceux qui y ont vécu. L’histoire du temps présent retiendra certainement que sans le Hay, Casablanca serait une grande agglomération sans âme. Imagine-t-on Casablanca sans la mythique équipe du TAS, sans Nass El Ghiwan nos Roling Stones, Tagadda, Lemchaheb. On ne soulignera jamais assez le rôle qu’ a joué Dar Chabab dans la naissance de cet esprit Hay. Cinéma Saâda est aussi ce haut lieu de culture mais également de conscience politique et de nationalisme. Najib Taqui, un enfant du quartier mais à mon avis, son historien attitré, dispose à cet effet de photos et coupures de journaux saisissantes. On reconnaît dans l’une de ces photos SM Hassan II alors Prince héritier et Abdallah Ibrahim président du Conseil, au cinéma Saâda assistant à la cérémonie de remise des prix aux élèves de l’école Ittihad qu’animait le nationaliste Bargach. Mais Hay Mohammadi c’est aussi le geôlier de Derb Moulay Chrif de triste mémoire. Pour finir, je dirais que le «cosmopolitisme», la diversité, la modernité, l’engagement, la scolarisation et j’allais dire une certaine forme d’urbanité qui n’est pas à confondre avec urbanisation ont à mon sens façonné la vie culturelle, musicale, théâtrale qui a fait aussi la renommée de ce quartier.

Quels sont les souvenirs que vous en gardez ?
Relater les souvenirs, c’est relater une vie! L’espace qu’offre votre journal n’y suffirait pas. Les souvenirs de mon école primaire, du collège Al Mostaqbal, de Dar Chabab, du terrain TAS, du cinéma Saâda ou Cherif, des terrains vagues, des halqas, et bien d’autres demeurent des moments impérissables. Ils sont en quelque sorte une empreinte d’identité propre indélébile. Cette empreinte est la marque de fabrique de toute une génération «carianiste» comme l’on appelait alors les enfants du Hay !

Quelles sont les personnalités issues de ce quartier que vous connaissez ?
Ils sont nombreux et j’en oublierais certainement en m’excusant pour ceux que je n’aurais pas cités. Moubarak Rabie, le poète et écrivain, Si Bouchaib Foukar, le gouverneur de Hay Hassani et régisseur de la Mosquée Hassan II, Aniba El Hamri l’un des  premiers promoteurs de l’association culturelle Rouad Al Qalam ou les pionniers de la plume. Aziz Hasbi, le recteur et ancien ministre et auteur d’une exquise autobiographie portant mieux que je ne l’aurais fait un opuscule de souvenirs fantastiques de Hay Mohammadi. Larbi Batma et Boujmie que Dieu ait leurs âmes. Omar Sayed, Allal Mohamed Miftah, Saadia Sajid, Foulane, Feu Mohamed Kobi, le mythique directeur du collège Al Mostaqbal, Omar Talbani. je cite également Noumir, Meskini, Bouchaîb et Ghazouani le grand et le petit comme on les appelait jadis. Et vous reconnaissez dans les derniers noms cités certains parmi les grands joueurs qui ont fait le bonheur du TAS et de l’équipe nationale. Mais ne pas citer Larbi Zaouli serait un crime de lèse Hay Mohammadi! Je voudrais également citer des personnages qui ont marqué mon imaginaire et celui de mes congénères, à savoir Fatima Lhbila se pavanant dans des carrosses de fortune, Kira, l’humour philosophe décapant, Miloud Laâraj, un robin des bois des temps modernes violent mais solidaire des pauvres, Khlifa des halkas, la dérision absurde, et j’en oublie encore.
Hay Mohammadi est aussi un nombre impressionnant de médecins et professeurs de médecine, d’ingénieurs, d’auteurs à succès et j’en oublie certainement.

N’avez-vous jamais pensé à constituer une association rassemblant les personnalités de ce quartier ?
Rassembler des gens sur des critères autres que l’utilité ne servirait à rien. Je n’ai pas l’esprit de chapelle. Si l’on réunit les gens c’est autour d’idées ou d’objectifs communs. C’est pourquoi j’ai activement participé avec d’autres amis : Abdelmaksoud Rachdi, Mohamed et Rabea Semhari, Saâdia Boufetas, les docteur Kadim et Sabir à créer le Forum Essaada pour empêcher que le cinéma du même nom ne se transforme en supermarché et pour accompagner le programme de réparation communautaire, une des fortes recommandations de l’Instance Equité et Réconciliation qui a fait du Hay une des onze régions du programme en raison des graves violations passées des droits de l’homme. Cette association s’est fixée comme objectif d’accompagner le CCDH, dont Sa Majesté le Roi m’a fait l’honneur de m’y nommer membre, dans ce programme dont les objectifs principaux sont précisément la réhabilitation du cinéma Saâda, de Dar Chabab dont en particulier le centre d’accueil une merveille architecturale en ruine, la réhabilitation du dispensaire Essaâda mais surtout de faire du bâtiment abritant jadis le commissariat de Derb Moulay Chrif un musée de temps présent marocain en valorisant notre histoire et en consacrant l’esprit de la réconciliation et du développement humain.

Est-ce que vous gardez toujours des liens avec Hay Mohammadi?
Et comment ! J’ai indiqué que pour moi comme pour mes semblables le Hay est notre identité commune. S’y rendre me procure un plaisir toujours renouvelé. Le servir et servir ses habitants demeure un objectif pour moi tant ce quartier m’a tout donné. J’y ai tout reçu : mon éducation et l’amour que je porte à mon pays. Aimer son quartier c’est le servir telle est peut-être la devise qui convient.

Pensez-vous que Hay Mohammadi garde toujours son identité ?
Il y a risque que cette identité se dilue. Il y a un seul antidote : le développement de la culture, la lutte contre la marginalisation, l’insertion dans des programmes effectifs de développement dont en particulier l’éducation et la formation, la bonne gouvernance et l’éthique. Il faut donner aux gens des perspectives et du sens et remettre l’espérance au cœur de l’action publique.

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