ALM : Comment expliquez-vous les sorties successives du PJD contre le film « Marock » ?
Malika Naciri : Ces sorties virulentes contre le film « Marock » relèvent d’une ligne idéologique du PJD qui ne nous a guère étonnés, malgré les négations de Lahcen Daoudi lors de l’émission «Polémiques» de 2M où il a affirmé que rien ne pouvait empêcher des ONG, sans préciser lesquelles, de manifester contre le film. Personne n’en est dupe, les ONG en question sont des organisations satellites du PJD et la presse du PJD a crié haut et fort la position de ce parti contre le film. Cette sortie relève d’une volonté d’étouffer la création, de museler la jeunesse, de freiner toute expression artistique et de couler toute la société dans un moule conforme à leur projet de société. Ceci lève, pour ceux qui doutent encore, le voile sur l’ambiguïté de leur discours.
S’agissant justement du discours du PJD, ne trouvez-vous pas qu’il est truffé de contradictions ? Pourquoi ce double langage quand il s’agit, précisément, de liberté d’expression ?
Le PJD est poussé dans ses propres retranchements et ses contradictions évidentes. D’un côté, il cherche à rassurer, à ne pas faire peur et être politiquement correct, mais d’un autre côté, les pratiques sont autres. J’en veux pour preuve et pour exemple leur attitude en ce qui concerne tout ce qui est liberté d’expression, libertés publiques, manifestations contre les festivals, manifestations contre les films, contre les groupes musicaux, leur attitude envers les femmes, n’oublions pas qu’ils ont occupé la rue et manifesté contre le Plan d’intégration de la femme il y a quelques années.
Le film «Marock» n’est certes pas la seule œuvre de création à avoir essuyé les critiques du PJD, mais ce film a fait l’objet d’un acharnement démesuré. Qu’est-ce qui serait à l’origine de cet acharnement ?
Je suis sûre que le PJD aurait manifesté contre un film beaucoup moins osé, mais le film « Marock » a soulevé la controverse déjà lors de sa projection à Tanger l’année dernière. D’abord, c’est un film qui est fait par une femme. Cette femme-là appartient à une bourgeoisie marocaine aisée, elle a voulu porter un regard sur la jeunesse dorée issue de cette classe sociale et, dans une certaine mesure, on ne peut pas lui reprocher d’avoir voulu témoigner et porter un regard sur une réalité que nous n’avons pas à ignorer. Ceci dit, ce film ne reflète pas la réalité de la jeunesse marocaine et nous devons l’accueillir comme une création artistique de la part d’une jeune femme qui a voulu bousculer les tabous et, peut-être exprimer une certaine critique.
Après avoir multiplié les attaques liberticides, le PJD est-il digne de la confiance des citoyens ?
Nous sommes en démocratie, la seule légitimité est celle qui sort des urnes. Par conséquent, si les Marocains venaient à voter pour le PJD, il faudrait que ce parti se conforme aux règles du jeu démocratique, qu’il ne revienne pas sur les acquis, qu’il respecte la volonté de ceux qui n’ont pas voté pour lui, qu’il respecte ses engagements verbaux, qu’il cesse de jouer un double jeu, qu’il soit préparé à accepter l’alternance, bref qu’il respecte le jeu démocratique. A ce moment-là, les Marocains le jugeront sur ses résultats et non pas sur ses slogans, sur son instrumentalisation de la religion et sur son discours ambigu.
Pour faire face à l’intégrisme, le combat de la société civile est-il à la hauteur du danger qui guette toujours notre pays ?
S’il faut demain aller plus loin dans la mobilisation contre ceux qui portent atteinte aux libertés, nous le ferons comme cela a déjà été prouvé par la société civile. Je voudrais rappeler le rôle dynamique dans la construction d’une société démocratique joué par les associations féminines qui sont à la pointe du combat contre l’intégrisme. Et qui mieux que les femmes a intérêt, dans ce pays, à voir s’installer un Etat de droit respectueux des libertés individuelles et publiques ? Je vous rappelle que le Collectif Démocratie et Modernité a été créé en 2003, quelques mois avant les attentats du 16 mai. Ce Collectif a été créé suite à la mobilisation de la société civile pour la libération des 14 jeunes musiciens accusés, alors, d’être des « adorateurs de Satan ». A ce moment-là, nous avions compris qu’il y avait péril en la demeure des libertés. Et nous avons réagi.
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• A.C. |