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Oujda à la recherche d’un destin

Une journée magnifique. Ciel sans nuages. Soleil resplendissant. Un panneau de signalisation indique : frontières : 14 km. En quittant le sanctuaire du saint patron Sidi Yahya à la sortie d’Oujda, on prend une petite route à double sens à droite. Il est 9 heures tapantes. Quelques maisons de brique rouge, pas encore enduites, sont plantées pêle-mêle sur des champs de blé. Les épis virent lentement au jaune, faute de pluie que tout le monde ici appelle de ses voeux. Une chaîne de montagnes, enveloppée dans un halo de nuages, se détache petit à petit à l’horizon. Au-delà, c’est l’Algérie.
Nous sommes au Maroc. La voiture roule doucement. Elle s’engage sur une voie en ligne droite, bordée de petits oliviers. Un paysage où alternent tour à tour espaces verdoyants et terrains vagues.
Un congrès de chiens, oreilles pendantes et truffes à terre, errent en reniflant dans un fouillis d’herbes poussiéreuses en bordure du chemin. Tout à coup, un homme juché difficilement sur une motocyclette, transportant des bidons couleur huile d’olive calés entre les jambes, passe dans le sens opposé, à toute allure. Ils sont remplis de carburant venu d’Algérie. La frontière est à quelques kilomètres de là. Le même manège se poursuit à intervalles réguliers. Des mobylettes avec des cargaisons d’essence filant comme l’éclair. De temps en temps, défilent quelques voitures. Des contrebandiers certainement. Un peu plus loin, des deux côtés de la route, des gamins mal fagotés sont assis, résignés, derrière des étalages de fortune. Qu’est ce qu’ils peuvent bien vendre? On aperçoit des bouteilles d’huile et d’eau minérale bourrées d’un liquide couleur grenadine. Le carburant, encore le carburant, toujours le carburant.
Un garçonnet maigrichon tenant une moto et devisant avec des vendeurs d’essence entreprend de s’enfuir, poussant rapidement son engin à travers les champs dès qu’il a vu qu’on descend de la voiture pour se diriger vers l’étalage. Il nous a pris certainement pour des douaniers ou des gendarmes. Les autres n’ont pas bougé. Ils étaient même contents en nous approchant d’eux.
«Achetez-moi une bouteille d’un litre, ça coûte juste 6 Dhs», lâche un gosse, l’air revêche, les mains pleines de cambouis. C’est de la bonne qualité pour les deux roues.
Ici, on vend de l’essence comme on vend ailleurs, au Maroc, les cigarettes au détail ou autres babioles. Chacun a son gagne-pain.
Moins d’un kilomètre et le poste frontière apparaît. La route goudronnée cède la place à une piste. En fait, c’est le lit d’un oued desséché. Il sépare la partie marocaine de la partie algérienne. De là, on peut apercevoir, perché sur une colline, le poste-frontière marocain. Une moto, transportant des jerricans d’essence, dévale une piste en contrebas. Toujours à vive allure.
La voiture fait demi-tour. En laissant sur notre gauche la route de Sidi Yahya, on prend à droite. C’est la route de Bouchtat. Le panneau indique : frontières 11 Km. Le même spectacle de bouteilles d’essence s’offre au regard. La campagne qui attend les ondées du ciel. Des bicoques dispersées comme si elles avaient poussé par hasard. Alternance de terres où poussent de la pierraille et de plantations apparemment mieux tenues.
On arrive à un croisement. Oujda à gauche. Oran à droite. Distance entre les deux villes : 200 Km. Va pour Oran. Une double voie assez large. Quelques restaurants et cafés en bordure de la route. Personne ne s’arrête. Les clients sont rares pour ne pas dire inexistants. Le trafic presque nul. Juste quelques véhicules de temps en temps. La voiture avale près de 6 kilomètres et nous voilà obligés déjà de rebrousser chemin. Le poste frontière marocain de Zouj Bghal est à quelques mètres. Le poste-frontière algérien, Al Akid Lotfi, est juste derrière. Du côté marocain, des policiers et des mokhaznis bougent nonchalamment derrière la porte grillagée. Deux ou trois douaniers sont attablés au dehors près d’un café délabré du nom de “L’étape“. Il a mis depuis longtemps les clés sous le paillasson. Ça sent l’ennui. La morosité. Seule activité, celle d’une petite épicerie, attenante au poste, tenue par un homme trapu, mal rasé, d’un certain âge. Sa clientèle, les hommes en uniforme. Comment vont les affaires? “ Elles auraient pu être mieux que ce qu’elles sont maintenant“, dit-il, un sourire entendu aux lèvres.
Il est 10 heures 25. Demi-tour. Des bornes kilométriques indiquent les distances séparant Oujda de Taza et Oujda de Nador. La voiture avance puis emprunte une route exiguë à droite avec beaucoup de virages. Elle mène à Oulad Nasser. Une voie de contournement de Zouj Bghal. Des champs des deux côtés. Un âne tire laborieusement une charrette au milieu de la chaussée. Les coups de klaxon le font remettre sur la droite. Au milieu d’un hameau, un tracteur attaqué par la rouille a l’air abandonné. Un vieil homme sur une bicyclette délabrée roule en zigzaguant. Un groupe d’adolescents marchent en se retournant sur le passage de n’importe quoi. Stop. Les frontières sont à 1400 m. Une piste à droite, une autre à gauche et une autre encore en face. Les itinéraires tortueux qu’affectionnent les contrebandiers. Il est 10 heures 55. Retour vers Oujda. Cap sur la montagne de Ras Asfour au pied de la forêt de Sidi Maâfa.
Le poste frontière est juché au sommet. Pour l’atteindre, c’est le parcours du combattant. Une piste interminable, rude et tortueuse, qui serpente à travers une forêt de thuya et de chênes. Les Oujdis viennent ici le week-end pour faire du jogging. Arrivé à un certain point, on aperçoit Oujda sur notre gauche. Une vue imprenable sur la capitale de l’oriental. Le poste-frontière marocain est encore loin. S’aventurer dans ce relief escarpé est une véritable épreuve. Le moteur fait entendre un léger grincement. Un coup d’accélérateur et le bruit augmente. Les contrebandiers même avec leur 4×4 solides prennent vraiment des risques.
Un garçon juché sur un âne chargé de bidons d’huiles vides descend lentement. Il se dirige vers un point d’eau.
On amorce la descente. Quelques encablures plus loin, un cimetière proche d’un fatras de maisons érigées en désordre sur une colline. Une marmaille joue en courant autour d’une fontaine où des filles viennent chercher l’eau. On prend à gauche. Nous sommes dans le quartier Al Qods où sont rassemblées les facultés de la ville. Il est presque midi.
La circulation fonctionne à coup de klaxons. Les étudiants, l’air insoucieux, sont déjà dehors, prenant d’assaut les bus stationnés qui les attendent dans une grande place. Dans les environs, des jeunes, désoeuvrés, proposent au bord de la route des bouteilles d’essence.

De notre notre envoyé spécial
Abdellah Chankou

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