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Parlement : À qui profite l’argent ?

Les deux Chambres du Parlement marocain sont considérées par la loi, en matière comptable, comme de simples administrations publiques. Elles sont donc assujetties à un contrôle financier du ministère des Finances.
En fait, la question de l’indépendance financière du Parlement a été soulevée, il y a bien longtemps. Dans le projet de règlement intérieur du premier Parlement marocain, les députés avaient proposé de jouir d’une totale indépendance financière. En clair, conformément au principe de la séparation des pouvoirs, le gouvernement ne devait avoir aucun droit de regard sur la manière avec laquelle les représentants dépensaient leur argent. Mais l’Exécutif marocain n’a jamais voulu accorder une telle indépendance aux parlementaires, du moins théoriquement. Car en pratique, les choses étaient tout à fait différentes. En effet, avant l’arrivée du gouvernement d’Alternance en 1998, jamais le ministère des Finances ne se permettait de « fouiner » dans les affaires financières du Parlement. Ce dernier gérait son budget comme bon lui semblait, loin des regards « indiscrets » des contrôleurs des engagements. C’est donc l’ex Premier ministre, Abderrahmane Youssoufi, qui a mis fin à cette hérésie, en installant un comptable et un contrôleur des engagements au sein du Parlement. Tout commence au moment de l’élaboration de la loi de Finances. Conformément au règlement intérieur de chaque Chambre, c’est le bureau de la Chambre qui prépare son budget. C’est également lui qui le gère et le dépense. Comme pour n’importe quel secteur ministériel, les responsables du Parlement ont eu des discussions avec le Premier ministre, Driss Jettou et le ministre des Finances, Fathallah Oualalou. C’est ainsi que la Chambre des représentants a eu droit, pour 2005, à un budget d’un peu plus de 250 millions de DH. La Chambre des conseillers, elle, possède un budget d’environ 200 millions de DH.
La tradition parlementaire veut que la Chambre des représentants adopte le budget des conseillers sans le discuter. Et vice-versa. Toutefois, chaque Chambre examine son propre budget. « En général, l’examen du budget de la Chambre est l’occasion de débattre de l’action parlementaire en général », souligne un député.
D’ailleurs, c’est le vice-président de la Chambre qui assiste en commission et non pas le président. « Car le budget est celui de tous les députés et non pas du président ». Résultat: Hormis quelques exceptions, aucun amendement n’est proposé et le budget est adopté à l’unanimité. Cette année, le PJD s’est abstenu de participer au vote du budget de la Chambre en signe de protestation contre l’augmentation de 6.000 DH par mois prévue pour chaque député en guise de frais de transport. Le PJD a estimé que « cette augmentation, certes nécessaire, devait être accompagnée par des mesures ayant trait notamment à l’assiduité des représentants ». Une position qui a suscité la colère de bon nombre de députés qui accusent le PJD de surenchérir.
A noter que sur les 250 millions de DH dévolus à la première Chambre, 84% de cette somme serviront à payer le personnel et les députés. Le reste est inscrit sous la rubrique « matériel et dépenses diverses ». De l’avis de beaucoup d’observateurs, même les plus virulents à l’égard de l’action parlementaire, ces budgets sont dérisoires. Un ministère comme celui de la Culture a plus de 52 millions de DH pour le matériel et les frais divers et 56 millions de DH pour les dépenses d’investissement. Même chose pour le département de la Jeunesse qui récolte environ 49 millions de DH pour le matériel et 44,5 millions de DH pour l’investissement.
Ceci-dit, l’enveloppe dévolue au paiement des fonctionnaires et des représentants (un peu plus de 600 au total) a enregistré une augmentation de 31 millions de DH, par rapport à 2004. La première Chambre a également prévu une enveloppe de 2 millions de DH en guise « d’aide financière provisoire » destinée aux agents de police et de la protection civile en poste au Parlement. La loi de Finances a également accordé 2 millions de DH pour l’entretien des bâtiments du Parlement. La Chambre des représentants a programmé de renouveler une partie de son matériel audiovisuel. Une somme de 4 millions de DH a été prévue à cet effet. Quant aux dépenses d’accueil et des festivités, la Chambre des représentants a eu droit pour 2005 à 2 millions de DH, au lieu de 1,5 million en 2004. Cette somme sert, notamment à payer le séjour des invités étrangers.
Par ailleurs, 3,5 millions de DH seront réservés au « transport et au déplacement des députés et des fonctionnaires ». A ce titre, rappelons que les fonctionnaires bénéficient rarement de voyages à l’étranger. Toutefois, les députés ont droit à une indemnité journalière de 2.500 DH, lors des déplacements à l’étranger. Depuis la création du Parlement marocain, tous les billets d’avions étaient achetés auprès des agences de la Royal Air Maroc. En avril 2004, le bureau de la Chambre des représentants a découvert que les prix appliqués par les agences de la RAM étaient exagérés. Depuis, la concurrence joue pleinement. « Pour chaque destination, nous faisons appel à l’agence de voyages qui offre le meilleur prix », affirme un membre du bureau de la Chambre des représentants.
L’un des points noirs dans le tableau des dépenses des deux Chambres est sans doute la facture téléphonique. Il faut reconnaître concernant ce volet que la Chambre des représentants, contrairement à celle des conseillers, a fourni des efforts considérables pour arrêter l’hémorragie. Ainsi, les lignes internationales sont limitées aux seuls présidents. Et régulièrement des lettres d’avertissement sont envoyées aux groupes qui dépassent les lignes rouges. « Ce ne sont pas forcément les plus grands groupes qui consomment le plus le téléphone », confie un membre du bureau. Mais malgré cela, la facture que Maroc Telecom envoie à la Chambre oscille toujours entre 4 et 5 millions de DH par an. La situation chez les conseillers est beaucoup plus grave, puisque le bureau de la deuxième Chambre vient de constituer une commission qui sera chargée de trouver une solution à ce problème.
A noter par ailleurs, que la buvette du Parlement est gérée par la Chambre des représentants. Il y a quelques législatures, un célèbre opérateur privé avait essayé de la gérer, mais il a rapidement jeté l’éponge. Aujourd’hui, les dépenses de la buvette et du restaurant sont gérées conjointement par le bureau et le secrétariat général de la Chambre.
Pour ce qui est du parc automobile, le gouvernement d’Alternance y a également laissé son empreinte. Alors que la Chambre des représentants comptait pas moins d’une soixantaine de véhicules, mis à la disposition, notamment, des présidents, aujourd’hui le parc-auto a été largement réduit. « On ne compte plus que quelques véhicules utilitaires, le strict nécessaire finalement », assure un membre du bureau.
Avant, il arrivait qu’un président de Commission changeait trois à quatre fois sa voiture dans une même législature. Au frais de la princesse bien-entendu. Aujourd’hui, les présidents ont droit à une indemnité de transport de 7.000 DH. Le nouveau règlement intérieur de la Chambre des représentants a prévu la création d’une Commission chargée du contrôle des dépenses de la Chambre. Elle doit obligatoirement se réunir chaque année pour éplucher les comptes de l’année législative précédente. Composée de 13 personnes (présidents de groupes et autres députés à la proportionnelle), cette Commission remplace un autre organe interne baptisé « la Commission des 20 ». Cette dernière n’a jamais joué le rôle qui lui a été dévolu. La nouvelle commission est désormais tenue de rédiger un rapport sur la manière avec laquelle le budget de la Chambre a été dépensé. « Maintenant que la loi de Finances a été adoptée, la commission va donc bientôt se réunir », assure un président de groupe de la majorité.
Pour revenir aux voyages à l’étranger, notons que le dispatching entre les groupes est effectué de manière proportionnelle. En clair, plus un groupe a de députés, plus il a droit aux voyages. Toutefois, le choix des députés à de rendre à tel ou tel endroit, dans le cadre de la diplomatie parlementaire, laisse à désirer. « Nous avons eu des cas où des parlementaires se sont rendus à des Sommets de la Francophonie alors qu’ils ne parlent pas un seul mot de français ».
En fait, le Parlement ressemble ainsi à une gigantesque agence de voyages. L’efficacité politique et économique est reléguée au second rôle. « Quel rôle jouent les parlementaires marocains dans les grandes rencontres internationales? », se demande un député de l’opposition. C’est ainsi que tout le système des dispatchings des voyages doit être revu. « Si le bureau de la Chambre se refuse pour des raisons politiques évidentes de choisir directement le député qui doit se rendre à tel ou tel pays, au moins qu’il mette en place des critères de sélection », propose un parlementaire de la majorité.
D’un autre côté, « les deux Chambres du Parlement doivent cesser leur petite guéguerre stérile », lance un conseiller. En effet, il est inconcevable que chaque Chambre dépense des sommes astronomiques pour mettre en place deux services informatiques. Par souci d’économie et d’efficacité, il aurait été plus judicieux de financer un seul et unique département informatique, car finalement, les deux Chambres travaillent sur la même matière. Il est également malheureux de voir chaque Chambre aménager sa propre bibliothèque (que pratiquement aucun député ne consulte) ainsi que son propre restaurant. Autant de dépenses superflues qui pourraient aisément être divisées par deux. En somme, la mentalité et les méthodes de travail parlementaires ont besoin d’un sérieux lifting.

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