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Un certain Monsieur Feggane

L’espoir de retrouver la liberté ne l’a jamais quitté. Persuadé que l’heure de la délivrance est proche. Que la vérité finira par éclater. Car Haj Mohamed Feggane se sait victime d’un mauvais coup du sort ou plutôt de ce qui ressemble à un complot ourdi contre lui. Le cas de l’intéressé est unique à plus d’un titre. Il est le seul homme d’affaires à être condamné dans le cadre de deux affaires, CIH et CNCA, alors que les mauvais payeurs, les vrais, qui ont pillé les fonds de ces deux établissements n’ont jamais été inquiétés. Pourquoi alors lui et pas les autres ?
Après avoir passé plus d’un an dans la prison Zaki à Salé suite à sa condamnation à 10 ans de prison ferme par la Cour spéciale de justice, il vient d’être transféré, en date du 25 septembre 2002, au pénitencier Sidi Moumen d’El Jadida. C’est le seul élément nouveau intervenu dans le dossier de l’inculpé alors qu’il attendait un examen approfondi de son dossier. Espoir déçu.
À la faveur de la nouvelle donne judiciaire au Maroc et des ouvertures encourageantes opérées sur ce front , Mohamed Feggane s’avise de lancer un appel, sous forme d’une lettre, au ministre USFP de la Justice, Mohamed Bouzoubaâ. Un appel pathétique d’un homme ayant le sentiment d’être abandonné par tous demandant au ministre la révision de son cas sur la base d’un procès qui soit juste et équitable. La famille de M. Feggane adressera à son tour une autre correspondance au ministre de la Justice où elle explique les tenants et les aboutissants du dossier judiciaire de M. Feggane.Comment celui-ci en est-il arrivé là ? D’abord qui est-il ? Mohamed Feggane, 54 ans, était exportateur de fruits et légumes dans la région d’El Jadida dont il a fait une plate-forme pour la conquête du marché européen, notamment français.
Homme dynamique doté d’un flair remarquable des affaires, ce fils du peuple qui s’est élevé à la seule force du poignet s’installe donc dans la capitale des Doukkala où il achète des fermes et des terrains. Encouragé par les autorités locales de la province, Mohamed Feggane concrétise son projet en 1987, date qui marque le début de la libéralisation des exportations agricoles et la fin du monopole de l’OCE (office de commercialisation et des exportations).
Galvanisé et confiant, l’homme d’affaires fait de sa société, Necomi (Négoce et Commerce International) le fer de lance de son activité. Necomi travaillera en collaboration avec diverses coopératives et plus tard avec les agriculteurs locaux attirés par l’opportunité qui leur est offerte de commercialiser de manière optimale leurs produits en Europe. En un mot, le groupe Feggane est parvenu à l’intégration de l’ensemble de la filière “fruits et légumes“ avec comme avantage la réalisation d’importantes économies d’échelles.
Compte tenu du succès de cette opération régionale, certaines banques marocaines tentent de se rapprocher du groupe Feggane qui génère un chiffre d’affaires substantiel au fil des ans. C’est ainsi que la CNCA lui offre ses services. Partenariat accepté en 1989 par Necomi d’autant plus que l’entreprise a besoin pour faire face à ses engagements d’un partenaire bancaire solide qui puisse accompagner son développement. La CNCA, alors dirigée par Rachid Haddaoui, se trouve être, de par sa vocation, l’institution désignée. La collaboration entre Necomi et le Crédit agricole sera fructueuse. Les affaires marchent pour tout le monde aussi bien pour les clients et les fournisseurs marocains que pour les partenaires européens. Or, l’élan de Mohamed Feggane sera stoppé net à cause d’une affaire pour le moins bizarre. “J’ai fait bizarrement l’objet d’une plainte de la part d’un ressortissant français qui s’est avéré par la suite un escroc international recherché en France pour plusieurs délits”, déclare M. Faggane. Celui-ci sera tout de même condamné à une peine de 6 mois qu’il purgera ( juillet à décembre 1993). Mohamed Feggane est-il devenu subitement gênant ? Mais pour qui ? En tout cas, la détention brutale du patron de Necomi a eu des conséquences néfastes sur la marche de l’entreprise. En avril 1993, M. Feggane demande aux dirigeants de la CNCA le rééchelonnement de la dette de Necomi envers la banque. Un protocole d’accord sera signé entre les deux parties. La CNCA, qui verra arriver, entre-temps, à sa tête Abdellah Lahlou, remettra en cause ce protocole qui devait pourtant permettre à Necomi de rebondir et de régler les impayés evalués à quelque 89 millions de DH. Ce sera le début des problèmes de Nécomi et de son président. Celui-ci, qui se trouvait au courant de 1997 à Paris pour des soins médicaux, sera frappé, à sa grande surprise, d’une mesure de blocage aux frontières. Suite à cette situation, une autre banque avec laquelle travaillait Necomi se résoudra à son tour à condamner l’entreprise. Le CIH, c’est de cet établissement qu’il s’agit, met en effet un frein d’arrêt brutal au préfinancement de la campagne 1997-1998 pour un montant de 31.375.000 sous forme de traites avalisées. En agissant ainsi, le CIH a remis en cause les facilités consenties au groupe Faggane pendant les campagnes précédentes (1995-1996 et 1996-1997) et entamé des poursuites judiciaires contre lui. Motif avancé : les facilitées accordées au groupe en question ne sont pas autorisées par la direction de la banque. Il n’en fallait pas plus pour que le CIH accuse son client de détournement de fonds !
Malgré les multiples demandes d’arrangement entreprises par M. Feggane en vue d’un rééchelonnement de la dette, l’affaire atterrit devant la Cour spéciale de justice qui condamne, il y a trois ans, Mohamed Feggane à 20 ans de prison par contumace. Tout se passe comme si les deux banques se sont liguées contre leur client pour le casser au lieu de l’aider à sortir de la crise. C’est du moins le sentiment de l’intéressé. Considérant qu’il a été injustement condamné, confiant dans la justice de son pays, l’inculpé rentre au pays le 14 septembre 2000 pour se défendre et clamer son innocence. Le même tribunal juge qu’il est coupable. Au final, juste une réduction de la peine. 10 ans au lieu de 20. Récemment, il sera condamné à une deuxième peine dans le cadre du dossier de la CNCA. Ce sera 5 ans ferme.
Au total une peine d’emprisonnement de 15 ans pour un homme d’affaires qui, loin d’être un mauvais payeur, ne demande qu’à rembourser ses dettes. Troublant. Haj Mohamed Feggane, rongé par le diabète et le mal de la prostate, ne perd pas espoir. L’espoir de révision de son cas. L’espoir de retrouver sa famille.

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