Couverture

Un frein à la modernisation

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ALM : Quelle évaluation faites-vous de l’expérience des grands groupes familiaux dans la gestion de l’entreprise marocaine ?
Raphaël Mergui : Le système de gestion des grandes entreprises familiales au Maroc a toujours obéi à une approche féodale, basée sur le seul impératif de se maintenir. Un système économique calqué sur le politique et qui pose, depuis l’indépendance, deux problèmes majeurs au Maroc. Le premier en est qu’elles sont incapables d’innover, sachant que l’un des piliers du capitalisme est l’innovation. Le deuxième concerne le peu de productivité dont le fonctionnement de ces entreprises est marqué. La preuve en est que le Maroc n’a pas de véritable success story en matière d’affaires, même quand il s’agit de grands groupes familiaux, dont certains sont certes marqués par un paternalisme parfois sympathique et convivial. Ce qui est étonnant, c’est que même les jeunes générations restent enclines à procéder de manière traditionnelle, en ne cherchant aucunement à valoriser l’esprit d’initiative.
Quels sont les facteurs qui ont participé à cette situation ? Et quels sont les conditions de développement économique que le capitalisme familial marocain n’a pas rempli ?
Cela tient à mon avis du système d’éducation global au Maroc, basé sur l’obéissance et les éternels bis repetita. Nous assistons certes à l’émergence d’une nouvelle génération de leaders économiques, des « fils de…», issue de grandes écoles françaises ou américaines, mais avec un esprit tout aussi limité que leurs prédécesseurs et qui se contentent de reproduire des schémas préfabriqués. Il faut à cet égard différencier entre être né, avec une cuillère de manager dans la bouche et devenir chef d’entreprise. Si le souci du premier se limite à sauvegarder les acquis de la famille, à la maintenir dans la cour des grands, le deuxième crée, innove, se développe, parfois à ses risques et périls. L’enjeu pour ce dernier n’est pas la richesse en soi, mais la création de richesses qui ne soient pas profitables qu’à sa personne et aux siens. Cela, alors que le premier se contente d’exister.
Peut-on voir dans l’acquisition par la Banque Commerciale du Maroc de Wafabank un indicateur sur le début de la fin de cette forme de capitalisme ?
Le rapprochement entre BCM et Wafabank nous aura tout au moins prouvé l’échec du capitalisme familial au Maroc, aussi structuré et moderne qu’il puisse être. Il faut voir si la création de pôles de ce genre dans un secteur donné favorise la concurrence et la compétitivité. Il faut éviter le risque de se retrouver, un jour, à la case départ. D’autant plus que l’économie marocaine est verrouillée par le flagrant enchevêtrement des rôles des politiques, des banques et des industries. Cela empêche l’émergence d’une nouvelle élite, capable de prendre le relais de la croissance. Il faut commencer par revoir les liens existant entre banques et les industries. Les premières ne peuvent en aucun cas être actionnaires dans des secteurs économiques, mais être des facilitateurs de l’acte d’investir.
Êtes-vous optimiste pour l’avenir ?
L’évolution économique du pays ne prête guère à l’optimisme. Et pour cause, au-delà des personnes, il y a la carte économique du pays qui retarde le décollage de l’économie au Maroc. Nous avons une agriculture à dominante artisanale et dont l’Europe, principal importateur, n’en veut plus. L’industrie marocaine ne peut en aucun cas concurrencer celles de pays comme l’Inde ou la Chine. Il nous reste les services et le tourisme, qui obéissent à une conjoncture où la seule règle est l’aléatoire, et qui est dictée par des tendances géopolitiques que l’on ne maîtrise pas. Mais il y a surtout une absence totale de stratégie qu’aucun gouvernement n’a eue quant au devenir économique et social du pays.

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