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Un livre, une mémoire

Il existe des écrivains dont on entend parler. Tout le monde s’accorde à reconnaître leur qualité, mais peu de gens ont fait leur connaissance par l’oeuvre. Et puis, lorsque vient le temps de lire cette oeuvre, quelle charge d’énergie elle nous jette sur le visage ! Edmond Amran El Maleh est un grand, un très grand écrivain.
Ceux qui en doutent n’ont qu’à lire « Mille ans, un jour » pour s’en convaincre. Ce livre est à placer sous le signe de l’urgence. Urgence de témoigner pour la mémoire. Le titre peut se lire comme l’histoire du judaïsme, présente au Maroc depuis plus de mille ans, et que le projet sioniste a voulu déformer, effacer en un jour ou il y a un jour. Il fallait témoigner pour dire que cette communauté a été et peut être encore. Le vécu de Nessim, le principal personnage du livre, est là pour l’attester.
Le livre s’ouvre à cet égard sur une lettre de 1880 adressée par un Juif marocain à son petit-fils Nessim. Cette lettre dépeint une situation fraternelle entre les Juifs et les Arabes. Gardée précieusement dans un coffret de thuya, elle réapparaît régulièrement dans le livre comme pour couvrir de honte ceux qui veulent falsifier l’Histoire. Nessim visite le camp de Sabra et Chatila et découvre l’horreur : « des mouches sur les cadavres noirs, gonflés, en putréfaction, il ne faut pas les déranger, il ne faut pas déplacer ce journal qui cache une tête, elles grouillent en essaim vorace ». Il opère alors un retour très loin dans passé – le sien.
Aux ruines de Beyrouth se superpose la désolation d’un pays, vidé d’une composante essentielle de sa société. Nessim se souvient ! Il a tissé à Asfi des liens indéfectibles avec ses amis musulmans, en dehors de toute appartenance religieuse ou raciale. Le livre entier est ainsi traversé par un va-et-vient entre le temps du récit et le temps des souvenirs. La mémoire doit témoigner pour barrer la route à ceux qui espèrent modifier le cours de l’Histoire. Mais on se tromperait en pensant que Nessim a plongé dans son passé à seule fin de dénoncer le mal fait par les thèses sionistes à la communauté juive marocaine. Il y a cela bien sûr ! Mais il y a aussi le propre vécu du personnage avec sa somme d’amours, de voyages, d’amitiés et de désillusions. Et puis, il y a l’écriture de l’auteur. Une prose magnifique ! Une prose si dense qu’il est difficile d’y trouver une phrase superflue.
Le lecteur ne peut se permettre à la lecture de ce livre le moindre moment de relâchement sans laisser échapper des séquences porteuses d’un sens qui éclaire avec une acuité toujours renouvelée le propos de l’écrivain. Un style truffé de points d’interrogation et d’exclamation pour montrer la présence de celui qui écrit dans son texte.
Cette présence se manifeste aussi par un souffle ample, celui-là même qui permet de reconnaître la griffe des grands écrivains. L’une des grandes particularités de l’écriture d’Edmond Amran El Maleh, c’est qu’il multiplie les incises sans que sa phrase ne donne le sentiment d’être longue. Elle demeure tranchante, nerveuse, emportée par une poussée vigoureuse. Le style de «Mille ans, un jour» participe de l’art de la fugue. Il remplit avec fougue les espaces sans opérer de pause. Il a quelque chose d’épique sans cesser d’être moderne. Et il est vrai que l’écrivain s’apparente dans ce récit à un mémorialiste.
Il témoigne pour tous ceux qui sont partis, bernés par la propagande sioniste. L’une des histoires les plus touchantes est celle de Yeshuaa, un Marocain vivant en paix à Amizmiz et que l’on somme pratiquement de quitter son pays. Là-bas, Il se retrouve dans le « ghetto des Juifs orientaux». Yeshuaa représente tous les Juifs marocains qui ont pris le chemin d’Israël. «C’est un nom pour tous les autres, lieu de passage d’une parole roulant d’écho en écho, jaillissant d’un silence sans cesse refermé, ultime battement d’une paupière qui s’éteint ».

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