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Un Maroc contre un autre

La soirée électorale du vendredi 27 septembre au siège du ministère de l’Intérieur manquait d’ambiance. C’est le moins que l’on puisse dire.
Et pourtant, les invités, pour la plupart des journalistes marocains et étrangers, étaient nombreux à faire le déplacement. Finalement pour rien. Tout le monde croyait que les premiers résultats allaient commencer à tomber vers minuit ou au maximum à partir de 4 heures du matin. Peine perdue. Le jour s’est levé et toujours pas de résultats.
Contrairement aux législatives de 1997, les figures politiques furent absentes de cette cérémonie, préférant suivre les péripéties du scrutin depuis les sièges de leurs partis ou pour les candidats à partir de leurs circonscriptions. Seuls deux leaders étaient présents : Mahjoubi Aherdan du MNP et Abderrahim Lahjouji de Forces Citoyennes. Candidat à la circonscription de Casa-Anfa, ce dernier avait du mal à cacher sa joie. “ Nous avons obtenu notre premier siège à Dakhla“, confie-il, un large sourire aux lèvres. C’était vers 11 heures du soir. M. Lahjouji, qui croyait jusqu’au bout à sa bonne étoile à Casa-Anfa, ne savait pas encore qu’il allait être battu et que son parti n’allait pas trop améliorer son score.
En l’absence d’informations officielles, fussent-elles partielles, on en était réduit à échanger des échos venus de telle ou telle circonscription sur telle ou telle tête de liste. Le PJD qui serait arrivé deuxième après l’USFP. Le PJD qui aurait raflé un grand nombre de sièges. Le PJD qui aurait enlevé deux sièges sur 5 à Tétouan. Contacté par nos soins, le wali de la ville Mohamed Gharrabi nous répond que l’opération de dépouillement est en cours et que les vainqueurs ne sont pas encore connus. Un peu plus tard, une rumeur circule parmi les convives comme une traînée de poudre. Abbas El Fassi aurait mordu la poussière à Larache, battu par un candidat PJD. Encore les islamistes. Cette rumeur a un brin animé une atmosphère terne avant que l’intéressé, joint sur son téléphone par un journaliste, ne démente la nouvelle.
L’arrivée vers minuit et demi du ministre de l’Intérieur Driss Jettou tire les confrères de l’ennui qui commençait à se dessiner .Visiblement tendu, M. Jettou ne fera pas la tournée classique et le serrage des mains habituel. Juste une apparition-éclair et il s’éclipsera avec ses collaborateurs. Devant une flotille de caméras et d’appareils-photos, M. Jettou annoncera tout de même que le taux de participation oscille entre 52 et 55%. Ce sera le seul chiffre de la soirée. Pour le reste, le plus important, c’est-à-dire les résultats, il faut encore prendre son mal en patience. Avoir les yeux rivés sur les écrans géants et les postes de télévision qui retransmettaient en duplex à jet continu les commentaires souvent rébarbatifs des hommes politiques sur les enjeux du scrutin. Les animateurs de la première chaîne se relayaient à l’antenne sans répit. Jusqu’à l’usure. Il fallait maintenir une veille permanente et meubler un vide qui allait en s’amplifiant. La deuxième chaîne, qui a installé son quartier général dans un hôtel de Rabat, a dû arrêter sa programmation à 2 heures du matin pour reprendre le lendemain vers 8 heures avec quelques résultats venus des provinces du sud. Rien sur les autres régions et villes…
Visiblement fatigués d’attendre des donnés qui ne tombaient même pas par bribes, les représentants de la presse, résignés, tuaient le temps et trompaient le sommeil en se bousculant devant le buffet abondant du traiteur Rahal. Quant aux ordinateurs, ils étaient certes allumés mais le serveur central, qui devait centraliser les résultats, était bloqué ou bogué. “Incapable afficher la page“, tel fut le message affiché par la trentaine de postes soigneusement alignés sur de longues tables dans une grande salle.
Une nuit électorale donc blanche. Sans animation. Sans adrénaline. Une nuit qui s’enlise et s’éternise. Cet état de fait inédit fut expliqué par la complexité du mode de scrutin de liste et le caractère laborieux du système de calcul des suffrages. Résultat : l’opération de dépouillement dans nombre de provinces et de villes ne serait pas encore achevée. Le report de la conférence de presse du ministre de l’Intérieur, prévue samedi à midi, a été attribué justement à ce retard pour le moins inattendu. Une situation qui semble avoir pris de court l’appareil de l’Intérieur qui ne savait plus quoi faire pour affronter cette situation de crise manifeste.
Une crise accentuée par l’absence de communication des responsables du ministère en question et plus tard par le second report de la conférence de presse renvoyée à samedi 19 heures puis à dimanche à la même heure. Là, les observateurs ne comprennent plus rien. Qu’est ce qui se passe ? C’est la question qui était sur toutes les lèvres. Les portables n’arrêtent pas de sonner. “ Mon Dieu, on est en train de flinguer le processus législatif“, s’alarme un homme politique. “ Pour une fois que le Maroc a tenu des élections transparentes, les choses tournent mal. Notre pays n’a pas de chance“, se désole un candidat heureux.
Dans les sièges des partis, c’est la fébrilité mâtinée de désarroi qui a pris le dessus jusqu’à atteindre son paroxysme. Le black out officiel sur les résultats a eu pour principal conséquence d’alimenter la surenchère électorale sur fond de spéculations et de pronstics. Place donc à la rumeur. D’abord celle-ci: le département de l’Intérieur fut tétanisé par le score important obtenu par le PJD qui serait la première force du pays. La rivalité USFP-Istiqlal reprend de plus belle. Chacun, le deuxième plus que le premier, dit arriver en tête dans une course à peine voilée vers la primature. Qui croire ? L’intox bat son plein. Le suspense aussi. La confusion s’installe. Au siège du parti de l’USFP en début de soirée de ce samedi le plus long, les visages étaient fermés dans une ambiance d’attentisme . Le premier secrétaire de l’USFP Abderrahmane Youssoufi suivait, lui, le déroulement des événements depuis sa villa de fonction à Rabat. Une chose est sûre : il fallait régir. Et vite. Le monde entier a les yeux tournés vers le Maroc qui est en train de vivre les premières élections transparentes de son histoire.
L’enjeu est trop important pour continuer à s’enfermer dans un silence devenu pesant. Driss Jettou a fini par comprendre cela. La mine crispée et la voix néanmoins ferme, il annoncera, plus tard dans la soirée du samedi 28 septembre vers 22 heures 45, les résultats partiels concernant de 284 sièges sur 325 à l’issue d’une déclaration exceptionnelle sur la première chaîne de télévision. Le processus électoral est sauvé. In extremis. Ouf de soulagement. Quelques minutes après la fin de l’exposé du ministre, les collaborateurs de celui-ci ont entrepris de téléphoner à droite et à gauche en quête de réactions par rapport à la prestation de leur patron.

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