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Un ministre d’une autre ère

À force de durer, de phagocyter l’ensemble de son département et ses ramifications tentaculaires, on ne sait plus ce qui est du ressort du ministre des Affaires islamiques, ce qui relève d’autres départements et conseils…
Abdelkébir Alaoui M’daghri qui est à la tête de ce département depuis voilà deux décennies se comporte finalement comme un mufti. Il décide de l’illicite et du licite. Et fait en sorte que seule sa voix et seules ses lois font foi. Or, ni ses prérogatives en tant que ministre, ni son savoir-faire en tant que titulaire d’un portefeuille ministériel, encore moins son érudition en matière des sciences islamiques, ne le prédisposent à un tel rôle. Certaines de ses interventions sont en totale contradiction avec l’esprit même de la religion telle qu’elle est pratiquée chez nous, selon les préceptes, considérés parmi les plus orthodoxes, du rite malékite.
En se permettant de révoquer certains oulémas il y a un peu moins d’un an, de tancer d’autres et de punir les autres pour manque de suivisme à son égard ou encore en marginalisant de réelles compétences en matière de théologie et d’approches éclairées de la religion, il fait preuve d’un parti-pris et d’un activisme douteux.
L’un des exemples les plus démonstratifs de cette attitude floue nous a été fourni durant la période qui avait immédiatement suivi les attentats terroristes de septembre 2001 sur le territoire américain.
Lors de ces semaines cruciales qui ont suivi les attentats, des oulémas marocains avaient sorti une fetwa interdisant toute forme de collaboration avec les USA dans ses éventuelles attaques contre des pays musulmans. Certains d’entre eux avaient condamné la cérémonie oecuménique organisée à la cathédrale de Rabat, avec l’aval des plus hautes autorités du pays et la participation effective de nombreuses personnalités marocaines, notamment le premier ministre, Abderrahmane Youssoufi, qui conduit l’équipe gouvernenmentale dont M’Daghri Alaoui fait partie.
Au-delà de l’aspect politique que les théologiens auteurs de la fetwa n’ont pas pris en compte, le problème s’est posé ailleurs. Des personnalités religieuses relevant de l’autorité du ministère des affaires islamiques, des prêcheurs dans de nombreux lieux du culte ont manifesté vigoureusement et bruyamment contre ces initiatives essentielles pour le pays, sans que le ministre de tutelle ne se prononce clairement pour mettre fin à ces attitudes et prises de position nuisibles.
Dans une rencontre avec l’un des rédacteurs de cette fetwa, un érudit et ancien membre du conseil des oulémas de Rabat, Driss Kettani, par ailleurs auteur de dizaines d’ouvrages sur la théologie, ainsi que l’histoire de l’Islam et les préalables à même de permettre à la nation de l’Islam d’aller de l’avant, on a pu mesurer le hiatus entre la réalité incarnée par M. Mdaghri Alaoui et ses prérogatives telles que définies par la loi et par la chariaâ, elle même.
Pour M. Kettani, prononcer des fetwas relève entre autres du redressement des torts qui est une obligation pour tout musulman. Pour les oulémas, reconnus par leur communauté en tant que tel, rien ne leur interdit de dire des fetwa d’autant plus que le ministère n’est pas habilité pour le faire.
Plus, des oulémas étaient allés trop loin en déclarant que la seule autorité religieuse c’est eux. « S.M. le Roi est Amir Al Mouminine et reste au dessus du lot. Il est l’autorité suprême et l’arbitre dès qu’il y a divergences. Mais l’autorité, ce sont les conseils des oulémas. » Clair et net, le ministre n’a pas de place dans cette configuration…
En fait, le département des Habous et des affaires islamiques est à vocation administrative. Il gère les affaires du département, en gère le personnel, les biens et les compétences. Mais, il ne peut intervenir en tant que tel dans l’explication ou l’interprétation des textes sacrés ou pour valider les contributions (ijtihad) des oulémas. L’ijtihad en fait a ses règles et aucune personne, aussi ministre soit-elle, ne peut prétendre à un tel rang si elle n’a pas la caution morale des oulémas et le savoir scientifique nécessaire et reconnu par ces instances.
Il est une chose que l’on comprend : M. M’daghri Alaoui a pris les rênes du département à un moment où on avançait beaucoup la raison d’Etat dans son acception strictement sécuritaire. Il a calqué le modèle du ministère de l’Intérieur des années soixante dix, quatre vingt pour rendre son ministère plus tentaculaire et plus imposant. Résultat, tout lui échappe aujourd’hui, y compris le droit de regard administratif qu’il doit avoir sur les mosquées, devenues des lieux d’endoctrinement et d’embrigadement. Une dérive inquiétante pour la communauté dans son ensemble.

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