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L’affaire des caricatures : incompréhension générale?

© D.R

L’affaire dite des « caricatures » a fait couler beaucoup d’encre. Elle a également suscité de vives réactions. C’est surtout l’émotion des musulmans qui semble avoir fait l’objet d’une attention toute particulière. Cela est tout à fait légitime dès lors que c’est la communauté musulmane qui se sentait visée par la publication de ces caricatures litigieuses. Mais il faut surtout, à mon sens, revenir sur l’incompréhension qui règne au sein de certaines composantes de la société française, mais également dans les autres sociétés européennes.
Tout d’abord, revenons sur le sentiment d’indignation qui a parcouru l’ensemble de la communauté musulmane. Qu’il s’agisse de Français de confession musulmane, mais également de tous les autres musulmans non-francophones, les sentiments ont été les mêmes : indignation, offuscation, colère.
Nombreuses spéculations ont été faites sur la question. Certains avanceront la pseudo-théorie d’un «choc des civilisations». D’autres y verront la traduction de la radicalisation des musulmans. Ces deux justifications témoignent d’une incompréhension totale de la réaction des musulmans. Il est évidemment bien facile de céder à des explications aussi simplistes, mais qui sont fondamentalement erronées.
La réaction suscitée par la publication de ces caricatures doit être replacée dans un contexte plus global. Il est constant que depuis la commission des odieux attentats du 11 septembre 2001, toute l’attention s’est portée sur la communauté musulmane. Des critiques des plus vives, des approximations des plus simplistes, des jugements erronés, ont été formulés à l’endroit des musulmans en général, et de l’Islam en particulier. Tout cela est à l’origine d’un sentiment d’indignation au sein de la communauté musulmane. Une chose est d’affirmer que certaines personnes utilisent l’Islam à des fins guerrières, autre chose est d’assimiler l’ensemble des musulmans à cette «idéologie destructrice».
Les pratiques au sein de la communauté musulmane sont aussi diversifiées que la communauté compte des milliers de personnes. L’approche de l’Islam n’est pas parfaitement homogène. Si bien que réduire la conception de l’Islam à une seule et unique est absolument inapproprié. Et cela est d’autant plus erroné lorsqu’il s’agit de faire adhérer l’ensemble des musulmans à une approche guerrière et destructrice, approche qui est le fait d’une infime minorité de personnes se réclamant de l’Islam. Or, tel était précisément l’objet des caricatures publiées initialement par un journal danois, et reprises par d’autres journaux européens. Et là se pose précisément le problème.
Il ne s’agit pas de la question de la représentation du Prophète Mohammed, laquelle est effectivement prohibée par l’Islam, mais qui ne saurait être transposée aux non-musulmans. La question ou plutôt le problème est celui de l’assimilation des musulmans au terrorisme. Ces caricatures avaient essentiellement pour objet, à travers le recours à l’image du Prophète Mohammed et de la retranscription de l’attestation de foi prononcée par l’ensemble des musulmans, de faire de chacun d’entre eux un terroriste potentiel, un terroriste en germe. Et cela est inacceptable pour plusieurs raisons.
D’une part, ces caricatures contribuent à banaliser davantage l’idée selon laquelle l’Islam se ferait l’apologie de la guerre et de la destruction. D’autre part, par la production de ces caricatures, l’idée simpliste qui transparaît est la suivante : vaincre le terrorisme, revient tout simplement à combattre l’Islam, et donc a fortiori les musulmans. Et c’est précisément ce qui est dangereux dans la reproduction de ces caricatures. Et c’est également pris dans cet angle là que les caricatures ont affecté les musulmans, lesquels se sont vu ériger en «terroristes».
Face à ces sentiments d’indignation, de colère, beaucoup sont ceux qui ont cédé à une analyse simpliste consistant à affirmer que l’Islam est, en soi, incompatible avec les valeurs de la République, et notamment avec la liberté publique fondamentale qu’est la liberté d’expression. Une telle affirmation est totalement erronée. Elle a uniquement vocation à alimenter davantage l’impossible conciliation entre les principes de l’Islam et les valeurs de la République. Or, nous ne pouvons adhérer à une telle vision des événements. Pis, nous ne pouvons que la condamner. A mon sens, et pour reprendre les termes tout à fait pertinents de Régis Debray, il s’agit davantage de la nécessaire «gestion des devoirs».
Il convient de préciser que nous sommes totalement d’accord sur le principe de la primauté de la liberté d’expression, laquelle se trouve être même une des libertés les plus fondamentales. Mais une liberté ne permet pas tout. D’ailleurs, l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen reprend bien cette idée, puisqu’il dispose que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque Homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits».
Ainsi, dans l’esprit même des rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, l’exercice d’une liberté ne pouvait se concevoir sans que des limites soient posées. Cette conception des libertés, est également consacrée dans les articles 22 à 27 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, laquelle prévoit que des limites doivent être posées à l’exercice des droits et ce en vue d’assurer notamment «la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui».
Il existe donc bien des limites à l’exercice de la liberté d’expression, et celles-ci sont inhérentes à son existence. C’est précisément la position du législateur lorsqu’il a adopté la loi du 29 juillet 1881, en posant deux limites majeures à l’exercice de la liberté d’expression. Il s’agit d’une part de l’interdiction de la diffamation (définie comme «toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé»), et d’autre part de celle de l’injure (qui consiste en «toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait»).
Le législateur est tellement attaché à cette conception des libertés publiques, qu’il a renforcé le dispositif existant par l’adoption des lois du 1er juillet 1972 et du 13 juillet 1990, lesquelles instituent le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale.
Il résulte de l’ensemble de ces précisions, que la réaction des musulmans s’inscrit bien dans le sentiment fort que les limites à l’exercice de la liberté d’expression ont été franchies. Et affirmer que ces limites ont été franchies ne signifie pas que nous, musulmans, remettons en cause cette liberté fondamentale. Cela signifie tout simplement que nous exigeons que nos droits et nos libertés, tels qu’ils sont garantis par les lois de la République, soient également respectés. Nous nous plaçons donc dans une logique purement démocratique, et absolument pas théologique. La conciliation entre les principes musulmans et les principes républicains sont donc plus que jamais conciliables. Certains l’ont bien compris, et je ne peux donc que saluer chaleureusement l’intervention de monsieur le président de la République Jacques Chirac, de monsieur le Premier ministre Dominique de Villepin et celle de Martine Aubry , maire socialiste de Lille. La justesse de leurs propos ne peut être que vivement appréciée. 

Mohamed Bechari
Vice- Président du conseil français du Culte musulman (CFCM)
Président de la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF)
Secrétaire général de la Conférence islamique européenne (IEC/CIE)

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