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Najat Belkacem : «Je suis fière de l’évolution du Maroc»

© D.R

ALM : Quelles premières leçons tirez- vous de votre expérience de porte-parole de la candidate socialiste lors des dernières présidentielles ?
Najat Belkacem : Je crois que cette expérience a été très formatrice pour moi. Il y a eu des moments durs, mais aussi des moments de joie intense. Je retiens surtout de cette expérience la conviction que les Français ont un besoin ardent d’être écoutés et qu’ils ont été longtemps, par une pratique politique devenue trop routinière, frustrés de cela. Cette écoute, c’est la condition de leur adhésion à la politique et aux réformes. Cette campagne a été de ce point de vue là assez inédite. Avec les débats participatifs, Ségolène Royal a inauguré une nouvelle façon de faire de la politique et a entraîné tous les candidats, mais aussi les journalistes, dans cette démarche. Au final, la démocratie en sort renforcée avec un taux de participation historique. La seconde leçon, je la tire surtout de la défaite. Les résultats ont montré que les Français étaient demandeurs d’un dépassement des clivages. Il ne s’agit pas de renoncer à ses idées et à ses idéaux, mais de convenir que sur certains sujets, des majorités d’idée peuvent naître qui transcendent les clivages. Ils ont également montré qu’ils souhaitaient une rénovation de la vie politique en particulier à gauche. Cette défaite est porteuse de beaucoup d’exigences et de beaucoup d’espérances, pour le Parti socialiste en particulier.

Avec le recul, qu’est-ce qui a manqué à Ségolène Royal pour remporter cette présidentielle ?
Je crois qu’il a surtout manqué du temps à Ségolène Royal qui avait en face d’elle un candidat en préparation depuis cinq ans. Je considère aussi que pour gagner une élection, il faut un parti mobilisé, fort et organisé. Je crois que malgré les efforts des uns et des autres dont je peux témoigner, il s’est passé trop peu de temps entre les primaires du Parti socialiste et la campagne présidentielle pour que les blessures, légitimes, se referment. Notre candidate a manqué d’appuis. La vague rose qui aurait pu déferler sur la France n’a pas eu le temps de grossir. Enfin, il y a cette question de la rénovation idéologique, culturelle, politique de la gauche qui s’est faite jour, comme une urgence, en cours de campagne. Là aussi, je crois que Ségolène Royal, qui a fait son maximum avec courage et détermination, a manqué de temps. Tout cela me fait dire qu’il faudra prendre en compte pour les prochaines échéances cette question du calendrier.

Quelles réflexions vous a inspiré la formation du gouvernement de François Fillon ?
J’ai trouvé que c’était politiquement un «bon coup», mais cela reste un coup. François Fillon l’a souvent dit, la feuille de route de ce gouvernement, c’est le programme de Nicolas Sarkozy, tout le programme, rien que le programme. Dans ces conditions, cette ouverture gouvernementale qui se fait à des hommes de sensibilités différentes mais pas à leurs idées, n’est qu’un trompe-l’œil. J’ai été peinée que des gens que j’estime, comme Bernard Kouchner ou Martin Hirsch, se laissent prendre à ce piège. Ils s’illusionnent s’ils pensent qu’ils pourront s’exonérer de la solidarité gouvernementale ou infléchir certaines idées du président de la République. Le temps révèlera tout cela, car la réalité sera un exercice solitaire d’un «hyper-pouvoir» présidentiel.

Comment avez-vous reçu la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ?
Cela n’a pas été une surprise, c’était dans le programme de Nicolas Sarkozy, je l’ai dénoncé comme porte-parole de Ségolène Royal. Je continue à penser que c’est d’abord un ministère de l’humiliation et de l’identité nationale. Je n’adhère pas du tout à cette idée d’un «conservatoire de l’identité nationale» qui sera par essence totalitaire. L’identité d’un pays ne se fige pas à un moment de son histoire. Les historiens qui ont démissionné du musée de l’histoire de l’immigration, comme Patrick Weill ou Gérard Noiriel ne disent pas autre chose.

Que pensez-vous de la nomination de Rachida Dati, d’origine marocaine, à la tête d’un ministère régalien, celui de la Justice ?
Je suis très contente pour elle. Même si beaucoup de choses nous opposent politiquement, je sais qu’elle mérite cette place, c’est une femme de talent et je lui souhaite bonne chance. Mais je sais aussi que nous risquons encore de nous opposer sur bien des points, notamment sur la question de la justice des mineurs.

Vous concourez pour la députation à Lyon, quels sont les thèmes que vous mettez en avant pour convaincre les électeurs ?
Je suis en effet candidate à la députation dans une circonscription très ancrée à droite. C’est un combat difficile, mais enthousiasmant. Je mets en avant deux choses essentielles : la première, c’est qu’après toutes les mises en garde contre ce qu’on laisse en héritage aux générations futures, nous y sommes, c’est aux gens de ma génération d’assumer concrètement et sans délai le remboursement de la dette publique, le financement des retraites ou les changement climatiques; c’est donc pleinement consciente de ces responsabilités que je m’engage en politique. Le second point que je souligne, c’est ma volonté d’être une députée citoyenne, c’est-à-dire une députée qui ressemble à ses électeurs, qui reste disponible et à l’écoute, qui conçoit son mandat comme une charge et non comme un privilège. Bref, une autre façon de faire de la politique que j’oppose à mon principal adversaire, un cumulard à l’ancienne dont la candidature me paraît totalement anachronique. Enfin, mes thèmes de campagne rejoignent les préoccupations quotidiennes des Français, mais aussi d’une certaine manière mon histoire personnelle. C’est pour cela que je défends l’école, la petite enfance, l’accès au logement et aux soins. Mais je crois aussi que la meilleure politique de l’emploi reste la croissance, c’est pour cela que j’attache beaucoup d’importance aux questions économiques, à la recherche et à l’innovation.

Comment la gauche peut-elle éviter le raz-de-marée UMP que prévoient les instituts de sondage ?
Il faut s’attendre à ce raz-de-marée, c’est dans la logique des institutions. Mais nous devons également dire aux électeurs que l’absolutisme politique n’est une bonne chose pour personne, car sans opposition, sans contradicteurs, sans alternative politique crédible et constructive, l’intérêt général sera moins bien défendu. Il est nécessaire d’avoir une opposition forte à l’Assemblée. Mais pour que les électeurs nous fassent confiance, il faut aussi prendre l’engagement de la rénovation. Cette défaite à l’élection présidentielle a ceci de paradoxal qu’elle est porteuse d’exigences fortes à notre endroit et, si l’on sait s’y prendre, de beaucoup d’espoirs pour demain.

Que représente pour vous et pour votre parcours une possible accession à l’Assemblée nationale ?
Quand on est arrivé en France à 4 ans sans parler un mot de français (ce qui ne sera plus possible avec le nouveau gouvernement, même dans le cadre du regroupement familial !), que l’on n’était pas qualifiée d’avance pour l’avenir, mais qu’on a pu trouver sens et réalité dans les mots école républicaine et solidarité nationale, c’est d’abord une aventure extraordinaire. C’est ensuite pour moi qui ai choisi de devenir française un accomplissement citoyen et une façon à mon tour de faire quelque chose pour mes concitoyens. J’espère aussi que cela sera le signe que les portes des partis sont ouvertes à tous et que le changement passe par l’engagement.

Vous dites que vous avez pris votre carte au PS après le 21 avril 2002, comment évaluez-vous l’influence des idées du Front national au sein de la société française d’aujourd’hui ?
Je ne veux pas caricaturer les choses, mais force est de constater qu’on a entendu dans cette campagne des mots qui blessent, qui stigmatisent, qui humilient. La nouveauté c’est qu’on ne les a pas seulement entendus dans la bouche du Front national, mais dans celle d’un parti de gouvernement, l’UMP, dans celle de celui qui est devenu président de la République. Robert Badinter, dont on ne peut pas dire que ce soit quelqu’un d’excessif avait parler durant cette campagne de «lepénisation» des esprits. Je crois malheureusement que les idées du Front national ont effectivement gagné du terrain et je considère qu’elles ne sont pas plus respectables lorsqu’elles sont dites par d’autres. Peut-être s’agissait-il seulement d’une stratégie électorale, de couper l’herbe sous les pieds de Jean-Marie Le Pen, mais toujours est-il que je trouve dangereux de jouer à chasser sur les terres de l’extrême droite.

Quels types de relations gardez-vous avec votre pays d’origine, le Maroc ?
Je garde avec le Maroc des relations affectives fortes, mais je n’ai malheureusement pas eu le temps d’y aller depuis longtemps. J’espère rattraper cet été le temps perdu en y revenant. J’ai reçu durant la campagne et aujourd’hui encore beaucoup de messages de Marocains et ça me fait à chaque fois un immense plaisir. Je suis très attachée à mon pays d’origine et je suis fière aujourd’hui de la place que le Maroc prend dans l’espace euro-méditerranéen. Je regarde la modernisation en marche du Maroc avec exigence et impatience. Enfin, je suis très favorable à un dialogue encore plus riche avec le Maghreb, car je suis persuadée que cela signifie en France plus de compréhension mutuelle, plus de tolérance et, j’espère, moins de discrimination.


 
Bio-express


«Pour dire quelques mots de mon parcours personnel, je suis née au Maroc dans un milieu rural et j’ai grandi dans la banlieue d’Amiens avant de rejoindre Paris pour achever mes études à l’Institut d’études politiques». C’est ainsi que Najat Belkacem se présente dans son site Internet : www.najat-vallaud-belkacem.com.
À 29 ans, mariée depuis peu, cette Franco-marocaine est devenue une «Lyonnaise passionnée qui tente, au quotidien, d’agir pour le développement de la ville et l’amélioration de la qualité de vie de tous ses habitants».
La candidate du Parti socialiste aux élections législatives dans la quatrième circonscription du Rhône, à Lyon, est d’origine rifaine. Née à Beni Chiker, un village près de Nador, la belle brune est présentée comme une jeune pousse pragmatique.
«Mon parcours ressemble finalement à celui de nombreuses jeunes femmes de ma génération qui ont fait le choix des études pour exercer pleinement un métier, être autonome et accéder à assez de responsabilités pour espérer changer la société, la rendre plus juste, plus solidaire, plus heureuse», confie-t-elle.

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