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Tunisie : Les jeunes de Sidi Bouzid entre chômage et espoirs déçus

«A Regueb, on dit que la terre est bonne et l’eau est douce. Possible. En attendant, nous sommes au chômage», s’esclaffe une jeune habitante de cette ville du gouvernorat de Sidi Bouzid, la région centrale de Tunisie érigée en symbole de la révolution. Mouna Abidi a 28 ans, mariée, une petite fille de cinq mois. Comme des dizaines d’autres jeunes diplômés en informatique, elle a été recrutée pour inscrire sur les listes électorales les Tunisiens appelés à élire une Assemblée constituante le 23 octobre prochain. Dans la salle municipale surchauffée de Regueb, ils sont cinq ou six derrière leurs ordinateurs. Pour participer à «la construction de la nouvelle Tunisie». Pour gagner aussi un petit salaire, peut-être 200 dinars (environ 100 euros) mensuels, mais le montant n’a pas encore été vraiment fixé avec l’ISIE, l’instance qui chapeaute les opérations d’inscription. Regueb, environ 10.000 habitants, cuit sous le soleil. Hormis quelques graffitis, rien n’indique que cette ville a été aux avant-postes du soulèvement populaire de décembre 2010-janvier 2011 qui a abouti à la chute du régime de Ben Ali. Mouna hausse les épaules. «On n’a vu aucun changement. Ce qu’on veut, nous, c’est du travail. C’est la première chose qui nous importe». Son mari est chômeur depuis 2003, elle depuis 2008. Ils se débrouillent, lui avec des petits travaux de maçon, d’épicier, elle avec un job de secrétariat. Les bons mois, ils touchent à eux deux 350 dinars (environ 175 euros). A ses côtés, Mohamed Ali Kaddachi, diplômé lui aussi, fait ses comptes: «j’ai 35 ans, je n’ai jamais été marié, et en tout et pour tout j’ai travaillé huit mois dans ma vie».  La région centrale de Tunisie est une des plus pauvres et des plus frondeuses du pays. Essentiellement agricole, pas d’industrie, pas d’infrastructures. «Ben Ali a favorisé les zones côtières. Il nous considérait comme des ploucs. Ici, il n’y a rien», résume Abdallah, un jeune professeur. Il n’y a pas de chiffre officiel sur le taux de chômage dans le gouvernorat de Sidi Bouzid (la moyenne nationale est de 14%), mais selon des estimations, il atteint plus de 40% chez les jeunes diplômés, et l’économie locale est incapable d’absorber ces chômeurs. «Après la révolution, ils nous ont promis du travail, des usines, mais on ne voit rien. Des promesses, des mots», s’énerve Yousri Gnojja, un jeune professeur de 27 ans. «La seule chose qu’ils font de bien ici, c’est le couvre- feu et les arrestations», ajoute-t-il, exaspéré. Depuis lundi, Sidi Bouzid, chef-lieu du gouvernorat, est sous couvre feu nocturne, suite à de graves incidents qui ont fait un mort, un adolescent de 14 ans tué par balle lors de la dispersion d’une manifestation. Accident, selon le ministère de l’Intérieur. Tir intentionnel, pour les proches de la victime. Depuis, la ville présente un visage tranquille en apparence, mais plusieurs signaux sont au rouge, selon Nsiri Bouderbala, militant local de la Ligue des droits de l’Homme. «Il y a une accumulation. Les jeunes sont révoltés et déçus, ils ne voient pas de changement réel du point de vue économique et social, et ils observent les partis politiques et les opportunistes de tout poil qui cherchent leur part du gâteau de la révolution».Des projets ont pourtant été annoncés par le gouvernement transitoire, comme la construction d’une laiterie et d’une zone industrielle. Un programme «Amal» (Espoir) permet depuis mars le versement, sous conditions, de 200 dinars mensuels aux jeunes diplômés en recherche d’emploi. «On a la liberté, d’accord. Mais ça ne se mange pas», tranche Yousri Gnojja.

  Cécile Feuillatre (AFP)

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