Politique

La technique apporte énormément mais elle ne peut pas tout faire

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ALM : La sécurité est plus que jamais d’actualité, pensez-vous que l’on soit aujourd’hui conscient au sein de la société des véritables enjeux et menaces ?
 

Alain Juillet : Nous sommes dans un monde en mutation dans lequel la société d’aujourd’hui doit trouver toute sa place car il est rempli d’opportunités pour ceux qui savent les saisir. La variété et l’importance des menaces de tout ordre ont fait prendre conscience qu’il fallait se protéger sérieusement. L’entrée dans le cyberespace et la pratique du numérique nous ont fait passer de la protection physique et matérielle assurée par le gardiennage à la protection de l’immatériel et à l’obligation de prendre en compte des risques nouveaux. L’évolution climatique, les migrations de populations, le développement des organisations criminelles, la pratique du blanchiment, la montée d’un terrorisme oubliant l’idéologique pour aller vers le religieux exigent que la société moderne tout comme les entreprises et les Etats répondent aux menaces. Il faut mettre en place une sécurité qui en réduit le risque et anticipe leur éventuelle réalisation. C’est le rôle des Etats et des organisations internationales d’expliquer ce qui se passe et de montrer qu’il faut s’adapter à la réalité d’aujourd’hui et de demain.
 
Le développement technologique n’est-il pas une arme à double tranchant ?

La technologie n’est qu’un aspect du problème. La sécurité s’appuie sur un état d’esprit que l’on crée en sensibilisant les populations et les individus à la réalité de la menace et à ses conséquences prévisibles. L’évolution technologique actuelle est très bénéfique car elle accélère et amplifie la capacité d’acquisition et de traitement des données. La pratique du big data et des algorithmes, qui permettent d’en extraire les informations utiles et d’identifier les signaux faibles, change notre approche et nos méthodes. Mais cela ne doit pas remplacer l’analyste qui croise les renseignements recueillis avec son intuition et ses connaissances issues de l’expérience. Chaque fois qu’on a oublié cette partie pour croire que les machines allaient tout faire on a connu un échec. La technique apporte énormément mais elle ne peut pas tout faire et ce n’est pas souhaitable car même le logiciel peut se tromper si l’ingénieur l’a mal programmé ou laissé avec des portes ouvertes.  

Quel est l’impact de la fracture numérique sur les domaines de la sécurité ?

Comme dans la quasi-totalité des activités humaines, la possession et l’exploitation d’outils numériques donnant accès aux potentialités du cyberespace donnent un avantage concurrentiel énorme par rapport à tous ceux qui ne l’ont pas. Avec le Web et l’utilisation des banques de données on peut acquérir en quelques clics une connaissance d’un marché, d’une histoire, d’un processus qu’il aurait fallu des mois ou des années pour atteindre dans une recherche normale. Cela crée un désavantage qui fracture l’humanité entre ceux qui ont accès et vont pleinement en bénéficier et les autres qui sont condamnés à être loin derrière. Dans la sécurité c’est la même chose. L’utilisation de la biométrie, par exemple, permet d’identifier un individu à une frontière, dans une foule, dans la rue quel que soit son changement de nom ou d’apparence. C’est une vraie révolution. L’analyse de toutes les données disponibles sur un secteur permet d’identifier des comportements anormaux ou atypiques et de n’avoir plus à chercher une aiguille dans une botte de foin avant d’identifier les coupables potentiels. En sécurité la fracture numérique permet d’aller plus vite, plus loin et d’être plus précis face à des gens qui ne disposent pas des mêmes outils. Le problème c’est que les grandes organisations criminelles ou terroristes ont appris à se servir du numérique, inventent des parades, et essaient de contourner les difficultés que cela leur crée.

Quel état des lieux peut-on dresser aujourd’hui dans le continent ?

L’Afrique est le continent de demain. La croissance démographique, le développement économique et l’impact des évolutions climatiques font qu’elle va connaître un développement extraordinaire mais qui ne sera pas uniforme. Les Etats vont devoir gérer, parallèlement à la croissance, les mouvements de populations, les risques de pénuries alimentaires dans les grandes villes, les trafics inter-pays, les flux illicites de capitaux issus du blanchiment, des problèmes d’épidémies et de santé publique et bien d’autres choses. Face à ces problèmes complexes il faudra pouvoir anticiper, ce qui suppose d’être bien informé et d’y consacrer des moyens suffisants. Mais ceci implique également une prise de conscience et une volonté d’aboutir chez les dirigeants des Etats concernés. C’est le problème actuel : à côté des pays qui vont résolument dans cette voie comme le Royaume du Maroc d’autres n’ont pas encore réalisé qu’il est temps de se réveiller sous peine de disparaître.     

Selon vous, quelles sont les solutions les plus adaptées dans notre contexte actuel ?

Toute solution passe par la prise en compte de la réalité dans laquelle on se trouve. Chaque pays est différent par sa situation géographique, son potentiel économique, sa culture et son histoire. Il faut donc dans chaque cas commencer par faire un état des lieux sur le plan sécuritaire. Puis il faut établir un ordre de priorité dans les actions à réaliser pour répondre aux attentes de la population avec les moyens disponibles. C’est un travail long et difficile car il est impossible de tout faire rapidement. Il faut faire des choix qui sont chaque fois des prises de risque calculées.
Parallèlement il faut sensibiliser la population pour lui faire comprendre que tout ceci est fait pour la protéger et lui permettre de mieux vivre. Il y a donc une facette éducation qui doit compléter l’achat d’outils, la formation de personnel spécialisé, et la mise en œuvre de méthodes adaptées au pays après avoir été identifiées comme efficaces au niveau international. Dans ces domaines les nouvelles technologies nous aident en nous fournissant les éléments nécessaires à la prise de décision optimale.

Casablanca abritera les 12 et 13 octobre 2015 un important forum qui regroupera des experts nationaux et internationaux de la sécurité. L’organisateur de l’événement, le think tank Atlantis a choisi le thème de la sécurité des frontières, des flux financiers et de l’identité numérique. Le forum est organisé en partenariat avec le Forum international des technologies de la sécurité (FITS), basé à Paris. Baptisé Africa Security Forum 2015, le forum sera marqué par la présence d’experts, de chercheurs, de spécialistes de la défense et de la sécurité, d’universitaires et de décideurs, tous préoccupés, autant que les Etats et les gouvernements, par la problématique de la sécurité sous toutes ses formes.

Plus de vingt pays du continent africain seront représentés à ce forum. La problématique de la sécurité sera déclinée à travers plusieurs sous-thèmes, qui seront traités à la fois par les experts et les participants. Africa Security Forum 2015 mobilisera plusieurs institutions nationales et internationales concernées par ces problématiques. Des experts internationaux, en particulier européens et américains, interviendront pour donner une image la plus juste et précise de l’état actuel des problèmes et des menaces.  Alain Juillet, président du FITS, explique dans cette interview accordée à ALM les objectifs du forum ainsi que les problématiques liées à la sécurité à la lumière du développement technologique.

 

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