Politique

Tribune libre : Le triomphe de l’abstention

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Les pays européens ne sont pas les seuls dont le corps électoral, lassé par les promesses jamais tenues des partis politiques, boude les urnes. Les élections législatives marocaines du 7 septembre 2007 ont été en effet caractérisées par un taux d’abstention record : 63 %. Seuls 37% des électeurs ont participé au scrutin contre 52% en 2002, lors du précédent renouvellement du Parlement.
Donné grand favori par tous les médias internationaux, le Parti de la justice et du développement (PJD) est le premier à pâtir de cette faible mobilisation du corps électoral. Devancé par l’Istiqlal qui obtient 52 sièges, il arrive en deuxième position avec 47 élus, soit 5 de plus que dans l’Assemblée sortante. On est loin, très loin, du raz-de-marée que ses dirigeants annonçaient et qui suscitait de nombreuses interrogations tant au Maroc qu’à l’étranger.
Cela explique que le PJD ait vivement réagi à l’annonce des résultats, estimant que les «sommes colossales» dépensées par ses adversaires étaient responsables de l’échec de ses candidats. Une affirmation pour le moins paradoxale car, généralement, en cas de manipulation d’un scrutin, l’on achète des voix et non des abstentions ! Or la véritable question est bien celle-là : comment peut-on être élu sans électeurs ?
A vrai dire, la réaction du PJD est une manière pour lui d’esquiver une interrogation, infiniment plus gênante, sur la réalité de son implantation dans l’électorat et sur le succès rencontré par sa démarche visant à favoriser la participation d’un mouvement islamiste modéré au fonctionnement des institutions du Royaume.
Il semble bien qu’une partie notable de l’électorat potentiel du PJD ait suivi la consigne de boycott du scrutin lancé par le mouvement Al Adl wal Ihssane (Justice et Bienfaisance) de Abdeslam Yassine et de sa fille Nadia, limitant d’autant surtout le nombre des suffrages obtenus par le PJD.
Le PJD n’est d’ailleurs pas le seul à pâtir de cette abstention massive du corps électoral. Elle sanctionne également très durement tous les autres partis à commencer par certains constituant la Koutla et, en premier lieu, l’USFP, le plus moderne et le plus social, dont le recul symbolise, semble-t-il, l’absence de perspectives de ses dirigeants et leur incapacité à défendre une plate-forme politique pourtant attractive. Par contre, l’Istiqlal, la formation nationaliste forte de son implantation ancienne et de la solidité de ses réseaux militants, résiste mieux. Elle arrive en tête avec 52 élus représentant le Maroc traditionnel favorable cependant à une modernisation du pays.
Le scrutin du 7 septembre 2007 constitue, en réalité, une sorte de crise de croissance juvénile du processus de démocratisation du pays, en mettant en évidence le peu d’écho qu’il semble rencontrer dans une population dont les préoccupations réelles ne sont pas relayées par les différents appareils politiques.
Il y a un divorce entre le « pays réel» et sa représentation politique qui transcende de très loin les clivages traditionnels entre modernistes et traditionnels et qui doit contraindre l’ensemble de la classe politique marocaine à faire un examen de conscience et à s’interroger sur les raisons d’un tel phénomène. La proximité du Ramadan, période naturellement consacrée à la réflexion, pourrait être utilement mise à profit par les dirigeants des différents partis pour tirer les leçons du scrutin de 7 septembre et indiquer clairement aux membres du corps électoral qu’ils ont bien entendu le message très fort que ceux-ci n’ont pas leur à faire comprendre.
Certes, la Constitution ne fixe aucun quorum en dessous duquel une consultation électorale, nationale ou locale, pourrait être invalidée. Il n’en demeure pas moins que le futur Parlement – et, aussi, le gouvernement qui sollicitera l’investiture des élus – ne pourra se targuer d’être réellement représentatif du pays. Les éventuels accords de coalition qui pourraient être conclus entre l’Istiqlal, le Rassemblement national des indépendants, le Mouvement populaire et l’USFP, – Le PJD, lui, restera, il faut l’espérer, dans l’opposition dont il constituera la principale formation – risquent fort d’apparaître comme un emplâtre posé sur une jambe de bois. Des calculs politiciens se substitueront à la prise en compte des aspirations de la population et une «chambre introuvable» s’efforcera de légiférer sans bénéficier de la légitimité qu’on est en droit d’attendre d’elle.
Mais le Roi Mohammed VI est là, arbitre et recours incontournable. Il dispose de la légitimité et d’un consensus autour de sa personne dont ne bénéficie pas une classe politique incapable de procéder au renouvellement tant de ses membres que de ses programmes.
Certains pourraient être tentés de penser que l’annulation du scrutin, du fait de la faible participation électorale, constituerait un électrochoc salutaire. Mais il est douteux que l’annonce d’une nouvelle consultation provoquerait ipso facto une rénovation en profondeur de la classe politique marocaine et l’ouverture d’un débat portant sur les défis auxquels doit faire face le Royaume. En particulier un  travail pédagogique qu’il faut mener pour associer réellement à la vie politique les couches les plus défavorisées de la population.
Ce serait faire le jeu de Al Adl wal Ihssane qui tente de freiner par tous les moyens, y compris en prônant l’abstention et le refus du civisme, la modernisation et la démocratisation inéluctables du Maroc. Celles voulues par Mohammed V et Hassan II. Il est heureux et indispensable qu’elles puissent être poursuivies par leur successeur Mohammed VI, dans le respect des institutions du pays et du pacte qui lie le monarque et les Marocains, garantissant ainsi la stabilité d’un régime constitutionnel vieux d’un demi-siècle.

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