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Mohammed Chami : «C’est le Maroc pluriel qui est récompensé par ce prix»

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ALM : En recevant ce prix après plus de 40 ans au service d’une cause, quelles étaient vos premières impressions?
Mohammed Chami : C’est un sentiment de fierté mais surtout une reconnaissance d’un travail que nous avons mené depuis belle lurette soit dans le cadre d’associations locales ou dans le cadre de l’Institut royal de la culture amazighe. D’êtres occultés, bannis pour certains, vénérés pour d’autres, on est passé à un stade de reconnaissance en tant que telle. Au-delà de la symbolique de l’événement, je pense que c’est le Maroc pluriel qui est récompensé par ce prix dédié à la culture amazighe. C’est une rupture avec une approche monolithique qui a failli asphyxier la créativité et le génie marocain. En somme, une réconciliation avec nous-mêmes dans ce que nous avons de plus intrinsèque, à savoir notre diversité linguistique et culturelle. C’est un pas important dans cette quête de citoyenneté dans ce qu’elle a de fondamental pour la consolidation d’une identité commune.

L’homme comblé par ce prix a dû faire un long chemin. Peut-on avoir une idée sur ce parcours singulier ?
Cela doit faire maintenant plus de quarante ans que j’ai peaufiné mon propre bâton de pèlerin, avec un groupe de fervents défenseurs de la réalité amazighe. Dans cet élan, on a constitué d’abord à Paris puis à Nador l’association «Intilaqa Takafia». Puis, pour éviter toute reprise politique partisane, nous avons constitué l’association «Ilmmas». Une association interdite lors des années de plomb mais qui a contribué, en profondeur et avec sagesse, à faire apprécier l’art et la culture amazighe en tant que source incontournable de la culture nationale : Recueils de poésie, romans, études anthropologiques, études critiques, pièces de théâtre, livres d’histoire et autres activités parallèles menées par un groupe d’amis qui croient en leur pays. On a essayé de se définir comme courant qui prône la sensibilisation envers les uns et l’implication envers les autres dans ce que nous avons appelé la participation active pour une approche réaliste des faits de l’histoire.

En parallèle à votre activité d’acteur associatif, vous avez réalisé et encadré plusieurs recherches universitaires notamment la réalisation d’un dictionnaire commun de la langue amazighe. Pourquoi ?
On ne peut parler d’unification sans référentiel en commun. Comme on ne peut parler d’opérationnalisation d’une langue sans dictionnaire mis à la disposition des apprenants. C’est pour arriver à ce but que j’ai réalisé deux études de plus de 400 pages chacune. Et que j’ai encadré une centaine de mémoires et de thèses. Ce sont des réponses en lettres et en chiffres à des études coloniales qui voulaient nous faire croire que notre langue était sans fondements graphiques. Or, le signe linguistique est la preuve palpable sur laquelle se greffent d’autres expressions pour en faire l’essence d’une culture reconnue et pratiquée. Et c’est dans cette perspective que je contribue, depuis déjà huit ans, à l’élaboration des manuels amazighs pour l’enseignement primaire. Tout le primaire est pour le moment alimenté en manuels amazighs.

Une telle expérience ne vous a-t-elle pas conforté dans vos convictions pour la sauvegarde du patrimoine collectif du Maroc ?
Sauvegarder la mémoire collective d’une nation passe par la reconnaissance de sa diversité. Et qui dit diversité, dit richesse de choix, d’approches et de solutions. Voir les choses avec une seule paire de lunettes tue la créativité, accable les compétences et vide les choix de leur substance humaine. Le Maroc est grand par sa diversité et non par son monolithisme. La cause amazighe a entamé son rythme de croisière avec le discours d’Ajdir et le dahir portant création de l’IRCAM. Ce dahir cadre a placé les dés à leurs places pour une renaissance pédagogique, médiatique et culturelle. Reste à généraliser cette dynamique pour couvrir la justice et pour que l’amazigh soit enseignée dans les 16 académies au lieu des 8 actuelles.