Société

Ça bouge à Aïn Khalouia

© D.R

Vous connaissez Aïn Khalouia, non n’est-ce pas, vous n’avez même sûrement jamais entendu ce nom. Et pourtant ce quartier existe bel et bien : situé à la périphérie de Rabat, c’est ce que l’on appelle un bidonville ! C’est là que nous vivons.
Baraques en tôle ondulée où il fait 60 degrés quand le soleil chauffe dehors à 30° et 0 degré quand à l’extérieur il fait 12°. Trois cents familles environ, pas d’électricité, pas d’eau, une piste qui mène de la route à nos «habitations».
A proximité, quelques très luxueuses villas qui se sont protégées de notre vue par de grands arbres et un peu plus loin la résidence de feu Cheikh Zayed -qui de son vivant- s’est toujours montré généreux lors de ses séjours à Rabat, avec nos familles.
Depuis plusieurs mois, nous avons créé une association : bien à nous, sans ingérence d’élus ou de partis, que nous avons appelée «Chabab Aïn Khalouia». Ce nom ,c’est le nôtre, notre marque, notre identité et quelque part -malgré la «mal-vie»- nous y sommes attachés.
Pour tout vous dire, cette association a changé notre vie, oh pas sur le plan matériel mais en tout cas sur le plan psychologique, moral… Ce sentiment d’exister enfin, d’être utile, de «poser» sur le cours des choses ; ne pas se lever le matin avec pour seule perspective de «tuer le temps». Et puis notre bidonville, jusqu’ici ignoré du monde, est aujourd’hui «reconnu». Grâce au wali nous avons pu obtenir un local associatif : un préfabriqué de 3 petites pièces où nous pouvons nous réunir, organiser nos activités, encadrer les plus jeunes…
Et puis, nos parents qui ne croyaient guère en notre travail bénévole n’en sont pas revenus, le jour de l’inauguration, quand sont arrivés le wali, le maire et le ministre de la Formation professionnelle !
Depuis, nous avons pris une «autre dimension» aux yeux de nos aînés : un mélange de «leurs enfants, de cheikhs, de moqaddem, de caïd», ils nous regardent d’ailleurs bizarrement depuis et je pense que quelque part ils sont fiers de nous.
Et je ne vous dis pas, l’été dernier, lorsque le pacha est venu remettre à notre président une invitation de Sa Majesté le Roi pour assister à la Fête de la Jeunesse, à Tanger!
L’invitation a fait le tour de tous les foyers, et à son retour, le président de notre «Chabab Aïn Khalouia» a été fêté en héros.
Vraiment, nous on peut vous le dire, notre pays change, nous en sommes à la fois les témoins, les spectateurs et les acteurs…
Bien sûr que tout n’est pas rose, que tout ne va pas aussi vite que nous le souhaiterions, que les freins sont encore puissants mais si chacun y mettait du sien -comme nous le faisons- alors sûrement les choses avanceraient-elles plus vite.
D’ailleurs, si vous le permettez, j’aimerais vous faire part de notre expérience en matière de «t’goumila» (mot très explicite qui vient de «gamila»). Je parie que cette expérience est partagée par la majorité dees jeunes des quartiers populaires.
Comme nous avions pas mal de jeunes talentueux en musique, nous avons monté un orchestre «Boy’s Style» hyper doué en hip-hop, rap, break-dance… Nous avons pris de nombreux contacts pour participer à des Festivals, des concerts et autres spectacles.
Les obstacles sont nombreux : pas connus, pas de press-book, victimes d’une sorte de «racisme» anti-marocainn (on préfère les stars venues d’ailleurs, aux cachets gargantuesques)… et j’en passe ! Mais le pire, je pense, est lorsque vous décrochez un «modeste contrat» et que celui qui vous propose cette scène, exige en retour un pourcentage conséquent sur le pauvre cachet que vous allez toucher.
Renseignement pris, c’est la règle quasi-générale dans ce milieu. Alors faute de choix, la presque totalité des jeunes groupes musicaux passent par ce système de «t’goumila».
Vous allez peut-être me dire que ça n’est pas la fin du monde, après tout, la musique ce n’est que du loisir !!!
Ok, alors je vais vous donner un autre exemple : nous avions réussi au prix de nombreuses démarches,  à obtenir un petit quota de places pour quelques-uns de nos jeunes dans une école hôtelière ; malheureusement le moment de l’inscription venu, il n’y avait plus de place : « t’goumila » était passé par là : chacune s’était vendue à 3000 dirhams !!!
Ça ne vous suffit pas ? Vous savez je peux vous écrire un numéro entier de « Aujourd’hui Le Maroc » avec mes exemples !
Allez, un dernier alors !
Le ministre de la Jeunesse a instauré une politique dynamique en notre direction ; je ne lui cire pas les pompes, d’abord parce qu’il n’a pas besoin de ça, mais de plus ce n’est pas vraiment le style dans les bidonvilles !
Grâce à notre association, nous avons pu envoyer deux jeunes se former aux fonctions d’animateurs pour colonie de vacances, mais nos potes du bidonville voisin « Akreuch » eux n’ont pas eu  cette chance et il leur a fallu « t ‘goumiler » 200 dirhams pour chaque dossier d’inscription qu’ils se sont procuré après « d’intermédiaires » qui n’ont pas grand-chose à voir avec la jeunesse…
Et ce système du « t’goumila », nous le rencontrons dans à peu près tous les domaines et notre vie, pauvre pourtant.
Vous savez je ne suis pas en train de m’apitoyer sur notre sort, ni de faire un réquisitoire, je veux juste vous donner un aperçu de ce que – au quotidien – des jeunes qui veulent s’en sortir peuvent rencontrer comme obstacles sur leur route.
Le mot de la fin ?
Cela ne nous arrêtera pas pour autant, nous avons de l’énergie à revendre, et puis nous sommes résistants : la vie dans un bidonville ça vous endurcit un jeune!
Et puis en écrivant ces lignes, je fais un rêve -«I have a dream»- nous finirons bien par triompher de la «t’goumila», si nous savons, nous autres les nouvelles générations, résister à cette tentation et ne pas reproduire cette pratique que malheureusement nos aînés perpétuent. Cette «t’goumila» qui rend nos vies plus aléatoires et pousse tant de jeunes de notre âge dans les gueules des pateras, du désespoir ou de la rancune…

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