Société

Abdel Majid Belaïche : «Les médicaments ne sont pas chers, c’est le pouvoir d’achat qui est bas»

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ALM : Vous êtes chargé par l’AMIP de mener une étude sur le prix des médicaments au Maroc. Quelles nouveautés apportera-t-elle par rapport à l’étude publiée par la commission parlementaire?
Abdel Majid Belaïche : En effet, l’étude que je prépare est très différente de celle réalisée par la commission parlementaire. Les chiffres publiés par la commission ne comprennent que quinze produits alors que le marché en compte près de 5.000. Un échantillon largement représentatif peut seul permettre de tirer les bonnes conclusions. La situation est complexe. Il y a certes des médicaments chers, mais ils ne sont pas les plus nombreux. En fait, les prix varient énormément d’une famille de médicaments à une autre et même à l’intérieur d’une même famille. L’introduction de nombreux génériques a permis de mettre à la disposition du citoyen des médicaments très accessibles économiquement. L’objectif de notre étude n’est pas d’affirmer ou de contredire la cherté des médicaments au Maroc mais d’analyser finement et de faire la part des choses. Ce n’est ni une étude à charge ni une étude à décharge, mais une analyse objective sur des données vérifiables et sans aucun préjugé initial. Quand l’AMIP m’a confié ce travail, on a établi une règle du jeu. C’est que l’AMIP accepte les résultats de l’étude quelles que soient ses conclusions. Je travaille donc avec beaucoup de sérénité et sans aucune pression et je remercie pour cela les membres de l’AMIP pour leur confiance. Nous avons aussi opté pour une analyse dynamique pour ressortir les tendances générales à travers un historique sur une décennie (1999-2009). Pour les comparaisons, nous avons pris les points communs avec la Tunisie mais sans perdre de vue le fait que le système tunisien n’est pas tout à fait comparable à celui du Maroc. L’existence d’une pharmacie centrale étatique en Tunisie et un système de compensation pour les médicaments permettent au citoyen tunisien de disposer de médicaments à un prix inférieur à leur prix réel. L’Etat tunisien encourage son industrie en subventionnant une partie importante des investissements dans ce secteur, ce qui n’est pas le cas du Maroc. La faiblesse du pouvoir d’achat et de la couverture par l’assurance-maladie explique l’étroitesse du marché et ne permet pas de réaliser des économies d’échelle et donc de pouvoir produire des médicaments à des prix encore plus bas. Le fait que simultanément plusieurs industriels produisent les mêmes molécules n’arrange pas non plus les choses.

Au final, les médicaments sont-ils chers au Maroc?
Il y a certes des médicaments chers, mais il y a aussi d’autres qui le sont beaucoup moins et ils sont les plus nombreux. L’objectif de notre travail est justement de faire la part des choses. Un médicament qui aurait le même prix au Maroc et en France ne serait pas aussi facilement accessible dans ces deux pays. En France, le niveau salarial et le pouvoir d’achat ne sont pas les même et la couverture par assurance-maladie n’est pas non plus comparable. Un pouvoir d’achat faible ajouté à une couverture insuffisante par assurance maladie. Est-ce que ce n’est pas là le fond du problème? Au final, la question de la cherté des médicaments reste d’actualité. Par contre, nous avons une certitude, les poches des citoyens sont vides. S’il est difficile de parler dans l’absolu de la cherté des médicaments, il est par contre possible d’utiliser des analyses pharmaco-économiques objectives pour les médicaments des maladies chroniques en utilisant notamment le critère du coût mensuel rapporté au SMIG pris comme salaire de référence. Malheureusement, ce critère ne peut pas être utilisé pour les autres médicaments. Et dire qu’un médicament est cher, c’est aussi reconnaître implicitement que le citoyen ne bénéficie peut-être pas d’une assurance-maladie et qu’il doit affronter tout seul les affres des dépenses médicamenteuses parfois élevées. Donc l’assurance-maladie reste le fond du problème. En résumé, ce n’est pas le médicament qui est cher, c’est le pouvoir d’achat au Maroc qui reste bas.

Comment l’accès aux médicaments peut-il être généralisé?
Favoriser l’accès aux médicaments pour les citoyens passe avant tout par l’élargissement de l’assurance-maladie. Une baisse des prix isolée ne résoudrait pas le problème, par contre elle aurait des effets délétères sur le secteur du médicament et menacerait dans un futur proche la disponibilité des médicaments. La révision des prix n’est pas une fin en soi mais le moyen de garantir la viabilité du système d’assurance maladie car on ne peut pas non plus imaginer un élargissement de la couverture médicale à l’ensemble des Marocains en maintenant les mêmes prix. Chacune des mesures prises isolément est non-viable, mais les deux mesures conjuguées permettent d’atteindre l’objectif : médicament pour tout le monde.

Et la place des médicaments génériques dans tout cela ?
Je dois d’abord rappeler que le médicament générique est la copie conforme d’un médicament déjà existant appelé princeps ou molécule originale dont la commercialisation a été rendue possible par la fin d’un brevet de protection du princeps (qui intervient généralement 10 à 12 ans après le lancement du princeps). Il a donc la même efficacité et offre la même sécurité. Le générique subit les mêmes contrôles de qualité que le princeps au niveau du Laboratoire national du contrôle des médicaments dépendant du ministère de la Santé. Le générique qui était hier utile est devenu aujourd’hui indispensable et incontournable ne serait-ce que pour garantir l’équilibre financier du système d’assurance-maladie et donc pour garantir sa pérennité. Ce qui est dommage, c’est que le potentiel économique du générique n’a pas été suffisamment exploité comme cela a été le cas dans les pays développés. Les génériques représentent à peine un peu plus du quart du marché marocain alors qu’ils auraient dû être à au moins 50% du marché. Ceci s’explique par l’existence de freins à leur développement.

Quels sont ces freins ?
Nous pouvons en citer au moins trois. Le premier c’est le prescripteur qui reste hésitant parce que l’Etat ne l’a pas suffisamment rassuré sur la qualité du générique à travers des campagnes ciblées et argumentées scientifiquement. Le deuxième est le pharmacien qui n’a pas été encouragé à délivrer le générique d’une part par un système de marge plus forte pour les médicaments à prix bas et d’autre part par l’instauration d’un droit de substitution qui permettra à ce pharmacien de changer un médicament par son équivalent plus économique. Aujourd’hui, il est difficile de demander aux pharmaciens d’officine de faire des sacrifices alors que la faillite menace près de 2.000 pharmacies. Sur dix ans, le marché pharmaceutique n’a progressé que de 40% alors que le nombre des pharmaciens a été multiplié par cinq au cours des cinq dernières années. Le 3ème frein est celui du remboursement par l’AMO qui au lieu de se faire sur la base du prix du générique se fait sur le prix réel même quant il est très élevé. Ceci ne favorise pas la prescription des médicaments génériques. Quant aux citoyens, ils ignorent souvent l’existence d’équivalents économiques aux médicaments qu’ils prennent. On a l’habitude de dire que la santé n’a pas de prix mais qu’elle a un coût. Et le générique c’est très souvent la santé au coût le plus bas.

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