Société

Abdelaziz Sefiani : «Toute la difficulté est de décider du sexe de l’enfant»

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ALM : Quelles sont les anomalies sexuelles qu’on peut découvrir à la naissance ?
Professeur Abdelaziz Sefiani : Les ambiguïtés sexuelles sont des anomalies de développement embryonnaire qui se caractérisent à la naissance par des organes génitaux anormaux qui ne permettent pas de reconnaître clairement le sexe du nouveau-né. Sur le plan physiologique, il faudrait comprendre que tous les embryons sont programmés passivement pour être des filles et que sous l’influence de facteurs génétiques spécifiques chez l’homme, des hormones masculinisent ces embryons pour en faire des garçons. Les hommes sont par conséquent «des femmes détournées». Les ambiguïtés sexuelles résultent donc d’une masculinisation insuffisante d’un embryon conçu pour être un garçon ou de la virilisation anormale d’un embryon conçu pour être une fille. Les ambiguïtés sexuelles peuvent être plus au moins complexes et variées entre les deux extrêmes que sont des organes génitaux mâles et femelles presque normaux. Ces anomalies peuvent être isolées ou associées à d’autres malformations qui touchent différents organes du corps.

Quelles sont les ambiguïtés sexuelles à origine génétique? Et dans quels cas une opération réparatrice s’impose-t-elle ?
La plupart des ambiguïtés sexuelles sont d’origine génétique et souvent elles découlent des anomalies des chromosomes. Pour rappel, un homme a 46 chromosomes dont un X et un Y, alors que les femmes ont toujours 46 chromosomes avec deux chromosomes X. Le caryotype qui est l’analyse biologique qui détermine les chromosomes d’une personne est donc utile chez un nouveau-né qui a une ambiguïté sexuelle pour déterminer le sexe cytogénétique de l’enfant. En général, les ambiguïtés sexuelles d’origine chromosomique ne sont pas familiales. Par contre, l’autre groupe d’ambiguïtés sexuelles d’origine génétique est dû à des anomalies de l’ADN. Ces ambiguïtés peuvent apparaître plusieurs fois dans une même famille. Parmi les maladies génétiques les plus fréquentes au Maroc, je cite l’hyperplasie congénitale des surrénales qui est à l’origine d’une ambiguïté sexuelle chez les filles qui ont subi au cours de la grossesse une stimulation anormale par des hormones virilisantes. Reconnaître ces familles, après la naissance d’un premier enfant atteint, permet d’éviter la naissance d’un deuxième enfant atteint de cette maladie par un traitement hormonal en cours de grossesse. Les interventions réparatrices ne posent pas en général des problèmes de technicité chirurgicale, mais toute la difficulté est de pouvoir décider du sexe de l’enfant. Cette décision doit se faire sur des arguments scientifiques par une équipe multidisciplinaire et nécessite souvent des explorations spécialisées pour le choix du sexe de l’enfant.

Quelles sont les chances de récupération pour le patient après une opération réparatrice et peut-il avoir une vie sexuelle normale par la suite ?
La vie sexuelle après une opération réparatrice d’une ambiguïté sexuelle dépend de la maladie en cause et de l’état des organes génitaux internes. Dans tous les cas, le choix du sexe  du nouveau-né doit chercher une harmonie avec le développement physiologique que subira le corps de l’enfant à la puberté. L’opération sera considérée comme réussie, si la prise en charge est précoce et si le comportement et les attirances sexuelles de l’enfant, devenu adolescent, confortent le choix de l’équipe médicale.

Quels genres de traitements hormonaux doit subir le patient et à partir de quel âge ?
Une ambiguïté sexuelle doit être traitée chirurgicalement dans la majorité des cas. Un apport hormonal peut être associé dans certains cas et uniquement si c’est nécessaire. Un traitement hormonal prénatal chez les mères enceintes, qui ont eu un premier enfant atteint d’une hyperplasie congénitale des surrénales, peut par contre éviter une nouvelle naissance avec ambiguïté sexuelle.

Est-ce qu’il existe des études faites sur des cas marocains dans ce sens ?
Notre service spécialisé en génétique reçoit régulièrement des enfants avec des anomalies des organes génitaux externes. C’est un motif de demande d’analyse des chromosomes assez fréquent dans notre laboratoire. Nous nous concertons régulièrement avec les services de l’hôpital d’enfants de Rabat pour une bonne prise en charge de ces enfants.

Comment des parents doivent-ils réagir face à une ambiguïté sexuelle chez leur enfant ?
La découverte d’une ambiguïté sexuelle pose des difficultés de prise en charge médico-chirurgicale de l’enfant, mais elle est la cause également d’une vraie souffrance psychologique pour les parents. L’impossibilité d’annoncer le sexe de l’enfant aux membres de la famille, l’incertitude sur son devenir et le caractère tabou de ces maladies plongent les parents dans une grande solitude. Dans des situations pareilles, les parents doivent être soutenus au moment de l’annonce de l’ambiguïté. Ils doivent comprendre que souvent, ce sont des maladies connues par les médecins et pour lesquelles on dispose de conduites thérapeutiques adaptées. Ils ne doivent surtout pas se précipiter pour déclarer le sexe de l’enfant à l’état civil sur des arguments non médicaux. Les jeunes parents doivent également demander, plus tard, conseil auprès des généticiens sur les risques de voir un nouveau cas dans la famille.

Pouvez-vous nous relater des cas concrets rencontrés pendant l’exercice de vos fonctions ?
Nous avons eu à s’occuper pratiquement de tous les types d’ambiguïté sexuelle et dans certains cas, le choix du sexe était vraiment très difficile à faire. Mais, ce que je retiens de mon expérience dans ce domaine c’est surtout la souffrance des parents et leur errance par manque de coordination entre les équipes médicales. Je retiens également l’incompréhension de l’administration face à la nécessité parfois de différer pour des raisons médicales le choix du prénom de l’enfant. Je retiens la résignation de certains parents qui préfèrent cacher le statut de leur enfant et qui viennent nous consulter à l’âge adulte, avec parfois un comportement sexuel à l’opposé au sexe déclaré. Et pour terminer, je ne peux oublier cette famille, qui a eu trois enfants atteints d’ambiguïté sexuelle et dont les parents donnaient à leurs enfants des prénoms au hasard et en dehors de tout avis médical. Le dernier de ces enfants que nous avons vu, il y a quelques années en consultation, était élevé comme garçon et à l’adolescence voyant ses seins croître, mettait un ruban trop serré autour de sa poitrine pour continuer à partager avec ses amis sa passion pour le football.

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