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Ahmed Al Motamassik: «Le célibat au Maroc se stabilise»

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Entretien avec Ahmed Al Motamassik, sociologue

ALM : Comment définiriez-vous la notion du célibat d’un point de vue sociologique?

Ahmed Al Motamassik : De prime abord, la notion du célibat peut suggérer une catégorie sociale homogène avec une identité bien établie. « L’Homme sans compagne, la Femme sans compagnon », titre d’un livre consacré à la question, exprime bien cette tendance de la sociologie spontanée. Ce genre d’assertion part d’une définition négative du célibat qui le considère comme une dérive de l’éthos sociale dominant c’est-à-dire des normes incorporées par les individus d’une société. Par contre, le célibat peut être défini, d’une manière neutre, comme une «séquence de vie» et désigne tous ceux et celles qui vivent single. Cela englobe les personnes qui n’ont jamais vécu en couple, les divorcés sans enfants, les veufs et les veuves. De ce point de vue les sociologues distinguent le «Célibat d’attente» avant 40 ans et le «Célibat définitif» après 40 ans. Il est vécu d’une manière dissemblable selon le genre masculin ou féminin.

Peut-on dire  que le phénomène du célibat est actuellement en expansion au Maroc ?

Contrairement aux idées reçues d’une croissance exponentielle du phénomène, le célibat au Maroc se stabilise, il est même en régression. Les statistiques de 2014 et 2016 du Haut-Commissariat au Plan l’attestent. Elles expriment la baisse du taux de célibat, et un âge de la nuptialité plus précoce, chez les femmes. La proportion de célibataires diminue chez les hommes (de 45,7% en 2004 à 40,9% en 2014) et chez les femmes (de 34% en 2004 à 28,9% en 2014). Ceci dit, le taux du célibat reste important.

Est-ce que c’est toujours considéré comme étant une problématique dans notre société ?

Absolument. La pression sociale est forte surtout sur les femmes. Les femmes célibataires vivent un calvaire soit par le  harcèlement masculin, soit par le regard social (elle ne trouvera pas facilement un foyer). Notre société est conservatrice en termes de conjugalité et en rapports familiaux. Par ailleurs le genre masculin subit aussi la pression sociale mais d’une façon plus positive. Un célibataire homme est vu comme un potentiel parti alors que le célibat de la fille, en fonction de l’âge, est vécu dans l’appréhension et l’angoisse.  Dans les pays développés,  le célibat est vu comme une revendication de  liberté individuelle et un moyen d’inventer d’autres types de liens autres que  les rapports conjugaux habituels.

Le célibat serait-il plus important chez les hommes que les femmes ou l’inverse ?

Selon les statistiques de 2014, le célibat est plus important chez les hommes que chez les femmes.  Pour la tranche d’âge 15-19 ans, le taux pour les filles est de 87,1% et pour les garçons de 99,6%. Pour 20-24 ans,  c’est 53% pour les filles et 92,6% pour les garçons. Cette tendance s’explique par les études longues et par le phénomène des adultes émergents. Les jeunes n’entrent dans la vie active qu’à l’âge de 30-35 ans.

Et si on voulait situer le phénomène par rapport au milieu social et au niveau intellectuel ?

Le phénomène agit différemment selon le milieu urbain ou rural. On peut dire que le phénomène est plus patent dans le milieu urbain. Il y a aussi le fait qu’il y a un célibat par contrainte et un célibat par option de vie. Le premier est l’apanage des milieux populaires et couches sociales moyennes : Faute de moyens, le mariage coûte très cher, ce qui oblige les jeunes à différer  l’entrée dans la vie conjugale. Le second est le fait des personnes qui ont une culture supérieure et des horizons de carrière en contradiction avec la vie de couple. Elles estiment, à tort ou à raison, que la construction de la carrière prime sur la fondation d’une famille.

Quelles sont, selon vous, les idées reçues sur les célibataires ?

Les préjugés et les idées reçues sur les célibataires diffèrent selon le genre. Il faut dire tout de suite que les femmes sont les plus visées négativement dans les stéréotypes afférents à cette situation. Le mot péjoratif que je déteste est «Baira» qui veut dire approximativement vieille fille. Pour les  garçons, les stéréotypes sont plus cléments : Il n’a pas trouvé chaussure à son pied  (allah ijib lih chi noukra fine ighber nhassou).

Qu’est-ce qui pousserait  les jeunes à opter pour la vie en solo ? C’est comme si cette situation rendrait leur choix d’engagement plus difficile ?

Je crois que le coût du mariage et les difficultés de trouver un logement  jouent  beaucoup dans la perduration de ce phénomène. Les jeunes des classes moyennes sont obligés de contracter des crédits contraignants pour leur budget en vue d’assurer une cérémonie digne à leurs yeux et qui peut leur procurer la reconnaissance sociale. L’inaccessibilité du logement pour cette catégorie d’âge et l’entrée tardive dans la vie active concourent à faire perdurer le phénomène de célibat.

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