Société

Ali Sedjari : «Il faut que notre diplomatie fasse sa mue politique»

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ALM : Quels sont les objectifs du colloque ?
Ali Sedjari : Le colloque que nous organisons les 9 et 10 avril a un objectif strictement pédagogique qui va se pencher sur le contexte actuel de la Méditerranée et comment s’en sortir. Chacun sait qu’après l’euphorie déclenchée par la création de l’UPM le 13 juillet 2008, le massacre de Gaza et la crise financière internationale ont figé le temps méditerranéen et paralysé le fonctionnement de l’UPM. La crise est là, les ressentiments sont profonds, et l’avenir de la Méditerranée paraît compromis. Nous n’avons pas le droit de céder aux sirènes de la violence et de la barbarie en  baissant les bras et en se réfugiant dans l’attente, laissant le sentiment de vengeance et de haine s’amplifier. Cela nous mènera vers le chaos et l’incertitude .Tout est en place pour que le cycle de vengeance recommence. Le pire est à craindre. Voila pourquoi nous organisons ce colloque, qui verra la participation de nombreux chercheurs connus pour leur engagement constant  et leur militantisme exemplaire. Ils vont certainement nous éclairer à travers des regards croisés pour mettre de nouvelles modalités d’un mieux-vivre collectif.

À votre avis, quel est le futur de la Méditerranée ?
Il n’échappe à personne que le contexte méditerranéen actuel est en crise. La Méditerranée baigne dans un climat de violence physique, psychologique, et environnemental qui affecte les relations économiques, commerciales, institutionnelles,  politiques et même familiales. L’UPM est un enjeu réel et une belle aventure humaine. Le futur de la Méditerranée est un grand espace à réouvrir, des murs à casser,  des stéréotypes à dénoncer, de l’extrémisme à extirper, des valeurs fondamentales à sédimenter ; cela veut dire que nous sommes face à un combat à mener en commun. Cela nécessite au Nord de la Méditerranée, dans l’Europe entière, une autre  appropriation de l’Altérite et au Sud de la Méditerranée une autre gestion du passé, des ouvertures démocratiques, et une nouvelle gouvernance pour affronter les défis du troisième millénaire.  Ainsi le futur de la Méditerranée n’est pas utopique ; il peut  prendre du sens dès lors que des décisions exemplaires et symboliquement fortes sont prises  notamment la reconnaissance de la liberté de la circulation humaine, l’ouverture des frontières au Nord comme au Sud (frontière algéro-marocaine) et la suppression des visas. L’UPM a choisi pour le moment   l’inauguration de grands projets économiques et écologiques fédérateurs. Or, ce sont les perspectives géopolitiques qui façonnent la Méditerranée. La route du progrès et de la paix passera par là. Le non-dit du sommet du 13 juillet 2008 implique que l’Europe s’installe, en fait, dans une perspective de non-paix israélo-arabe, vraisemblablement  pour plusieurs décennies. L’insistance sur les grands projets économiques dérive de cette conclusion. L’avenir de la région se jouera peut-être en dehors de l’Europe et du monde arabe. Les puissances extérieures, Etats-Unis, Russie, Chine, détermineront dans une grande mesure les choix que l’Europe impuissante à assumer.

Quelle vision pour les pays du Sud de la Méditerranée ?
C’est difficile  de parler d’une vision ; le mot est trop fort  puisque nous sommes au stade d’une germination de la pensée et d’un éveil de conscience pour organiser la coopération Sud-Sud, un début qui s’annonce difficile, mais qui promet parce que les pays du Sud n’ont plus le choix aujourd’hui en dépit des déficits structurels et  de l’absence des pratiques de négociations. Le gel de l’UPM est dû en partie à l’absence de structures équivalentes viables et efficaces, notamment le cas de l’UMA et des autres structures régionales comme la Ligue arabe qui est à son énième réunion de conciliation et de retrouvailles, sans résultats tangibles. Le discrédit qui pèse sur les Etats arabes et leurs politiques publiques n’est pas de nature à encourager la coopération Sud-Sud ; c’est dans le dialogue et la démocratie qu’on établit la vision,  et c’est dans la paix qu’on peut la mettre en œuvre. Or, pour le moment, la menace israélienne ne laisse pas le temps aux pays du Sud d’organiser une vision tant qu’ils sont constamment préoccupés par la gestion du présent. Israël est un danger mortel qui nous guette à tout moment et nous ramène toujours au point de départ. De même, la fermeture des frontières au Sud, la marginalisation des populations dans les processus de décisions, ainsi que l’atonie des institutions représentatives ne sont pas de nature à faire émerger une vision partagée et négociée
Globalement parlant, les Arabes ne sont ni dans le présent ni dans le futur. Ils regardent le train passer avec parfois un  sentiment de désinvolture et d’irresponsabilité. Triste spectacle d’un monde arabo-musulman qui n’a pas encore trouvé sa voie et qui a peur d’affronter  la modernité.

Quel est l’avenir de l’UPM ?
Pour le moment il est bloqué par son passé, par ses forces rétrogrades et ses ambiguïtés multiples. Il est urgent de mettre de l’ordre et de la cohérence dans les choix et les propositions. Il faut savoir ce que nous voulons, une Méditerranée économique, sociale, politique ou culturelle ? Ou tout cela à la fois ? Pour le moment, rien n’est précis, puisque nous sommes dans une simple logique de continuité par rapport au partenariat de Barcelone. Pour schématiser,  disons qu’il y a quatre raisons qui entravent l’avenir de l’UPM. La première, c’est que l’invasion de Ghaza et le massacre de sa population ont sonné le glas sur l’UPM, qui s’est avérée impuissante à se prononcer sur le conflit. La deuxième, c’est que la crise financière internationale avec ses effets dévastateurs et traumatisants a détourné  l’attention des responsables européens  pour surmonter ses conséquences. La troisième raison c’est que le Sud de la Méditerranée traverse une crise de leadership. Et dans ce cas je ne vois pas qui  parmi les dirigeants actuels du Sud  peut mobiliser et relancer la machine méditerranéenne. L’absence d’un Etat-pivot et d’un acteur charismatique aggrave la situation. La quatrième raison c’est que l’UPM porte en elle-même les germes de ses propres faiblesses. L’expérience nous apprend qu’il ne faut pas attendre grand-chose des structures denses, pléthoriques et hétérogènes parce qu’elles ne peuvent générer que de la bureaucratie et de la lourdeur. L’UPM, telle qu’elle est organisée, pose aujourd’hui un  vrai problème de  gouvernance et de management. Comment peut-on prédire de  son efficacité quand on est confronté à deux paradoxes. Le premier : traduit une situation inédite, c’est que 44 Etats se trouvent sous la tutelle de 27 alors que dans la logique des choses l’UE ne serait qu’une simple filiale. Deuxième paradoxe : c’est que le président du Nord de la Méditerranée aura la chance de s’appuyer sur  une infrastructure et une  logistique performante de l’UE et un coprésident du Sud qui aura toutes les difficultés du monde à  réunir les Etats arabes.
Ceci dit, il ne s’agit pas pour moi de douter de l’utilité de l’UPM  ni de jeter le bébé avec l’eau du bain, mais pour dire que ces paradoxes peuvent être dépassés si on arrive à établir une rationalité gestionnaire  de type supérieur au service de résultats tangibles avec un impact psychologique important. Car la sociologie des organisations nous apprend qu’une structure qui ne produit pas de résultats désespère,  démotive et meurt lentement.


Quel bénéfice le Maroc  tirera-t-il de l’ UPM ?
Beaucoup de choses. Il faut dire que nous ne partons pas de zéro mais sur la base d’une expérience de partenariat et d’échanges qui ne cesse de progresser en termes quantitatifs et qualitatifs particulièrement au niveau économique  et commercial. Le Maroc vient de bénéficier d’un Statut avancé, cela est une bonne chose, mais les mots ne doivent pas occulter des réalités. Pour moi ce statut ne sera avancé que si les frontières seront ouvertes et que les échanges se feront dans tous les domaines sans exclusion, ni limitation.
Il faut ajouter aussi que la proximité géographique et les rapports historiques sont de nature à donner de l’élan pour diversifier le partenariat et assurer l’ancrage du Maroc dans la mondialisation via l’Euro-Méditérranée. Le Maroc a devant lui une opportunité qu’il ne doit pas rater  pour développer des conditions de prospérité et d’ouverture vers un marché plus vaste, en plus il peut réaliser au Nord ce qu’il n’a pas pu faire au Sud, à condition d’opérer une vaste réforme de son système de gouvernance  particulièrement  au niveau  de l’administration et de la justice pour  améliorer son image et attirer plus d’investisseurs et plus de projets. Il a encore beaucoup à gagner pour mobiliser l’Europe en vue de trouver une solution définitive à la question   de l’intégrité du territoire. Pour cela, il faut que notre diplomatie fasse sa mue politique et son travail de manière efficace et intelligente. La Méditerranée est une opportunité pour nous, pour tirer le Maroc vers la voie du progrès, de la prospérité et de la modernité.

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