Société

Bonnes feuilles : L’élite politique mise à L’écart dès l’indépendance (12)

© D.R

Lors de la première semaine de décembre 1955, en pleines tractations qui ont prévalu à la formation du premier gouvernement d’El Bekay, le professeur Abdelhadi Boutaleb a déclaré à la radio que son parti, c’est-à-dire le parti de la Choura et de l’Istiqlal, avait une vision sur la composition du prochain gouvernement, alors qu’à l’époque il n’y avait aucune visibilité sur le champ politique déterminée par des élections. Selon le professeur Abdelhadi Boutaleb, un tiers des ministères devait revenir au parti de l’Istiqlal, un autre tiers au parti de la Choura et de l’Istiqlal et le dernier tiers aux indépendants. Finalement, les istiqlaliens ont obtenu neuf postes, les Chouris six postes et six pour les indépendants.
Quand Mohammed V confia à Balafrej, le secrétaire général du parti de l’Istiqlal, le portefeuille des Affaires étrangères en avril 1956, Mohamed Belhassan El Ouazzani a vivement protesté. Le journal La Vigie avait souligné qu’El Ouazzani a adressé une lettre au Roi dans laquelle il explique que sa décision était susceptible de porter atteinte à l’équilibre au sein du gouvernement de coalition et que par conséquent la solution serait d’octroyer à El Ouazzani, en sa qualité de secrétaire général de la Choura et l’Istiqlal, un poste similaire à celui dévolu au secrétaire général du parti de l’Istiqlal.
Ainsi, les raisons de l’affrontement et de l’hostilité entre les deux partis étaient nombreuses. Sur ce volet, il est nécessaire de rappeler les événements du vendredi 18 novembre 1955 : Dans la matinée, le Roi avait annoncé dans le discours du Trône la fin du protectorat et l’avènement de l’ère de l’indépendance et de la liberté. Au coucher du soleil, Mehdi Ben Barka s’adressait à une foule amassée sur la place des Oudayas, déclarant que le gouvernement français voulait négociait avec un gouvernement fantoche !
Certaines personnes, probablement des novices en politiques qui ont rejoint le parti de la Choura et l’Istiqlal, ont cru que Mehdi s’attaquait à leur parti en le qualifiant de traître, comploteur avec la France. Tout ceci à cause de l’ignorance et le manque de discernement entre un gouvernement Chouri et un gouvernement "Souri" (fantoche). Cet amalgame, et tant d’autres, font partie des facteurs qui ont aggravé les dissensions politiques dans le paysage partisan.
L’universitaire américain, John Waterbury, dira dix ans plus tard que l’élite politique marocaine dans le milieu des années 1960 comptait un millier de personnes affiliées et non affiliées à de partis politiques: Mille politiciens au service d’un peuple de plus de 10 millions d’habitants ? Si nous nous remémorons cette réalité comment peut-on imaginer les moyens d’élargir le cercle des intéressés par la chose politique ? Telle est la situation qui caractérisait le champ partisan hérité par le Maroc à l’aube de l’indépendance et c’est pour cette raison que d’énormes difficultés ont entravé le développement normal de la politique après l’annonce de l’indépendance.
En réalité, il était tout à fait possible de surmonter les clivages entre les deux formations. Mais c’était sans compter sur les milieux colonisateurs français, non seulement au sein de la Résidence Générale mais également dans ses administrations annexes.
Car certains manifestaient clairement leur volonté d’instaurer une tutelle sur la classe politique marocaine, notamment en insistant sur "l’équilibre" entre les deux partis. Quand les Français ont commencé à se retirer du terrain, le terrain de la tutelle sur la vie politique, ils furent remplacés par ceux qui possédaient l’aptitude de verser de l’huile sur le feu du conflit entre le parti de l’Istiqlal et le parti de la Choura et l’Istiqlal. J’ai personnellement beaucoup entendu à ce sujet de la bouche du professeur Abdelhadi Boutaleb, Ahmed Bensouda ou d’autres Chouris ayant participé à la création de l’Union Nationale des Forces Populaires en septembre 1959. On demandait expressément à la presse du parti de la Choura et de l’Istiqlal d’activer la campagne de dénigrement contre le deuxième gouvernement d’El Bekay formé en octobre 1956 et dans lequel ne figurait aucun membre du parti de la Choura et de l’Istiqlal.
Il est indispensable que dans l’avenir des chercheurs sérieux fassent une étude historique au sujet du conflit entre les Istiqlaliens et les Chouris. En attendant, il serait judicieux de revenir à la déclaration de Mehdi Bennouna en sa qualité de témoin d’une époque, quand il fut présenté par la chaîne satellitaire de la télévision d’Abou Dhabi comme membre du cabinet Royal sous le règne de feu Mohammed V. Voilà ce qu’il a souligné concernant le clivage entre le parti de l’Istiqlal et le parti de la Choura et de l’Istiqlal : "En 1957, il est apparu que le parti de la Choura et de l’Istiqlal n’avait pas suffisamment de force politique pour se dresser devant le danger que représentait le parti de l’Istiqlal et c’est pour cette raison que le Palais a demandé à El Khattib et à Aherdane de créer le parti du Mouvement Populaire pour retourner le monde rural contre le parti de l’Istiqlal". Souvent, les Chouris rappellent que le parti de l’Istiqlal, compte tenu de l’influence dont il jouissait dans le deuxième gouvernement d’El Bekay et dont ils étaient absents, avait décidé au début de l’année 1958 d’interdire leurs organes de presse.
Il s’agissait du quotidien arabophone "Arraî Al Âm" dirigé par Ahmed Bensouda et "La Démocratie", l’hebdomadaire francophone dirigé par le professeur Mohamed Cherkaoui.
La décision d’interdire ces deux journaux avait été prise par le ministre de l’Intérieur Driss M’hamedi, formellement dépendant du parti de l’Istiqlal. En fait, Driss M’hamedi appliquait une autre politique qui l’a finalement conduit à la direction générale du cabinet Royal jusqu’à sa mort en 1969.

Traduction:
Abdelmohsin El Hassouni

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