Société

Bonnes feuilles : L’élite politique mise à l’écart dès l’indépendance (17)

© D.R

Les commissaires et les officiers de la Sûreté essayaient de fabriquer des rapports sur la situation politique grâce aux informations contradictoires rapportées par leurs espions au sein de partis politiques et aux documents qui atterrissaient régulièrement sur les bureaux des renseignements généraux. Lorsqu’il était à la tête des renseignements généraux de Rabat, Driss Basri utilisait pendant de longues années cette technique qui l’a qualifié à devenir, en fin de compte, le deuxième homme de l’Etat, un Etat policier. Il a commencé à gravir les échelons au sein du superministère depuis 1971, à l’issue des évènements sanglants du Palais de Skhirat, jusqu’au 23 juillet 1999, jour du décès du Roi Hassan II et l’accession au Trône de SM Mohammed VI qui décida en quelques mois de destituer le ministre de l’Intérieur, le 9 novembre de la même année.
Driss Basri disposait dans la capitale d’un réseau d’informateurs issus de milieux variés et multiples. Les rapports qu’il rédigeait influençaient la prise de décision d’Oufkir. Les informations et même les rumeurs citées dans les rapports avaient ainsi pour objectif d’orienter la prise de décision et la politique de l’Etat. Quand Driss Basri a rejoint le ministère de l’Intérieur, il avait en fait reçu d’Oufkir des postes-clés dans la gestion de l’Etat policier. Cet Etat use de méthodes de répressions directes et indirectes, notamment à travers la désinformation, la guerre psychologique, la propagation des rumeurs et de fausses informations; bref, des techniques héritées des appareils répressifs coloniaux. Je me souviens d’une rumeur, répandue à Rabat juste après le complot du 20 août 1953, selon laquelle trois citoyens de la cité Yaâcoub Mansour ont constitué une cellule de résistance armée, et dès qu’ils se sont séparés, chacun s’est dirigé vers un commissariat pour rapporter aux policiers français les projets de la cellule. La diffusion de ce type de fausses informations sapaient sérieusement le moral des citoyens qui perdaient tout espoir d’un soulèvement pour le retour du Roi à son Trône. Mais les premières cellules de la résistance n’ont pas tardé à asséner des coups durs aux traîtres collaborateurs puis carrément à des colonisateurs. Au fur et à mesure, les opérations de résistance se multipliaient, et partant l’administration colonisatrice ne pouvait recourir ni à la guerre psychologique ni à la propagation de fausses rumeurs pour altérer le moral des Marocains. Car la résistance armée a contraint les étrangers et les nationaux faibles d’esprit à revoir leurs calculs et leur évaluation de la situation politique. Quand Ahmed Boukhari parle de l’infiltration d’informateurs dans les rangs des militants, il soulève un phénomène réel. Mais le fait de le rabâcher sans cesse nous laisse perplexe. C’est pour cette raison qu’il faut inscrire cette question dans le registre de la guerre psychologique déclarée par les services de renseignements et dont le but est de perturber la transition démocratique. En somme, Ahmed Boukhari n’a rien apporté de nouveau et n’a présenté aux lecteurs aucune information ou détail précis. Effectivement, les militants ont subi les pires atrocités lors des séances de tortures, appelées “séances d’enquête et d’interrogatoire”, sans parler des garde à vue qui ne finissaient jamais. Tant de militants ont rendu l’âme lors de ces "séances d’enquête", tant d’autres ont passé leur jeunesse dans des geôles et les centres de détention secrets. Et plusieurs militants ont perdu leurs sources de revenus après leur licenciement, leur révocation de la fonction publique ou la fermeture de leur commerce. Tout cela était insuffisant. D’où le recours à l’espionnage des activités des organes militants en achetant les consciences des faibles d’esprit qui se transforment en sources d’informations livrées aux officiers de la police dont le but est d’affaiblir les forces vives et les empêcher de remplir leur mission d’encadrement du peuple. Le parti des Forces populaires considérait l’action de la police comme une continuité de la répression que pratiquait le colonisateur contre les nationalistes. Résultat : plusieurs militants ont perdu l’espoir d’agir de manière démocratique et se sont donc affiliés à des organisations clandestines. Parmi ces militants, certains avaient combattu le colonialisme. Ils ont choisi la clandestinité au lieu de la voie démocratique qui nécessite de la patience et de la sagesse car la confrontation avec les ennemis n’est pas à armes égales. Le parti des Forces populaires a souffert de cette dualité pendant de longues années jusqu’au congrès extraordinaire de janvier 1975 qui a opté pour le choix démocratique. Mais avant, le parti était la cible, dès la création quinze ans plus tôt, de vastes campagnes de répression, de procès et de harcèlement, preuve que les Ittihadis faisaient l’objet d’une infiltration. Dès que les Ittihadis soupçonnaient la présence parmi eux d’une taupe qui servait les intérêts des services de la répression, ils la renvoyaient ou gelaient son adhésion au parti en attendant d’y voir plus clair. Quel était le nombre de ces informateurs ? Combien étaient-ils dans les autres formations politiques et syndicales ? Ahmed Boukhari avance parfois des chiffres incroyables. Avant son arrestation et son emprisonnement à Casablanca, Ahmed Boukhari a déclaré à une chaîne satellitaire que les deux-tiers des membres de l’Union nationale des Forces Populaires travaillaient en fait pour le compte du Cab1 !

Traduction :
Abdelmohsin El Hassouni

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