Société

Bouteflika : Une imposture algérienne (23)

© D.R

Pour moi, vous le savez, je crois avoir fait le plein autrefois et je n’ai pas besoin de voyager davantage ni de recevoir davantage.Mais pour l’Algérie, vous vous souvenez qu’il y a six mois seulement c’était à peine un pays qui existait dans la mémoire des gens que sous forme de violence, de guerre civile, de massacres.
Et il était grand temps que quelqu’un vienne dépoussiérer un petit peu la vitrine.
Je pense que c’est ce que je fais avec plus ou moins de bonheur.
Après avoir formé sa jeunesse, les voyages se voient sommés de la ressusciter. Avec tous les risques liés à pareille retombée en juvénilité. Dans la peau du diplomate, Bouteflika négligera systématiquement son rang de président de la République.
« Il n’a jamais eu la notion du temps et des obligations protocolaires attachées à la fonction de président, affirme Ali Benflis qui fut son chef de cabinet à la Présidence. Il peut consacrer une journée entière à un simple ambassadeur à évoquer le passé et ses exploits diplomatiques. Le corps diplomatique accrédité à Alger est d’ailleurs surpris de tant de considérations très embarrassantes au demeurant, surtout que le président pousse la bienveillance jusqu’à rester debout avec eux sur le perron lors de la déclaration à la presse. »
L’hôte Bouteflika s’est forgé une solide réputation rabelaisienne à vouloir épater ses invités de gargantuesques et interminables repas qui nourrissent désormais la légende de la table présidentielle.
« Les ministres savent que le jour du déjeuner avec le président est un jour perdu, ironise Benflis. La matinée pour s’y préparer, l’après-midi, toute l’après-midi, pour manger une quantité impressionnante de plats cuisinés, le reste de la journée pour digérer… Bouteflika gaspille volontiers son temps en même temps que celui de ses convives. » Le président a une autre version des faits. « Je reçois beaucoup de monde parce que je ne peux pas dire aux visiteurs qui veulent venir me voir en Algérie que je n’ai pas le temps, encore que j’ai eu la discourtoisie ou l’absence de courtoisie de le faire très sensiblement durant les deux derniers mois. Et il y a beaucoup de délégations que j’ai dissuadées et pour lesquelles j’ai fixé un rendez-vous pour l’année prochaine. »
Bouteflika s’oubliera également en embrassades, ostensibles manifestations du plaisir de l’hôte dont n’usent que rarement les chefs d’Etat, mais dont abusera le diplomate-président jusqu’à surprendre et, souvent, embarrasser ses homologues. Le Japonais Koizumi s’en amusera, l’Américain Bush s’en étonnera et l’Indonésienne Megawati s’en offusquera : embrasser les femmes n’est pas dans la tradition locale. Le chef du protocole du Premier ministre indonésien sera limogé pour ne pas l’avoir annoncé à temps à Bouteflika !
« Bouteflika embrasse généralement quatre fois ses invités, ses homologues, ses ministres, note Chérif Belkacem. Dans la vie, c’est un signe d’amitié, d’amour ou d’affection. Chez Bouteflika, c’est un calcul : quand il t’embrasse quatre fois, il te donne un statut de copain. Tu es devenu son copain, donc, en quelque sorte, tu es uni à lui par le lien du baiser. Tu ne peux pas lui faire du mal. Tu ne peux que le soutenir. D’où le fait qu’il dise : “Chirac est mon ami, Bush est mon ami…” Il ne sait faire que cela. Il a besoin de reconnaissance par ce biais. Un homme politique n’a pourtant pas besoin d’amitié.Mais lui voit utile. »
Voyager, manger, embrasser, parler… Tout cela ne serait que mondanités de diplomate endurci s’il ne s’y ajoutait la fatale illusion du schizophrène croyant à son propre délire. Bouteflika a abordé sa mission de chef d’Etat sans la gravité qui s’y rattache comme si le diplomate, dispensé de solennité présidentielle, s’en trouvait exempté de la lucidité. Le président Bouteflika a dirigé les relations extérieures de l’Algérie avec la désinvolture de l’éternel second et l’hallucination du mégalomane.
« Je crois que j’ai ce sentiment, comme autrefois, en tant que ministre des Affaires étrangères, j’étais porté par l’idée que j’étais le porte-parole du tiers monde.
Donc, je pouvais dire ce que d’autres pensaient tout bas et ne pouvaient pas dire », avoue-t-il au journaliste français Pierre-Luc Séguillon.
Cela se traduira par l’idée chimérique qu’il suffit du prestige personnel de Bouteflika pour ouvrir la bourse des investisseurs étrangers, rendre sa grandeur à l’Algérie, apprivoiser l’Amérique, séduire l’Europe, impressionner les Arabes et relancer le Maghreb.
« Abdelaziz Bouteflika a installé une diplomatie de la reconnaissance, formelle, celle qui répond à notre besoin d’être reconnus, d’être aimés, celle qui valorise les visites officielles, explique Rahabi.Mais il s’est trompé : pour avoir une notoriété diplomatique aujourd’hui, il faut avoir prise sur des dossiers et il faut parler de l’Algérie d’aujourd’hui, pas celle de la nostalgie.
Or, aujourd’hui, on n’a plus de diplomatie des dossiers, l’appareil est absent, complètement gelé… Il y avait pourtant un appareil sous Zeroual qui reposait sur les idées, une doctrine, sur des dossiers d’actualité, autres que ceux auxquels s’identifie Bouteflika (les rapports Est-Ouest, le tiers-monde, le Front du refus…) ».
Le tout finira par une succession d’échecs : à la fin du mandat de Bouteflika, en 2004, l’Algérie aura cédé du terrain sur le dossier du Sahara occidental, perdu le soutien des voisins, éloigné d’elle les hommes d’affaires et regagné son rang de petite nation sans influence sur le monde.
Le président-candidat Bouteflika sera le premier à revenir de ses propres mirages : aussi bien la France de Chirac, qui lui préférera Mohammed VI, que l’Amérique de Bush, qui le boudera, l’inviteront à méditer sur la fatuité de la diplomatie du prestige.
Le 22 décembre 2003, le président algérien reçoit le plus cinglant camouflet diplomatique de son mandat : le 7e Sommet de l’Union du Maghreb arabe qui devait s’ouvrir ce jour-là à Alger est annulé… faute de chefs d’Etat. Ses illustres voisins ont boudé Abdelaziz Bouteflika, infligeant au pays une humiliation nationale ! L’éditorialiste du quotidien Le Matin y voit la morale de l’histoire : « Il eut été bien cocasse qu’un gang qui a si bien divisé l’Algérie réussît à unifier le Maghreb ! Nos voisins sont décidément plus avisés qu’on ne le craignait. Les brillants esprits militaires qui ont fait du noceur-diplomate un président pour l’Algérie devraient être fixés aujourd’hui sur l’étendue de leur lucidité : Abdelaziz Bouteflika a fait de l’Algérie un pays boudé même par la Mauritanie ! »
Bouteflika pensait faire mieux que le président Chadli Bendjedid : réunir les grands de ce monde à Alger grâce au rayonnement de sa propre personne. Il quittera le pouvoir sans avoir réalisé ce pari : Chadli a reçu à Alger des personnalités marquantes du siècle, comme la reine d’Angleterre, le roi d’Espagne et le vice-président Bush, illustres hôtes que Bouteflika n’eut jamais la chance de recevoir à sa table.
Chadli fit la seule visite d’Etat aux Etats-Unis d’un président algérien, Bouteflika dut se contenter d’audiences de quelques minutes avec Bush. Ces privilèges qui lui échappèrent, Bouteflika en fit motif de grandes rancunes envers Chadli.
« C’est de la fabulation de dire que Bouteflika a des soutiens extérieurs, que Bush et Chirac seraient ses directeurs de campagne, avertit M’hammed Yazid à quelques jours de sa mort. J’irai plus loin : je dirais que même les émirs du Golfe vont finir par retirer leurs billes du jeu algérien.»

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