Société

Bouteflika : Une imposture algérienne (26)

© D.R

«Après l’adoption et la promulgation de la Charte, se souvient Abdesselam, Boumediène m’a informé qu’il allait reprendre, pour élaborer le projet de Constitution, le même groupe qui avait travaillé avec lui le texte de la Charte. Par la suite, il changea d’avis et se limita à s’adjoindre uniquement Bouteflika,Mohamed-Sedik Benyahia et Mohamed Bedjaoui. Seulement un membre du Conseil de la Révolution, un membre du gouvernement et un juriste, me dit-il. En vérité, c’était le résultat d’une pression exercée par Bouteflika, qui voulait éliminer ceux qui étaient susceptibles de le contrer, en particulier moi-même. Je l’avais déjà bloqué dans certaines de ses tentatives, pendant la mise au point finale du texte de la Charte nationale. »
La partie, serrée, tourna finalement au désavantage de Bouteflika. «On a enlevé tous les passages douteux…
De la même manière que les articles par lesquels Bouteflika pensait se faire désigner comme successeur du président ont été profondément remaniés, dans le sens que l’on connaît », conclut Belaïd Abdesselam.
Le candidat à la succession aura toutefois plus de chance en ce triste jour du 29 décembre 1978 quand il aura, au prix de trésors de ruse, réussi à prononcer l’oraison funèbre de Boumediène à la place de Mohamed Salah Yahiaoui, alors puissant chef du FLN et autre candidat sérieux pour succéder à Boumediène.
Bouteflika n’est pas l’auteur du texte de l’oraison. Le manuscrit a été rédigé pour Yahiaoui par son ami Mohamed Belaïd, un diplomate de carrière et arabophone à la plume talentueuse.
Bouteflika a récupéré le document chez Abdelmadjid Allahoum, directeur du protocole de Boumediène, et a intrigué pour le lire envers et contre l’avis général. « Il savait qu’en Union soviétique c’est le successeur désigné par le Politburo qui prononce l’éloge funèbre du chef du PCUS », explique Nezzar.Mais tout le monde laisse faire. « Les autres membres du Conseil de la Révolution, tous plus ou moins handicapés de la langue, sont bien contents de lui laisser la corvée », avoue le général.
Ce sera bien la seule « corvée » dont Bouteflika s’acquittera avec zèle. Elle ne lui sera cependant d’aucun secours. Son nom était déjà éliminé par les décideurs pour des motifs contre lesquels l’emphase et l’émotion mise à pleurer un mort sont bien impuissantes. Belaïd Abdesselam rappelle les raisons pour lesquelles le sérail n’était pas dupe des larmes de Bouteflika: « Dès la mort de Boumediène, beaucoup de ceux qui s’inquiétaient des menaces qui pesaient sur la continuité de la politique menée sous l’égide de Boumediène, et dont j’étais du nombre, s’étaient mobilisés pour barrer la route de la succession à Bouteflika, en qui ils voyaient véritablement l’incarnation de l’anti-Boumediène. Pour tenter quelque peu de se laver de cette réputation, Bouteflika força la main à ses collègues du Conseil de la Révolution pour lire l’oraison funèbre du président disparu, mais il ne réussit à convaincre personne de sa brusque conversion à une ligne politique qu’il pourfendait encore, très peu de temps auparavant. » Bouteflika a, décidément, toujours cultivé des quiproquos avec le pouvoir des mots.
« Bouteflika m’a pris pour père. C’est tout. C’est un être faible qui avait besoin d’un père. J’ai joué ce rôle. » En faisant cette terrible confidence à Ahmed Taleb Ibrahimi à Moscou, en automne 1978, à quelques jours de sa mort, Boumediène confirmait que les rapports qu’il entretenait depuis vingt-deux ans avec Abdelaziz Bouteflika n’étaient pas que politiques. Peut-être pas du tout politiques. Sur son lit de mort, ce jour-là, Boumediène serre le poing et l’ouvrit brutalement comme s’il délivrait un de ces moineaux qu’il aimait à chasser, enfant, dans son village natal d’Aït Amara : « Bouteflika ne tient que parce que je garde la main fermée, sinon il tombe… »
Tout le monde en convient : il y avait un contrat moral entre les deux hommes. Impénétrable. Entendu. Mystérieux.
Un secret jalousement gardé par le sérail comme un pacte intime et ultime qu’il convenait de taire pour toujours. Sur quoi repose donc cette relation filiale qui, si elle a existé, aura justifié que, contre ses compagnons de guerre et de paix, Boumediène ait toujours pris le parti de Bouteflika dont il n’ignorait rien des défauts et des mérites usurpés? La question embarrassait toujours, en 2003, les survivants d’une ère de troublantes complicités. « On ne sait pas, et je crois qu’on ne le saura jamais. En tout cas, c’est une réponse que je voudrais bien connaître avant de mourir, tranche le général Rachid Benyellès. Même les gens très proches de Boumediène, tel Djelloul Khatib, à qui j’ai posé la question, n’ont jamais réussi à percer le secret de cette curieuse connivence. »
De ce secret, Kasdi Merbah en a certainement emporté dans sa tombe une partie essentielle. L’homme fort des services de renseignements sous Boumediène, assassiné le 21 août 1993, s’est beaucoup intéressé à la vie cachée de Bouteflika qui, d’ailleurs, finit par s’en inquiéter. Bouteflika chargera Ferhat Zerhouni, le cousin de Yazid Zerhouni, de l’informer sur les dossiers que détient sur lui le chef de la Sécurité militaire.
Aujourd’hui, les officiers de l’ANP, en sont encore à s’interroger, à l’image de Khaled Nezzar : « Bouteflika s’est-il vraiment introduit comme un mauvais génie dans l’âme de Boumediène ? » Dans le doute, ils disculpent leur ancien chef en enfonçant le dauphin insatiable : « Ce qui est sûr, c’est que chaque fois que Boumediène a été au-dessous de lui-même, Bouteflika était à ses côtés ! »
Bouteflika profita de la mansuétude de Boumediène pour éliminer nombre de concurrents dont il pensait qu’ils pourraient lui ravir les faveurs de Boumediène et avec lesquels il avait des comptes à régler. Smaïl Mahroug en était un. Le ministre des Finances avait commis, aux yeux de Bouteflika, le délit suprême d’avoir publié un texte obligeant toutes les ambassades algériennes à reverser au Trésor public les excédents budgétaires non dépensés au terme de l’exercice, alors que Bouteflika les affectait dans un compte particulier en Suisse. Smaïl Mahroug sera limogé en février 1976 et remplacé par Abdelmalek Temmam.
Bouteflika en découdra aussi avec Ahmed Taleb Ibrahimi et Chérif Belkacem, rivaux potentiels. Le premier perdra son influent ministère de l’Information en avril 1977, pour une « voie de garage » à la Présidence de la République où il sera conseiller jusqu’en juillet 1982, date à laquelle il ne dut prendre le poste des Affaires étrangères qu’à la mort tragique de Mohamed- Seddik Benyahia. Le second, compagnon de jeunesse de Bouteflika et très lié à Boumediène, connaîtra un sort plus sévère : relégué au rang de ministre d’Etat sans portefeuille dès 1970, il sera écarté du gouvernement le 16 juillet 1975 avant de renoncer à sa carrière politique. Bien d’autres concurrents tomberont dans la trappe ouverte par Bouteflika entre 1967 et 1978.
De ce qu’on a fini par savoir, il ressort une curieuse vérité : Bouteflika affichait une excessive possessivité envers Boumediène et cela ne semblait pas trop déplaire au président. Pour garder Boumediène à lui seul, Bouteflika ne reculait devant rien, pas même devant le ridicule.
Arguant d’un droit de préséance sur tout le monde, il ne supportait pas de savoir Boumediène entouré d’autres personnes que lui.

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