Société

Chegraoui : Le Maroc, une vocation africaine

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ALM : Pour le spécialiste que vous êtes, que représente cette visite de SM le Roi au Niger?
Khalid Chegraoui : La visite de SM le Roi rentre tout à fait dans le cadre des relations ancestrales qu’a le Maroc avec l’Afrique subsaharienne. Ces relations datent de bien avant l’avènement de l’Islam en Afrique. Les anciennes populations marocaines, les Amazighs entretenaient des relations commerciales, matrimoniales et culturelles très importantes avec l’Afrique subsaharienne. Avec l’islam et la langue arabe, ces relations vont connaître un essor sans équivalent, ce qui donnera une civilisation, des cités savantes telles Tombouctou, Gao, Agadez et autres, mais aussi de grands royaumes avec lesquels le Maroc a entretenu des relations économiques politiques et culturelles jusqu’au début du colonialisme.
Le colonialisme a fait en sorte de couper les liens entre les deux rives du Sahara, ce qui a provoqué une métamorphose du paysage économique et politique de la région. Et c’est ce qui explique les différents problèmes dont soufrent le Maghreb et le Sahel. Traditionnellement le Maroc ne s’est jamais coupé de ces racines africaines surtout culturelles et sociales. Même l’économique a perduré jusqu’à la récupération du Sahara en 1975, année qui verra la dernière caravane qui reliera le Maroc au Mali.
Les hostilités empêcheront tout contact par la suite, ce qui se répercutera sur les économies sahéliennes qui ne peuvent vivre qu’en maintenant des relations continues avec le Maghreb et surtout le Maroc, détenteur d’une tradition séculaire et d’une légitimité sans faille capable de contenir, de maintenir et de fructifier ses relations. La visite de SM le Roi au Niger n’est que la continuité naturelle de cette histoire et de ce quotidien qui imposent une coopération régionale, seule capable de désenclaver le Sahel (Niger, Mali …)

Que représente, en Afrique, un pays comme le Niger?
Le Niger est un pays très spécial. C’est un exemple de la cartographie politique coloniale au Monde. Le Niger est un pays enclavé qui doit supporter une longue frontière de 5697 Km, avec l’Algérie (956 Km), la Libye (354 Km), le Tchad (1,175 Km), le Nigeria (1,497 Km), le Bénin (266 Km), le Burkina-Faso (628 Km) et le Mali avec une frontière de 821 km. Ce qui donnera une mosaïque sociale multiraciale, les Hausa représentant 56%, les Djerma avec 22%, les Peul (8.5%), les Touaregs (8%), et les Beri Beri (Kanouri)  avec 4.3%. Les Arabes, les Toubous et Gourmantché représentent 1.2%. La population nigérienne avoisine maintenant 12 millions d’habitants. 10 ans plus tard, elle passera à 17 millions et en 2050, les Nigériens seront 56 millions si la tendance actuelle de la fécondité se maintient du moment que le Niger détient le taux de fécondité le plus élevé au monde avec 8 enfants par femme (officiellement 6.75).
Le pays est aussi riche en minerai: uranium, phosphates, or, molybdène, pétrole … seulement 3.5 des terres sont arables aux alentours des 200 Km du fleuve Niger dans le sud-ouest. Ce qui fait de ce pays l’un des plus pauvres au monde. De plus, le Niger a souffert de la guérilla touareg pendant les années 80. Cela dit, le Niger est un des plus fervents alliés du Maroc au sein de l’Afrique et ce malgré le bénéfice matériel qu’il peut éventuellement acquérir en prenant position contre le Maroc sur la scène africaine.

D’après vous, peut-on parler d’un regain d’intérêt marocain pour l’Afrique subsaharienne?
Le Maroc érige en devoir, tout d’abord, l’assistance qu’il procure au Niger, comme il la procure à plusieurs pays africains et cela rentre comme on l’a fait remarquer dans le cadre de cette histoire ancestrale entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne. Il faut aussi noter que depuis le congrès de Casablanca en 1961 et les revers de la diplomatie marocaine qui ont suivi, le Maroc s’est désintéressé de ces frontières sud.  Avec 1975, le Maroc retrouvera sa véritable vocation africaine. Il reste aussi beaucoup à faire dans le sens où notre diplomatie doit être plus agressive, plus présente et plus professionnelle sur tous les plans : politique, économique et culturel. N’oublions pas ce dernier volet, le Maroc a toujours brillé en Afrique par son apport culturel et humain et c’est ce qui fait du Maroc un pays africain en premier lieu, par sa constitution et par sa société.
Une véritable politique africaine du Maroc doit passer incessamment par une intégration de tous les acteurs opérants sur la scène africaine, qu’ils soient des politiques de carrière, des diplomates ayant séjourné dans les pays africains, des hommes d’affaires en relation avec les économies africaines et l’université qui reste le pourvoyeur de sens, d’expertise et qui est à même de préparer le terrain à toute politique africaine.
En cela, on devra prendre leçon sur les Occidentaux et surtout la France où le ministère des Affaires étrangères entretient un dialogue et une coopération étroite avec les centres de recherche universitaire qui sont indépendants et contribuent à l’animation du débat français et international de politique étrangère : l’IFRI, le CERI, l’IRIS …

Quelles retombées peut avoir une telle ouverture sur le Sud?
Avec la mondialisation, qui paradoxalement va de pair avec la fermeture des frontières européennes et américaines, il n’est point possible d’aspirer à un développement économique et sociopolitique sans une intégration régionale. Le Maroc en ce sens est plus proche du continent africain que du Monde arabe qui ne cessera d’être miné avec son seul problème du Moyen-Orient. De plus, les régimes arabes sont loin de repenser les relations interrégionales dans le sens où l’Etat perdra une certaine autonomie, ce qui l’éloignera du système jacobin que les pays arabes ont imposé à leurs peuples depuis leurs indépendances avec une multitude de ramifications théologique et tribales. 
L’espace vital du Maroc est l’Afrique. L’Afrique subsaharienne est un prolongement naturel du Maghreb et vice-versa. Si le Mali et le Niger, depuis le X° siècle jusqu’au XIXème siècle, ont vécu en commun accord avec le Maroc et principalement avec nos cités caravanières et oasiennes et quand on a trouvé matière à commercialiser, langue à communiquer, savoir à véhiculer, mariage et métissage à conserver, ne serait-il pas plus judicieux de prendre leçon sur l’histoire.

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