Société

Enseignants : Pantins et entièrement responsables ? Non !

Une série d’articles, se faisant l’écho du rapport de la Banque mondiale sur notre système éducatif, ont fleuri ces dernières semaines. Certains ont versé dans la stigmatisation des enseignants en réduisant les causes de la débâcle de notre système à l’absence de la conscience professionnelle de ceux-ci et à la pratique des heures supplémentaires. Ce qui m’attriste plus encore, c’est de constater que la hiérarchie utilise la culpabilisation des enseignants pour imposer ses choix ou justifier son échec…. C’est au Maroc et nulle part ailleurs… 
Aussi, des vérités sont-elles bonnes à dire.
• Toutes les réformes mises en œuvre ont été dictées par des choix économiques et non en réponse aux besoins de la réalité marocaine. Aucun rapport, dressant l’évaluation d’une réforme, n’a été réalisé. C’est dire combien notre gestion du domaine était hasardeuse.
• Le dégraissage de la taille de la fonction publique s’est transformé, notamment en éducation, en opération de transplantation: on a remplacé des enseignants compétents à la formation solide par des personnes triées sur le volet et sans formation initiale. Le seul atout dont elles disposent est le diplôme. Il ne faut pas être grand savant pour comprendre!
• La batterie horaire d’apprentissage au cycle collégial s’est réduite du 1/3 pour certaines matières telles que le français….On est passé de 6h/semaine à 4h/semaine pour chaque classe.
• On a attribué aux enseignants deux nouvelles classes dont le nombre d’élèves dépasse 32 par classe pour, ainsi, compléter leur volume horaire lequel est de 24h (6 classes) sans tenir compte du:
– Temps consacré à préparer leurs cours,
-Temps consacré à la correction des copies et à l’évaluation des élèves en termes de réponse à leurs besoins,
– Temps consacré à l’actualisation de leurs connaissances et à leur autoformation. 
Il est à noter que la gestion des apprentissages, dans de pareilles conditions, devient très difficile, voire impossible. La correction des devoirs est devenue une corvée plus qu’un moment de réflexion à la nature de la remédiation à apporter pour conjurer le mal. Il est à noter, aussi, que les enseignants du français ne disposent d’aucun livret méthodologique comme c’était le cas auparavant avec «Les Instructions officielles» et quelques années plus tard avec «Les recommandations pédagogiques». A cet égard, il faudrait préciser qu’on ne peut faire du neuf avec du vieux, on risquerait de tomber dans du galvaudage.
• Jusqu’à présent, des enseignants n’ont bénéficié d’aucune formation sur l’approche par compétence, d’autres, que d’une formation partielle et inachevée ne dépassant pas 5h, pause-café comprise à l’heure où l’on parle de professionnalisation de l’enseignant…Je vous laisse le soin de commenter ce qui suit en rapport avec ce qui a été dit : le personnel administratif a bénéficié de 4 journées successives sur la gestion participative des établissements scolaires avec prise en charge complète. Allez comprendre, aussi, pourquoi les recommandations «Volet formation» de la Charte nationale pour l’Education et de la Formation ne sont pas mises en œuvre. Qui définit les priorités et sur quelle base?
• Au nom d’une scolarisation obligatoire, le passage d’un niveau à un autre ou d’un cycle à un autre se fait automatiquement et la présence de l’enseignant aux conseils de classe n’est que pour meubler le décor.
• Bien que le manuel soit un vade-mecum que tout apprenant doit posséder (ce qui est loin d’être une réalité marocaine), sa conception, souffrant d’un manque d’articulation, comportant beaucoup d’erreurs, ne favorise pas l’apprentissage et encore moins le développement d’une compétence.
Devant l’absence d’une délimitation conceptuelle du nébuleux «compétence», les manuels en vigueur, imposés, plongent l’enseignant dans le brouillard. Des inspecteurs exigeants demandent aux enseignants de prendre leur distance par rapport aux manuels et de faire beaucoup d’efforts de réflexion oubliant que l’enseignant est à l’image de ces concepteurs et ne peut donner mieux faute de documentation.
Les enseignants souffrent, en silence, de la solitude. Les parties concernées ne s’impliquent guère pour remédier à une situation qui empire de jour en jour… Les élèves en pâtiront et les professeurs ne pourront être tenus comptables que de leur bonne volonté. Je vais parodier Erik Von Daniken et dire : «La conscience est un concept trop noble pour être pris à tout bout de champ comme témoin». Allez savoir pourquoi une grande partie des enseignants sont diabétiques, dépressifs..! Allez savoir pourquoi une grande partie des enseignants comparaissent devant des tribunaux… De grâce, épargnez-nous de ce discours moralisateur : une chose est sûre, parlant des fonctionnaires d’un autre secteur, de la presse… n’aurait pu tenir le même ton ni user du même verbe… Quel métier ingrat!
S’agissant des heures supplémentaires, il faudrait rappeler que c’est une pratique presque universelle et si elle n’est pas réglementée au Maroc, la responsabilité n’incombe nullement à l’enseignant.
D’autres commentateurs, à l’esprit partisan ou syndical ont versé dans le désespoir comme si ce pays n’avait pas «ses hommes». Ceux qui veulent monter haut doivent, d’abord, s’assurer que leur pantalon est propre … Le sentiment d’appartenance doit être, avant tout, au pays. La surenchère est une pratique dégradante et détestable.
Notre système éducatif ne peut se relever sans la contribution de tous. Donnons-nous du temps pour élaborer une réforme de la réussite et pour ne pas tomber dans le suivisme aveugle. La démarche française dont on pourrait s’inspirer (le Président de la république en a tracé le cadre et les objectifs et tous les acteurs s’investissent à la mettre en œuvre) se construit à commencer par des rapports Bentolila, en passant par celui de Attali (conçu dans une vision globale) et en terminant par celui de Pochard. A défaut, organisant des groupes de travail composés de professeurs de chaque cycle au niveau des délégations pour dresser l’état des lieux, lister les besoins et proposer des solutions. Toute réflexion faite, de quoi sera fait le demain de l’enseignant et de l’école, doit prendre en considération ces paramètres. Dans le cas contraire, toute réforme sera vouée à l’échec dans l’absence de débat ou du peu d’idées qu’on y met.

• Kouddane Taoufiq
Enseignant au Nouveau Collège Al-Hoceima

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