Société

Enseignement : l arabisation fait toujours débat

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Les apprentis analystes en politiques publiques de l’Ecole de gouvernance et d’économie de Rabat (EgE) ont vu juste en choisissant l’évaluation du programme d’enseignement d’urgence pour se faire la main. Il est sur toutes les lèvres aujourd’hui. Pourtant, ils se défendent d’avoir sacrifié à la mode en organisant, samedi dernier au siège de leur école, un débat sur «le bilan et les perspectives de l’un des épisodes les plus  marquants de l’évolution de l’enseignement national». Ils ne considèrent pas non plus qu’ils ont cédé à l’attrait de la publicité en y invitant le très médiatisé Ahmed Asside, professeur universitaire, membre de l’Ircam et chantre de l’amazighité, en même temps qu’Abdeslam Bellaji, professeur universitaire également, mais tenant de l’arabité quant à lui.

Les deux hommes ont donné de leurs débats le spectacle d’une rude joute oratoire au cours de laquelle se sont succédé autant de moments sourds que d’épisodes de réels échanges. Introduite par Assia Bensalah Alaoui, professeur universitaire et diplomate, qui l’a placée sous sa tutelle, initiée par le British Council qui l’a co-organisée et dont le directeur n’est apparu que le temps de dire que l’anglais est l’avenir des peuples, la réunion a eu au moins le mérite de mettre tout le monde d’accord sur le fait que l’arabe n’est pas une langue sacrée. Le texte, c’est-à-dire le Coran, est sacré, mais pas l’arabe. «Et heureusement pour nous, car les langues sacrées se fossilisent et meurent de leur sacralité». D’où la question de fond : la langue arabe est-elle apte à accompagner le progrès technique ? Certains en doutent.

Tournant le dos à l’Histoire qui fait cas de la profession en arabe des sciences et techniques jusque fort avant la Renaissance occidentale, ils avancent que l’enseignement ne s’est jamais aussi mal porté au Maroc que du jour où on l’a arabisé. Peu importe que cette arabisation se soit faite à cloche-pied et qu’établie à un stade du cursus pour les matières scientifiques, elle ne soit souvent supprimée au suivant, et ainsi de suite jusqu’à l’université où, selon Assia Alaoui, il s’est vu des enseignants qui ne savent pas énoncer deux phrases successives correctes en français. Or, comme ce qui se conçoit bien s’énonce bien, et, a contrario, ce qui est mal exprimé dénote une certaine confusion.

Asside résumera la situation en déclarant que si la langue arabe a été capable de digérer le savoir grec et de l’améliorer, c’est parce que, à l’initiative des califes, elle y a été préparée par les linguistes. Ce qui sous-entend deux choses : d’abord que la langue arabe n’est actuellement pas en mesure d’exprimer le progrès «qui va de plus en plus vite», si vite que même le français a de la peine à suivre.

Ensuite parce que l’amazigh lui non plus n’est pas logé à bonne enseigne. Même qu’il est moins bien loti puisqu’il a maille à partir avec les choses de la vie courante. Car comment dit-on parti, parlement, autobus, ascenseur, infirmier, puce, informatique en amazigh ? Et d’ailleurs, de quel amazigh parle-t-on ? De la tachelhit, de la tamazight ou de la tarifite ?  De la langue standardisée ou du parler courant ?

Les linguistes de l’Ircam balaient ces remarques d’un revers d’argument. Qu’importe, affirment-ils, si par exemple pain ne se dit pas de la même manière partout. Après tout il y a des centaines de vocables pour désigner le lion en arabe et cela n’a pas empêché les locuteurs de se représenter nettement la réalité qu’ils couvrent.

Voilà pour la forme, reste le fond du fond : la langue étant un élément de l’identité nationale, il importe, pour continuer d’assurer la cohésion de groupe, d’accélérer l’application des dispositions constitutionnelles qui en font la 2ème langue nationale sur tout le territoire et dans tous les domaines de la vie pratique.

Or, selon les linguistes, il faudra attendre quelque temps avant que l’amazigh ne soit fin prêt pour sa grande sortie dans le monde. Mais peut-être devrait-il commencer par prendre option sur la régionalisation avancée, ont estimé des modernistes.

Oui, leur a-t-on rétorqué, mais gare au dérapage qui le conduirait à être une langue communautaire, propre à un groupe restreint et de ce fait encore plus fermée sur elle-même que la vernaculaire. Car, et tous sont tombés d’accord là-dessus, c’est le fait d’être un outil véhiculaire, comme l’arabe hier et l’anglais aujourd’hui, qui assure longue vie et prospérité aux langues.  

Mais, pour intéressantes que soient ces informations, un fait étonne : il n’a été que très peu question du bilan et des perspectives du plan d’urgence dans les débats. Pire, les statistiques qui y ont été le plus fréquemment citées datent du siècle dernier, et dans le meilleur des cas du début de celui-ci.

Elles établissent que si 54% des Marocains ont été alors favorables à l’arabisation, 44% ont envoyé leur progéniture dans des établissements d’enseignement français. Une des nombreuses contradictions qui émaillent la perception qu’ont les Marocains de leur système d’enseignement, a relevé Asside. Conséquence : une étude PIRLS (Progress in International Reading Literacy) de 2006 montre que 74% des élèves n’ont pas le minimum requis pour la lecture et la compréhension, c’est-à-dire n’ont pas les connaissances de base pour comprendre quoi que ce soit.

Plus, mesuré avec le TIMSS (Third International Mathematics and Science Study) qui marque le niveau d’intériorisation des sciences, le constat est que 61% des élèves sont faibles en maths et 66% en sciences. Mais faut-il pour cela y voir un effet direct de l’arabisation ? Rien n’est moins sûr, ont dit des intervenants : la pédagogie, ou plutôt le manque de pédagogie, a également sa part de responsabilité dans ce gâchis. Pour inverser la tendance, une solution : responsabiliser les enseignants en les impliquant davantage dans la conception de leur métier.

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