L’entreprise marocaine a adopté de nouveaux concepts. Productivité et compétitivité sont dorénavant des concepts essentiels à la pérennité de l’économie locale. Mais le résultat de cette nouvelle approche est préoccupant. Partout, des cadres sous pression auxquels on demande d’être de plus en plus performants, de respecter des deadlines, d’être responsables, d’être en somme les meilleurs. Des cadres qui, du coup, multiplient les heures supplémentaires et les nuits blanches, bouclent projet après projet, essayent d’accomplir le maximum de tâches en un minimum de temps, d’atteindre le plus d’objectifs…
Et les tracas des cadres ne s’arrêtent pas là. Ils vivent en effet de plus en plus difficilement leurs situations quotidiennes de travail. Ils sont par ailleurs de plus en plus menacés dans leur emploi. Ils n’occupent plus une place spécifique dans la chaîne de commandement, d’autant plus que leur rôle d’encadrant commence à s’estomper. Leur activité est devenue à la fois plus spécialisée et plus individualisée. Bref, ils ne pèsent plus autant sur la stratégie de l’entreprise.
Ce changement est dû en grande partie aux nouvelles organisations adoptées par les entreprises dans un contexte de mondialisation. De nouvelles organisations qui font du cadre un individu isolé, dépendant, qui passe sa vie à subir des pressions contradictoires.
Sous nos cieux, les managers n’ont toujours pas compris qu’un cadre «bien payé» n’est pas nécessairement un cadre « épanoui ». Et que cela dépend surtout de la reconnaissance de son travail, de la valorisation de son rendement, et surtout de sa mise à niveau continue. Pour maintenir l’estime de soi, un cadre a besoin de formation, et donc de développement personnel. Ce à quoi très peu d’entreprises marocaines pensent. Pire encore, l’absence de transparence et le manque de concertation avec les salariés rendent la situation des cadres encore plus compliquée.
En réaction à toutes ces contraintes, les cadres commencent à se révolter, pas dans les formes traditionnelles du mouvement ouvrier, mais sur un mode plus individualiste. Ils se désengagent de leur travail et font de la résistance passive. Et, quand ils le peuvent, ils recréent un peu de bureaucratie protectrice pour retrouver un minimum de confort personnel au travail. On remarque également ceux qui veulent garder du temps pour leur vie privée, notamment les jeunes.
En effet, beaucoup de jeunes ont une vision plutôt instrumentalisée de leur emploi qu’ils considèrent comme une simple source de revenus leur permettant de vivre dans la collectivité à laquelle ils veulent appartenir… et qui n’est pas leur entreprise. Ainsi, on rencontre de plus en plus de cadres qui se désinvestissent de leur travail et cherchent à se réaliser ailleurs.
Pour sortir de ce cercle vicieux, des voix s’élèvent pour que l’entreprise soit plus à l’écoute de ses cadres et qu’elle veille notamment à ce que ces fameux experts, qu’on s’arrache à un moment pour les mettre au chômage soient moins spécialisés. Elles réclament, par ailleurs, que l’entreprise revoit les plans de carrière de ses cadres et qu’elle change cette idée selon laquelle une carrière réussie est verticale et que progresser signifie s’élever dans la hiérarchie. L’entreprise devrait ainsi penser à imposer l’idée qu’un parcours horizontal mérite la même reconnaissance, y compris en termes de rémunération et d’avantages matériels.