Société

Fouad Ahidar: «L’Afrique ne doit pas être le paillasson de l’Europe»

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ALM : Dans le message royal adressé aux participants du FMDH, il a été question de l’Afrique et de sa participation à enrichir le système mondial des droits humains. Pensez-vous que le continent pourra un jour se passer de la tutelle du Nord ?
 

Fouad Ahidar : L’Afrique peut se passer de certaines tutelles mais ne peut pas réussir à l’heure actuelle une autonomie totale en matière des droits de l’Homme. Pour ne parler que de l’Europe, ce continent peut apprendre des choses mais doit également être à l’écoute et savoir que nous avons en Afrique nos spécificités, notre propre culture et notre propre forme de démocratie. Il est illogique aujourd’hui de vouloir imposer à certaines nations qui viennent de sortir de longues années de dictature les mêmes codes et principes que ceux qui ont connu la démocratie depuis des millénaires. Donc, est-ce qu’on peut se passer d’une grande expérience en droits de l’Homme? Non. Les conseils seraient les bienvenus. Toutefois, l’important pour l’Afrique c’est de ne pas être le paillasson de l’Europe. On doit sortir de cette culture de : «l’Occident a parlé, la bible a parlé».

En matière d’immigration, le Maroc est passé d’un simple pays de transit à un pays d’accueil. Que pourrait-on apprendre de l’expérience belge dans ce sens?

Le modèle belge n’est peut-être pas le meilleur mais il y a des leçons à en tirer. Ce pays a accueilli une grosse vague d’immigration depuis 1964 jusqu’à aujourd’hui. Au départ on nous attendait à bras ouverts, aujourd’hui c’est le contraire. On adopte une immigration choisie, c’est-à-dire on prend ce qu’on veut et l’on rejette ce qui ne nous est pas utile. Ce qu’il faut savoir cependant, c’est que l’immigration a toujours existé et elle existera toujours. C’est humain et instinctif même de se chercher un meilleur avenir ailleurs. Grâce aux instructions royales, le Maroc a fait des efforts considérables en matière de régularisation des migrants et demandeurs d’asile. Il faut maintenant faire un grand travail sur les consciences et éviter de tomber dans les pièges de l’exclusion sociale. Il faut fuir les généralités qui laissent entendre qu’un migrant commet un délit et tout le monde est taxé de voleur et violeur.. Est-ce qu’on va condamner toute l’Afrique pour ça? Il ne faut pas s’attaquer à des nationalités et communautés mais aux problèmes. Moi, politicien, quand j’ai un problème avec l’extrême droite belge, c’est contre une idéologie que je me bats et non contre un Belge ou contre une communauté.   

Le Maroc a fait de grandes annonces concernant la lutte contre la torture et la violence à l’égard des femmes. Comment voyez-vous cela ?

SM le Roi Mohammed VI prend à cœur les grands chantiers qui font avancer le Maroc à grands pas. Pour ne parler que des femmes, il est aujourd’hui inconcevable que ces femmes soient tabassées par leurs maris et que cela passe sous silence parce que ces maris sont surprotégés ou parce que ces femmes ignorent leurs droits. Cet exemple est valable pour les cas de torture également. Chaque droit doit être protégé. Je ne dis pas qu’ il faut donner des excès de droits mais les mêmes droits à tout citoyen. Je suis peut-être un opportuniste mais je pense à mes filles. Je ne voudrais pas qu’elles se réveillent demain à 2h du matin, subissent des violences sans savoir où aller ni à qui s’adresser. Ce chantier que SM le Roi appuie est une priorité. La violence pourrit la vie. Ce n’est pas qu’au Maroc. En Belgique, où je vis, 12 à 14% de femmes sont battues. Ce chiffre peut atteindre les 20% si l’on comptabilise celles qui n’ont jamais osé porter plainte. Le Maroc se dote aujourd’hui d’instances pour la parité, contre la violence, la torture et la corruption. Tout cela est important, il faut maintenant en toucher les résultats.

A quel point l’étiquette Maroc pèse sur vos priorités et responsabilités en tant que premier vice-président du Parlement bruxellois ?

J’ai été élu par 17 groupes néerlandophones en Belgique. Je ne suis plus responsable que dans mon parti. Beaucoup de choses ont changé et je peux dire que je ne suis plus moi-même. Quand j’étais dans l’opposition, je me levais le matin et me disais: «Que vais-je mordre aujourd’hui»? aujourd’hui, cela n’est pas possible. Cependant, je peux vous dire que tous les groupes parlementaires néerlandophones savaient qu’ils allaient nommer un président qui était à La Mecque au moment de la prise de décision. Comme on dit, ce n’est pas la couleur du chat qui importe du moment qu’il attrape des souris. Je me suis toujours battu pour les libertés individuelles. Chacun doit pouvoir disposer de lui-même et faire ce qu’il veut dans un cadre légal et dans le respect de l’autre.  J’ai également toujours défendu la marocanité du Sahara et l’intégrité du Royaume. J’ai des filles dans mon département qui portent le voile. Mais les gens doivent comprendre que c’est ça Bruxelles, c’est multiculturel. Peu importe ce qu’elle a sur la tête, ce qui m’importe c’est ce qu’elle a dans la tête. Il ne faut pas être né au Maroc pour être Marocain. Je suis aussi Belge que Marocain et j’ai des responsabilités envers mes deux pays.

A la lumière de ce qui s’est passé après le Printemps arabe, êtes-vous réformiste ou révolutionnaire dans le monde d’aujourd’hui?

Les réformes sont mises en place pour être appliquées. Si c’est pour voter des résolutions au Parlement et qu’elles restent dans les tiroirs ça ne sert à rien. Il faut également savoir de quelle révolution on parle. Si ce sont des révolutions où l’on sacrifie des centaines de milliers de gens, cela ne m’intéresse pas. Je suis pour une révolution intellectuelle où chacun prendra part à un débat démocratique et aura sa place et son mot à dire à travers les gens qu’il va élire.

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