Société

France : Les démons de l’islamisme (18)

© D.R

Tariq ramadan s’exile aus Etats-Unis :
Chicago, septembre 2004

La voix est douce, le regard de velours, les gestes lents. Les phrases ondulent comme une lente psalmodie. Entrecoupé de versets du coran, le discours oscille entre morale coranique et exposé théologico-politique. A la tribune, Tariq Ramadan, chemise ouverte, veste sombre, envoûte autant qu’il séduit. Une intervention paternaliste écoutée par des «frères et des soeurs» sous le charme. Ce jour-là, le prédicateur suisse officie à Denain (Nord). Au micro, il se veut rassurant : «Je ne suis pas là pour monter la population musulmane contre l’Etat français (…). Être un bon musulman ne sera jamais être un mauvais français.» Enregistrée, l’allocution de Denain se trouve vendue sous forme de cassette au «rencontres annuelles» organisées par l’UOIF au Bourget (Seine-Saint-Denis), sous le titre l’islam en France, réalité et perspectives.
Mais qui est donc Tariq Ramadan? Islamiste prosélyte ou musulman libéral ? Né en 1962 à Genève (suisse), marié à une française, il est par sa mère le petit-fils d’Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans égyptiens, une confrérie fondamentaliste violemment réprimée par Nasser. Le père de Tariq, Saïd , était le plus proche disciple du maître. En exil en Suisse après avoir été chassé par Nasser en 1954, Saïd Ramadan est nommé responsable des Frères musulmans à l’étranger. Ses fils tenteront d’être à la hauteur de l’héritage. Très jeune docteur en philosophie et diplômé de sociologie et de théologie coranique, Tariq fonde le Centre islamique de Genève au début des années 80. Le 26 novembre 1995, alors que la France a été touchée par plusieurs attentats revendiqués par le GIA, Tariq Ramadan est interdit de séjour sur le territoire français. Officiellement, cet arrêté est pris en raison de ses «positions rigoureuses sur le port du voile», qui menaceraient l’ordre public. En mai 1996, la justice administrative annule la décision. De retour en France, Ramadan ne cesse de fustiger les Etats-Unis et Israël. A propos de la Palestine, de la Tchétchénie et de l’irak, il clame que des populations sont «massacrées dans des pays musulmans, dans l’indifférence générale 1».
Ses ouvrages, publiés par les éditions Tawhid à Lyon, et ses conférences, souvent à l’invitation des jeunes musulmans de France, font vite de lui l’intellectuel à la mode. «L’audience de Tariq Ramadan résulte en fait davantage de la couverture médiatique de ses activités que de son audience réelle2.» Le 20 novembre 2002, lors de l ‘émission «100 minutes pour convaincre» sur France2, Nicolas Sarkozy consacre la notoriété de Ramadan en débattant avec lui. Pour fragiliser les positions de son interlocuteur, le ministre n’hésite pas à incriminer son frère, Hani, qui dirige aujourd’hui le Centre Islamique de Genève. Hani Ramadan justifie la lapidation : «Que ceux qui nient qu’un dieu d’amour ait ordonné ou maintenu la lapidation de l’homme et de la femme adultère se souviennent que le virus du sida n’est pas issu du néant 3.»
Personnage complexe, Tariq Ramadan est difficile à percer à jour. Les services de renseignements s’y essaient depuis longtemps . En 2000, la DST avait été alertée par un «service ami» : l’intéressé assisterait à toutes les réunions des frères musulmans et «servirait de trait d’union» entre leurs divers responsables. « Bien que Tariq ramadan se défend de façon systématique, d’appartenir organiquement à la mouvance internationale des frères musulmans, ses récentes menées en Afrique tendent à prouver le contraire, celles-ci s’inscrivant tout à fait dans les desseins expansionnistes de la confrérie4.» Selon les experts de l’antiterrorisme, Tariq Ramadan s’appuie sur la structure Présence musulmane aujourd’hui mise en sommeil pour, selon la DST, «propager l’idéologie des frères musulmans en europe». «Le dynamisme, l’art de la rhétorique et le charisme de Tariq Ramadan sont autant d’atouts qui lui permettent d’exercer une emprise certaine sur un nombre croissant de jeunes musulmans qu’il sait savamment utiliser comme vecteur de sa propagande. Ce dispositif est tout à fait caractéristique de la stratégie des frères musulmans, qui jouent la carte politique, sociale et associative pour atteindre leurs objectifs5.» des accusations à prendre avec précaution. Chargée de recherches à l’institut français des relations internationales, Khadija Mohsen Finan estime que «Tariq ramadan, qui défend farouchement son indépendance idéologique et financière et qui condamne également la violence, ne peut se revendiquer totalement de l’héritage de ce mouvement». «je n’ai pas de lien organique et organisationnel avec les Frères musulmans 6», affirme d’ailleurs l’intéressé.
Il reste que Tariq Ramadan n’a pas de chance. A son corps défendant, son nom est souvent cité dans des affaires de terrorisme, comme s’il exerçait malgré lui une fascination sur les activistes. Soupçonné d’avoir dirigé une cellule terroriste préparant un attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris, Djamel Beghal déclare le 1er octobre 2001 devant le juge jean-louis Bruguière : «En 1994, j’ai suivi les cours dispensés par Tariq Ramadan.» L’orateur rétorque qu’il n a pas donné de cours en France avant 1997, mais de simples conférences. A Bruxelles, un des deux faux journalistes ayant commis l’assassinat contre le commandant Massoud, Abdessatar Dahmane, a la même curiosité au milieu des années 90. Il assiste aux conférences du prédicateur suisse au Centre islamique belge. Entendue par la DST le 15 décembre 2003, l’épouse d’un autre terroriste présumé, mis en cause dans l’enquête française sur l’assassinat de Massoud, déclare: «A l’université, j’ai,entendu parler des cours de Tariq Ramadan, qui avaient lieu à la Plaine-Saint-Denis. Ces cours portaient sur le comportement que doivent avoir les musulmans au quotidien(…). Il n’a jamais été question de djihad. Mais nous étions incités à faire des associations telles que le secours islamique ou pour la construction de mosquées.» Considéré comme l’un des cerveaux présumés de la cellule terroriste des «filières tchétchènes» et mis en examen à ce titre, Menad Benchelali, le fils de l’imam de Vénissieux, déclare devant les juges antiterroristes le 6 janvier 2003 : «Entre 2000 et 2001, je suis allé une fois en Suisse à Genève au Centre islamique de Tariq ramadan,» A vrai dire, Tariq Ramadan n’en est qu’un administrateur.
Mais le justice et la police françaises ne sont pas seules à entendre souvent parler de Ramadan. Dans le cadre d’une enquête menée sur une cellule d’Al Qaïda en Espagne, la Direction générale de la police de Madrid évoque le 3 juillet 2000 des «contacts habituels» entre l’un des trésoriers de la nébuleuse terroriste et des institutions et personnalités «islamiques» ou «à caractère radical». Dont Tariq Ramadan. Fin décembre 2002, les avocats des familles de victimes des attentats du 11 septembre 2001, qui ont engagé une procédure civile devant un tribunal fédéral de Washington, joignent plusieurs éléments visant le centre islamique de Genève en général et Tariq Ramadan en particulier. L’un de ces éléments est une note des services de renseignement suisses, rédigée en anglais. Le document, qui mérite d’être lu avec circonspection, relève qu’en 1991 Tariq Ramadan et son frère auraient coordonné une réunion à Genève à laquelle auraient assisté à laquelle auraient coordonné une réunion à Genève auraient assisté Aymen al-Zawahiri, actuel numéro deux d’Al Qaïda, et Omar Abdel Rahmane, cerveau de l’attentat contre le World trade center de 1993. Tariq ramadan dénonce une tentative de déstabilisation : «je n’ai jamais rencontré ces personnes. On veut me décridibiliser, car je suis une voix entendue dans toute l’Europe et aux Etats-Unis.» de fait, l’islamologue suisse a annoncé qu’il prenait le large en septembre 2004 pour donner des cours pendant un an à l’université catholique notre-Dame. A Chicago. Au pays du Grand Satan. On n’en est plus à un paradoxe près.

1. «Tariq Ramadan, idéologue des Frères musulmans en Europe, tient des propos de plus en plus virulents à l’encontre des sociétés occidentales», DST, 13 mars 2001.
2. «Tariq Ramadan» , DCRG, 12 novembre 2003.
3. «La charia incomprise», Le monde, 10 septembre 2002.
4. «Tariq Ramadan, idéologue des frères musulmans en Europe, multiplie ses interventions publiques en France», DST, 13 décembre 2000.
5. «Créée il y a quatre ans à l’initiative de Tariq Ramadan, l’association Présence musulmane apparaît aujourd’hui comme l’instrument privilégié de l’islamologue suisse pour propager l’idéologie des Frères musulmans en Europe», DST, 10 avril 2001.
6. L’islam en question, Alain Gresh et Tariq Ramadan, Actes Sud, 2002

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