Société

France : Les démons de l’islamisme (20)

«Je suis parti la fleur au fusil»
Palais de justice, 30 mars 2004

Ils ont dormi dans des conditions de fortune, mangé parfois moins qu’à leur faim, enduré d’épuisants parcours du combattant. Les trois hommes se retrouvent assis sur un banc dans une belle salle chauffée. Mais c’est celle du tribunal correctionnel de Paris. Dans le box, ils sont trois. Il y a d’abord David Courtailler, un Savoyard de vingt-neuf ans, converti à l’Islam. À son côté, l’on aperçoit un autre Français, Ahmed Laïdouni, trente-six ans. Il est né à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis. Enfin voici l’Algérien Chaouki Baadache, trente-six ans. En mars 2004, ils comparaissent pour leur participation présumée à des camps d’entraînement en Afghanistan. Chacun d’entre eux a suivi un itinéraire particulier jusque dans ces camps, où toute une génération de militants du djihad s’est formée. Barbe naissante et visage fermé, Courtailler assure avoir pris cette voie pour «se sortir de problèmes de drogue et d’alcool». Il raconte sur procès-verbal être «parti la fleur au fusil» dans les camps d’Al Qaïda. Le jeune Français fait profil bas. Son nom est cité dans l’enquête sur les attentats de Madrid. Non pas qu’il y ait participé. Mais fin 1998, lors d’un séjour en Espagne, il a rencontré l’un des suspects principaux, Djamal Zougam.
Lunettes fines et barbe courte, le deuxième homme du box, Baadache, a été considéré par la justice comme l’un des principaux animateurs d’une filière de jeunes combattants vers l’Afghanistan. Il aurait remplacé à ce poste Abou Zoubeïda, l’un des collaborateurs d’Oussama Ben Laden. Volubile, Baadache déclare être domicilié à Bagdad. Il revendique le djihad, en faisant allusion à l’assassinat par Tsahal du leader du Hamas, le cheikh Yacine, quelques jours auparavant : «Quand un gouvernement israélien assassine un vieux de soixante-sept ans, il est de mon devoir de musulman d’aller me battre contre les Israéliens.» Baadache reconnaît «Allah» comme seul avocat. Barbe longue, Laïdouni paraît le plus distrait des trois. Avec Courtailler, il est soupçonné par la DST d’être revenu en France «en vue de commettre une action violente».
Les deux hommes contestent avoir été jamais investis d’une telle «mission». Cette scène est une première: jamais les membres présumés d’une «filière afghane» n’avaient été jugés en France. C’est le résultat d’une information judiciaire ouverte dès le 12 octobre 1995 par le parquet de Paris. Le premier dossier ayant révélé l’existence de ces «filières afghanes» en France est celui de l’attentat commis le 24 août 1994 contre un hôtel de Marrakech. L’explosion s’était soldée par la mort de deux touristes aspagnols.
Seize militants impliqués dans ce dossier, domiciliés dans la région d’Orléans, avaient suivi les stages paramilitaires en Afghanistan.
L’équation de la terreur est simple: l’ensemble des enquêtes portant sur des projets d’attentats mettent en évidence la participation d’anciens «stagiaires» des camps des «fous de Dieu». C’est le cas de la vague d’attentats de l’été 1995 en France, du démantèlement d’un réseau islamiste à la veille de la Coupe du monde de football en 1998, des projets fomentés contre la cathédrale de Strasbourg en 2000 et l’ambassade des États-unis à Paris en 2001… Sans oublier l’assassinat du commandant Massoud ou les attentats-suicides contre le World Trade Center et le Pantagone.
Le Franco-marocain Zacarias Moussaoui, mis en cause par la justice américaine, a effectué des «stages» en Afghanistan de 1998 à 2000. Combien sont-ils à avoir effectué le cursus du parfait poseur de bombes ? «Environ 230 à 240 agents dormants en France», estime un haut fonctionnaire du secrétariat général de la Défense nationale. Au total, plusieurs milliers de «stagiaires» du monde entier sont passés par les officines du terrorisme islamiste. Un ancien substitut du parquet antiterroriste explique : «L’objectif des stages est de sélectionner les meilleures recrues possible, parmi tous ces mercenaires du djihad, venus d’horizons géographiques différents.» Premier juge d’instruction au tribunal de grande instance de Paris, Jean-François Ricard relève : «Dès 1994, l’étude de ces réseaux devait permettre la mise au jour d’acheminements de volontaires et notamment d’Europe vers la zone afghano-pakistanaise, aux fins d’être formés dans des camps; il s’agit là d’un élément central portant en germe le nouveau visage de l’islamisme radical de la période suivante 1.» En l’occurence, ce sera l’internationalisation du terrorisme et la mise en place d’une «armée» totalement protéiforme et imprévisible : «Le caractère mutant de ces réseaux se retrouve aussi par le fait que la localisation du combattant agissant depuis un pays, voire un continent, est aussi devenu un mode de fonctionnement dépassé», poursuit le magistrat. En clair, un combattant algérien formé en Afghanistan pourra désormais être envoyé en mission loin de ses bases au nom de la «guerre contre les mécréants». C’est donc une véritable internationale du terrorisme qui se met en place et dont la France est l’une des bases. Et pas la moins importante.
«Loin d’être éteinte, cette génération continuera longtemps à nous poser problème», souligne d’ailleurs Pierre de Bousquet de Florian, le directeur de la DST. Quel est le profil de ces «bombes à retardement» ?
Dans son réquisitoire du 18 décembre 2003 consacré aux «filières afghanes», le vice-procureur de Paris, Christophe Tessier, précise : «Le recrutement est effectué dans les couches sociales les plus défavorisées, ce qui permet un encadrement par des musulmans éduqués.» Autre point commun des «stagiaires du djihad»: «Une hostilité à l’égard des gouvernements occidentaux, ces derniers apparaissant comme un frein à la mise en place des théocraties islamistes.» Leur mobile? «Les Français ont bien une armée. Pourquoi les musulmans n’en auraient-ils pas une?» répond un «vétéran afghan» à un juge d’instruction parisien.
La machine à former ces routards du terrorisme fonctionne à plein régime jusqu’à l’offensive américaine en Afghanistan. Dès leur arrivée à l’aéroport de Peshawar, au Pakistan, un instructeur les prend en charge et les conduit dans une villa de transit, une madafa. Le tri est fait en fonction de leur nationalité. Là, les «stagiaires» remettent leurs passeports. D’autres détenteurs pourront toujours en faire bon usage. Les «bleus» choisissent un pseudonyme, afin de protéger leur anonymat. Ensuite, dans les camps d’entraînement militaire, les hommes suivent une formation au maniement des armes et explosifs, ainsi qu’un endoctrinement religieux. Affublés d’un nom de guerre, les «diplômés» sont «réinjectés» sur les fronts du djihad international. Ils font figure d’exemple. «Ces individus apparaissaient aux yeux des jeunes gens défavorisés ou désoeuvrés comme des modèles», explique le chef de la section antiterroriste du parquet. «Prônant pour seule valeur la haine» de tout ce qui s’oppose à eux, ces anciens d’Afghanistan sont capables de mobiliser autour d’eux des petites cellules autonomes et cloisonnées.
Contrairement aus apparences, l’intervantion alliée en Afghanistan n’a pas épuisé le filon. Juste modifié la destination des filières. Les services de renseignements observent désormais le départ discret de Français vers la syrie, le Yémen, la Thaïlande, le Maroc, le Soudan et l’Irak. Le retour de ces quelques centaines d’hommes est très attendu par les services spécialisés. Ils viendront renforcer les rangs de l’armée secrète composée d’agents dormants qui attendent l’heure de la mobilisation. En attendant, Baadache a été condamné en mai 2004 par le tribunal de Paris à dix ans de prison, Laïdouni à sept ans de prison, et Courtailler à quatre ans (dont deux avec sursis). La justice s’est montrée ferme.

1- SOS Attentats, Terrorisme, victimes et responsabilité pénale internationale, dir. Ghislaine Doucet, Calmann-Lévy, 2004.

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