Société

France : Les démons de l’islamisme (29)

L’Arabie écoule son argent en France
Paris, 10 février 2004

Cette instabilité des institutions musulmanes est aggravée par l’intrusion permanente des pays arabes. L’un d’eux s’illustre particulièrement dans ce domaine. Tout a commencé le 9 janvier 2001. Ce jour-là, un conseiller de l’ambassade d’Arabie saoudite, Abdellah el-Falah, se rend à la Grande Mosquée du 5e arrondissement de Paris pour dialoguer discrètement avec Dalil Boubakeur justement. Fort courtois avec son hôte, le diplomate « demande au recteur de contribuer à l’aboutissement » de la consultation sur l’Islam, entreprise par Jean-Pierre Chevènement. « M. Abdellah el-Falah se serait également déclaré, au nom de l’ambassadeur d’Arabie saoudite, prêt à subvenir rapidement aux besoins financiers de la Grande Mosquée de Paris(1).» Les poches pleines, Abdellah el-Falah propose de rénover la salle de prière et d’installer une couverture au-dessus du patio, « afin que les fidèles puissent prier à l’abri des intempéries ». Estimation du goût des travaux:
1 250 000 francs. Volontariste, le conseiller saoudien annonce qu’il reviendra « prochainement avec un architecte saoudien pour concrétiser ce projet». Puis le temps passe. Avec ses airs de sage, le recteur de la Mosquée de Paris s’indigne que les intégristes bénéficient des mannes saoudiennes. A contrario : « Je n’ai pas de pétrole sous ma Mosquée ! » s’honore Boubakeur. Qui regrette en fait ce dont il se targue. Cherchant beaucoup d’argent pour rénover ses murs qui se délabrent-près de 15 millions d’euros-, le président du Conseil français du culte musulman fait le tour des popotes. En 2002, il ne lésine pas sur les moyens pour accueillir le président de la Ligue islamique mondiale, Abdallah al-Turki. Le parangon de l’« Islam modéré » finit par donner raison au quotidien algérien El Watan, qui considérait en 1993 que sa nomination signifiait « le poids grandissant des positions saoudiennes en Europe ». L’Arabie saoudite lui promet des millions.
Mais elle n’apparaît pas dans le premier montage financier, signé le 10 février 2004, entre la Société des habous et des lieux saints de l’Islam-la Mosquée-et la Caisse des dépôts et consignations. Le ministère de la Culture, la Mairie de Paris et le Conseil régional d’île-de-France avancent 2 millions d’euros. L’Algérie et le Qatar versent aussi leur obole. Avec ses fortunes, l’Arabie préfère venir en second rideau. Le ministère de l’Intérieur, promoteur de l’ « Islam de France », va-t-il réagir? Oui, mais pas comme on pouvait s’y attendre.
Nicolas Sarkozy, qui avait reçu Turki sous les ors de la République le 8 octobre 2002, donne son aval à l’intervention des Saoudiens. Au Quai d’Orsay, les dents du conseiller aux affaires religieuses, René Roulaud, grincent…En vain. Depuis près de vingt ans, les Saoudiens tissent en France un discret maillage, à base d’aumônes. Les premières velléités de charité, bien entendu désintéressée, datent du milieu des années 70. Avant que Valéry Giscard d’Estaing se rend en Arabie saoudite en janvier 1977, la Ligue islamique mondiale a l’idée d’installer un bureau à Paris. Son premier directeur adjoint, Nassib Mahfouz, se souvient : « Nous avons fait passer un message : il serait préférable que l’autorisation nous soit accordée avant que la demande en soit faite au président à Riyad. »
L’argument porte. Le statuts du bureau d’organisation de la Ligue islamique mondiale en France sont déposés à la préfecture de la police de Paris le 24 septembre 1976. Ainsi l’organisation fondée en 1962 à la Mecque afin de lutter contre le « laïcisme » dans les pays arabo-musulmans commence-t-elle à distribuer sa fortune dans les mosquées de France. Fondé, en 1983, l’UOIF prospère grâce aux subsides wahhabites. Rodés à monter des dossiers sérieux, ses dirigeants ont l’art de séduire les mécènes. Aujourd’hui encore, les « imams gestionnaires », anciens ouvriers ou commerçants, qui savent les us et coutumes de la prospection, s’en sortent mieux que les autres dans les pays du Golfe. C’est le cas de Khalil Merroun à Evry, Ali Berka à Mantes-la-Jolie ou Larbi Marchiche à Saint-Etienne. En 1985, les autorités religieuses saoudiennes promeuvent et financent la création de la FNMF-sous domination marocaine-afin de contrer l’influence algérienne sur l’Islam de France. Il arrive que les liens entre le démiurge et ses créaturs se distendent, mais les ouailles reviennent toujours au bercail pour réclamer de l’aide. « De tels financements ne sont évidemment pas neutres », remarque un fonctionnaire du ministère français des Affaires étrangères. La mosquée de Lyon fait figure d’exception confirmant la règle : cette « mosquée cathédrale » a été construite dans le 8e arrondissement de la ville « grâce au don personnel du serviteur des lieux saints de l’Islam ». On aura reconnu le roi Fahd. Mais la mosquée reste liée à l’Algérie. A vrai dire, la Ligue islamique a beau invoquer un caractère « non gouvernemental », il n’y a guère de mystère sur les tireurs de ficelles. Une note d’information des RG parisiens assurait en 1997 que « souvent abusés, et même escroqués, les Saoudiens ont décidé d’exercer un contrôle plus direct sur leur réseau d’influence(2) ». En 1997, justement, l’un des fils du roi Fahd, le prince Salman ben abdulaziz, lance un ambitieux programme de prosélytisme en Europe, et notamment en France. Il inaugure à Mantes-la-Jolie le Centre culturel du roi Fahd, en hommage au financier de la mosquée de la ville. Cette année-là, le premier secrétaire à l’ambassade d’Arabie saoudite, Shayee al-Khoshiban, prend la tête du bureau français de la Ligue islamique. On n’est jamais si bien servi que par soi-même.
Aussitôt, la mosquée de Mantes-la-Jolie est vendue pour un franc symbolique à la Ligue. Nouveau conseiller pour les affaires religieuses à l’ambassade d’Arabie saoudite, Abdulrahman al-Issa n’a rien d’un tendre non plus. Ce docteur en sciences coraniques, né en 1962 à Bureida, en Arabie saoudite, se comporte tel un tuteur avec l’UOIF et les organisations musulmanes. Il n’hésite pas à les rappeler « régulièrement à l’ordre dans le sens de la rigueur(3)».
Militant, le diplomate apparaît même « comme un soutien actif avec des jeunes filles musulmanes voilées en conflit avec l’institution scolaire, appelant à l’intransigeance ». En juin 1998, Shayee al-Khoshiban laisse la direction du bureau français de la Ligue à un Français converti, Youssouf Leclerc. Le royaume affecte le diplomate à l’ambassade à Bruxelles. Mais Khoshiban continue à s’ingérer dans les affaires françaises. Avec son successeur, Issa, le torchon brûle. En janvier 1999, les RG avertissent le cabinet de Jean-Pierre Chevènement que celui-ci avait constitué un « dossier à charge », dans lequel il prétendait apporter la « preuve d’un détournement de commissions effectuées par Khoshiban, lors de transactions financières réalisées au cours de son mandat(4) ». Des affirmations graves qu’il faut prendre avec précaution. Toujours est-il qu’Issa ne fait pas long feu. Mais les questions de personnes importent peu.
Son remplaçant à l’ambassade, Abdellah el-Falah, poursuit peu ou prou sa politique. Ancien fonctionnaire au ministère des Affaires islamiques de Riyad, il fournit « des sommes d’argents à différents responsables associatifs musulmans en vue de l’achat de nourritures et des vêtements destinés à être distribués à l’occasion de la période de ramadan ». Le 12 décembre 2000, le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, Abdallah al-Turki, nomme Abdulaziz Sahran à la tête du bureau parisien. Titulaire d’un doctorat en sciences humaines de l’université de Denver, au Colorado, cet ancien directeur du Centre culturel islamique de Madrid aspire à ce que la Ligue ait à Paris un statut « quasi diplomatique ». Il reprend en main le bureau. Le contre-espionnage français s’intéresse de près à lui : « D’après nos sources, le docteur Sahran, lors de son séjour en Espagne, aurait eu des contacts avec des membres du gouvernement bosniaque dans le cadre de livraisons d’armes. Il aurait été, également, membre du département de sécurité de la maison royale saoudienne(5).»
Autrement dit, des services secrets wahhabites ? L’on se dit alors que la Ligue islamique mondiale n’est pas dirigée, à Paris, par un timide. Cela dit. Sahran, qui conteste en bloc cette vision de son rôle, ne fera pas long feu. IL sera vite remplacé par un personnage plus discret.

1. «M. Abdallh el-Falah, conseiller de l’ambassade d’Arabie saoudite, a rendu visite à M. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris», RG, 12 janvier 2001.
2. «Notes d’information sur l’Islam en France», RGPP, 27 septembre 1997.
3. «Le bureau d’organisation de la Ligue islamique mondiale», RG.
4. «Lutte d’influence saoudienne pour le contrôle de la communauté musulmane française», RG, 19 janvier 1999.
5. «Notice sur Abdulaziz bin Ahmed Sahran», DST, 26 juillet 2002.

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