Société

France : Les démons de l’islamisme (37)

© D.R

LA caissière d’Auchan revêt un foulard
Bagnolet, mars 2003

Les supermarchés seront-ils les nouveaux champs de la bataille en cours? En tout cas, le ministre de l’Intérieur a été averti par ses services que «les «beurettes» qui sont à la caisse dans les grands magasins» constituent la nouvelle «cible» des islamistes. En mars 2003, un cas se déclare dans la grande surface Auchan de Bagnolet, aux portes de Paris 1. Engagée en 1998, l’une des caissières convole en justes noces. Peu après, elle revêt le voile par souci de compromis, la direction lui propose de porter un béret. Les dirigeants de cette enseigne d’Auchan veulent à tout prix éviter des éclats, dès lors que plus de la moitié des effectifs du magasin -huit cent cinquante personnes- sont d’origine maghrébine. Mais la dame en question, élue du comité d’entreprise sous l’étiquette CGT, refuse de céder ne serait-ce que d’un pouce. Il est donc décidé de l’affecter au standard, pour éviter tout contact avec la clientèle. Les gérants du supermarché Casino de Vaulx-en-Velin, dans la banlieue lyonnaise, se montrent moins gracieux. Ils licencient une caissière pour «non-respect du réglement intérieur».
Elle refusait de retirer son voile pendant les heures de travail. Directeur central des Renseignements généraux jusqu’en janvier 2004, Yves Bertrand relève cette nouvelle tendance : «Le monde du travail est désormais visé, avec, comme cibles, certaines catégories de personnel. Ils ne vont pas s’en prendre, bien évidemment, aux ingénieurs. Pour l’instant, ils s’en prennent à des catégories de personnel plus modeste. Je pense par exemple aux manutentionnaires 2.» En 2002, le président d’une société de fret à l’aéroport de Roissy, employant environ trois mille salariés, se plaint auprès des RG de «l’implantation d’un petit groupe de confession musulmane décidé à imposer leur mode de travail sous la menace de grèves à répétition 3.». Le personnel de manutention est particulièrement virulent.
Le chef d’entreprise s’indigne que des recrutements soient effectués par cooptation, avec un critère de sélection «en fonction de la religion». Il ajoute que les attentats du 11 septembre 2001 avaient été «salués à l’époque avec satisfaction par certains de ses salariés». Dans les années 60, de grandes entreprises s’étaient adaptées à des réclamations religieuses. Pour tenir compte de la période du ramadan, des pauses spécifiques avaient été prévues, et des salles de prière ont même été installées au sein de certains établissements. De grandes grèves dans l’industrie automobile au début des années 80 ont renforcé cette tendance. Aujourd’hui, les demandes passent parfois les bornes. Certains hommes ne reconnaissent pas l’autorité de cadres quand il s’agit de femmes. Non contentes de porter le voile, des salariées refusent de serrer la main de leurs collègues masculins 4. Malgré la laïcité de l’État, garantie par l’article premier de la Constitution, ce problème se pose aussi dans la fonction publique et dans les collectivités territoriales. En 2003, en Alsace, une jeune femme brillante s’offusque que sa candidature pour un emploi à la communauté urbaine de Strasbourg ou à la mairie de Rhinau essuie des echecs. Question formation, elle satisfait aux critères. Titulaire d’un DESS d’administration des collectivités locales, elle a même été la lauréate du concours d’attaché territorial de 2002. Mais voilà, cette diplômée de l’institut politique de Strasbourg avertit qu’elle portera le foulard sur son lieu de travail 1. Qu’elle annonce la couleur doit d’ailleurs être mis à son crédit, car ce n’est souvent pas le cas.
À Paris, une assistante sociale dans un foyer pour enfants a effectué un an de stage sans qu’il soit question de se couvrir. Prudente, elle n’en formule la revendication qu’après sa titularisation. À Lyon, une fonctinnaire du ministère des Transports se présente coiffée d’un foulard le 11 octobre 2001, deux ans après son recrutement. Son chef de service l’invite «de façon répétée» à «retiter cet accessoire vestimentaire 5».
Cette femme de trente-trois ans, contrôleur du travail, ne veut pas en démordre. Elle n’admet pas que le principe de neutralité des services publics interdise à ses agents de manifester leurs croyances religieuses. Elle invoque la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Fonctionnaire de catégorie A, elle devrait savoir que le droit n’a rien d’ambigu sur la question. LA hiérarchie, qui l’a sanctionnée d’une suspension de quinze jours avec sursis en 2002, décide finalement de la suspendre un an sans salaire. Le rapport de la commission Stasi fait preuve d’inquiétude : «Des services publics sont, au nom des convictions religieuses de certains de leurs usagers, quelquefois de leurs agents, niés dans leur principe et entravés dans leur fonctionnement (…). Si la République n’est pas à même de restaurer leur fonctionnement normal, c’est donc l’avenir même de ces services publics qui est en jeu.» Une loi sur le foulard à l’école ne suffira pas à régler ce problème.
«La commission recommande qu’une disposition législative, prise après concertation avec les partenaires sociaux, permette au chef d’entreprise de réglementer les tenues vestimentaires et le port des signes religieux, pour des impératifs tenant à la sécurité, aux contacts avec la clientèle, à la paix sociale interne.» Le maire de Montreuil, Jean-Pierre Brard, a été confronté au problème: «Il y a deux ans, dans ma ville, une animatrice pour les centres de loisirs est arrivée un jour voilée. Nos cadres n’ont pas réagi. Trois semaines après, en arrivait une deuxième… Nous avons discuté avec les deux. Elles n’ont pas voulu enlever le voile. Nous les avons licenciées. Depuis, je n’en ai plus eu.» À l’université Paris-VIII de Saint-Denis, une employée vacataire porte le foulard en 2003, mais se plie aussitôt au refus de son supérieur hiérarchique. Dans les facultés d’ailleurs, de plus en plus de candidats postulent aux élections universitaires sur des bases ethnico-confessionnelles. En Seine-Saint-Denis toujours, une vacataire de la direction départementale de l’équipement se présente voilée lors d’un emploi saisonnier à l’été 2003. Étant donné qu’elle n’est pas en contact avec le public, la direction laisse faire. Le rapport de la commission Stasi affirme que «le principe de laïcité est aujourd’hui mis à mal dans des secteurs plus nombreux qu’il ne paraît». Il faut que le ministre de la Justice, Dominique Perben, s’oppose à ce qu’une avocate prête serment revêtue d’un voile. Le sujet est également devenu très sensible à l’hôpital.
Au centre hospitalier de Montreuil, sept infirmières «gardent un dispositif sur la chevelure 6». La direction étudie au cas par cas. Elle l’accepte d’une interne en pharmacie, dont le poste n’est pas en contact avec le public. Pour d’autres, la hiérarchie, en considérant que, par tradition, les infirmières portent souvent un foulard sur la tête.
Pour le professeur Roger Henrion, membre de l’Académie nationale de médecine, si des externes ou des internes portent la kippa ou le voile, «c’est une violation du serment d’Hippocrate 7». Est-ce un hasard ou pas, les milieux hospitaliers semblent importants pour l’Union des organisations islamiques de France. Le noyau intellectuel dominant de l’UOIF a longtemps été sous «l’influence du corps professionnel des neurochirurgiens». Le directeur des RG Yves Bertrand, qui s’est fait cette remarque, note que les personnes qui «avaient choisi la branche médicale de neurochirurgie avaient été formées an Arabie saoudite, en Égypte, voire dans d’autres pays du Proche ou du Moyen-Orient». À vrai dire, cette observation fait plutôt sourire au ministère de l’Intérieur. Ce qui fait moins sourire en revanche, c’est la montée des provocations.

1- «Port du voile islamique : nouveaux échos» DCRG, 29 septembre 2003.
2- Audition d’Yves Bertrand par la commission Dérbé, 9 juillet 2003.
3- Note DDRG Seine-Saint-Denis, 7 novembre 2002.
4- Rapport de la commission Stasi, 2003.
5- Arrêt de la cour administrative de Lyon, 27 novembre 2003.
6- Audition de Claude Dagorn, directeur de centre hospitalier, par le commission Stasi, 21 octobre 2003.
7- Audition de Roger Henrion par la commission Stasi, 7 novembre 2003.

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